Citations de Gabrielle Roy (241)
Est-ce que le monde n’était pas un enfant ? Est-ce que nous n’étions pas au matin ? Le livre se termine sur ces mots.
Pavillon de l'Homme et la Santé : curieuse architecture rappelant la forme de la cellule humaine, mère de toute vie et de toute pensée. Grâce aux antibiotiques, grâce à une chirurgie de plus en plus avancée, grâce à la greffe et, demain peut-être, au remplacement dans l'organisme d'organes usés, la durée moyenne de la vie humaine s'allonge sans cesse, comme si le but inavoué de l'homme était de vaincre un jour la mort. Devant ces efforts inouïs qui tendent à la longévité, l'intelligence se révolte. À quoi bon, disons-nous, vivre une vie de plus en plus longue si c'est pour être toujours aussi malheureux, pour continuer à nous entre-déchirer, à ne jamais parvenir à vivre ensemble en paix?
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Comment dire... Il y eut un matin indécis et lourd d'orage où je découvris la terre vivante de Gaspésie; et c'était sur mer, et c'était la nuit encore. Alors l'autre a reculé bien loin ; la Gaspésie des automobilistes, des touristes et des petits stands à bricoles. La Gaspésie reprenait son beau visage humide, rafraîchi par l'aurore. Elle me disait son vieil effort. Effort patient, courageux, constant, ancien déjà et repris à la même heure depuis des générations par des hommes qui se ressemblent. Depuis si longtemps qu'ils se lèvent tôt, en tout temps, de bourrasque et de clémence, les pêcheurs de Gaspésie ont acquis l'habitude de regarder les étoiles et le soleil levant et le fin pointillé des vagues sous les gouttes de pluie ; et cela leur fait une même âme sage et en même temps fraîche comme l'aube elle-même. Cette vérité m'est devenue visible et claire à travers le père Élias Langlois. Sur ses traits, à travers des perles de pluie, luisait le visage de son pays.
Mais la maison avec sa porte refermée maintenant, avec son potager que je devinais trempé sous la pluie, ses quelques fleurs tardives, la petite étable pour la vache, de même que la cuisine laissée un peu sans dessus dessous, tout cela était de la terre, et en m'en allant avec le père Élias je renonçais aux choses de la terre, de même qu'il les avait quittées chaque matin pour leur conserver un caractère d'ineffable sécurité.
De temps en temps, elle s'étale ainsi en un arrondi des plus gracieux. Lente rivière somnolente, prenant son temps, se promenant à travers le pays pour tout voir, tout contempler, elle donne, à la regarder, une sorte de paix et de détente!
Qui n'a rêvé, en un seul tableau, en un seul livre, de mettre enfin tout l'objet, tout le sujet ; tout de soi : toute son expérience, tout son amour, et combler ainsi l'espérance infinie, l'infinie attente des hommes.
Il faut souffrir pour comprendre; et comprendre, n'est-ce pas la plus grande richesse?
Il disait que la vie des hommes semblait être de sortir de leur campagne afin de faire assez d'argent dans la ville pour pouvoir venir refaire leur santé à la campagne.
Et le bonheur que les livres m'avaient donné, je voulais le rendre. J'avais été l'enfant qui lit en cachette de tous, et à présent, je voulais être moi-même ce livre chéri, cette vie des pages entre les mains d'un être anonyme, femme, enfant, compagnon que je retiendrais à moi quelques heures. Y a-t-il possession qui vaille celle-ci? Y a-t-il un silence plus amical, une entente plus parfaite?
(...) j'ai appris comme nous sommes nécessaires les unes aux autres, les vieilles âmes que la jeunesse autour d'elles console de la perte de leurs années ardentes, les âmes jeunes qui s'effraient moins de la vieillesse lorsqu'elles la voient encore capable de s'émerveiller et de se réjouir à leur vue.
De même que nous étions des pauvres riches, de même nous étions des malheureux doués pour le bonheur.
Le matin: une heure de décision, d'élan, d'enthousiasme, une heure qui rend à l'homme la fraîcheur de sa volonté; un départ; un début de voyage!
Toujours donc la même chose, pensait-il. Le talent que l'on a à profusion ne console pas de celui que l'on préférerait. Quel être bizarre que l'homme ! N'est-ce pas toujours un peu sa peine en son œuvre qu'il chérit.
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De tous les biens que nous recevons, dit-il, aucun ne nous fait plus de mal, malgré tout, que les amis, avec leur confiance en nous, leur espoir... leur attente.
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Puis lui était venu le sentiment qu'à l'homme tout est vite arraché.
La routine, une curieuse chose : ça vous dérobe tout, au fond.
Nous connaîtrions-nous seulement un peu nous-mêmes sans les arts ?
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De pitié, Pierre s'était arrêté, laissant s'abreuver le caribou dont il connaissait, par sa propre soif, la soif intolérable. Puis il se ressaisit, bondit, frappa le cou ployé.
Les yeux du caribou écroulé se tournèrent vers lui, le fixèrent avec une détresse vivante encore, infiniment résignée, puis s'obscurcirent. Alors, transi de froid, Pierre se laissa glisser près du caribou mort qui doucement commença à le réchauffer.
L'aube parut. L'intensité de sa faim ranima Pierre.
Mais quelques heures plus tard, lorsque, l'animal dépecé, un morceau cuit sur un feu vite fait, Pierre porta à sa bouche un peu de cette viande à vrai dire coriace, il eut un haut-le-cœur, s'efforça d'avaler et, subitement, se mit à pleurer. La souffrance des bêtes lui apparaissait infinie, horrible, à jamais inacceptable.
Il voyait des visons ronger leur patte meurtrie par le piège, des chiens hurler leur faim atroce, le regard du caribou mourant. Il mangeait et pleurait - pleurait sur cette création, son inimaginable dureté.
Il lui semblait que la montagne se plaisait à être regardée et qu'elle lui parlait.
Je suis belle extraordinairement, c'est vrai, disait-elle. En fait de montagne, je suis peut-être la mieux réussie de la création. Cependant, personne ne m'ayant vue jusqu'ici, est-ce que j'existais vraiment ? Tant que l'on n'a pas été contenu en un regard, a-t-on la vie ? A-t-on la vie si personne encore ne nous a aimé ?
Sous tant de ciel, les humains font pitié.
...il sondait la nuit si étrange du Nord, palpitante d'étoiles, comme nulle autre au monde prête, semblait-il, à expliquer aux hommes leur propre désir si souvent à eux-mêmes incompréhensibles.
Quinze ans plus tôt , il était arrivé tout fin seul dans ce pays, et il avait pu croire qu'il y vivrait en paix. Personne ne savait écrire et lire dans ces bons temps , et personne n'en souffrait. Le progrès, la civilisation, comme ils appelaient les embêtements, avaient tout de même commencé à les rattraper, petit à petit dans le Nord. D'abord les gens s'étaient fourré dans la tête de recevoir des lettres, des catalogues de magasins. Les catalogues de magasin , voilà à peu près ce qu'il y avait de plus bête au monde! C'était encombrant. Ça vous bourrait un sac en un rien de temps, et pourquoi, je vous le demande ! Rien que pour vous démontrer que vous auriez maintenant besoin d'un tas de choses dont vous vous étiez parfaitement passé...