Garance de Jorna

- T'es ivre, constata-t-elle.
- Très souvent, lâcha Jaïke. Va pas croire que ça diminue ma haine envers toi.
Kailor soupira, exaspérée, sans lui répondre. Au même moment, Kleïtonn survint dans son dos.
- Tiens, mon cher neveu, tu es finalement venu. Et pourquoi ?
- À ton avis ?
- Tu bois trop.
- Pas assez pour me sentir mieux.

Ma peine s'est transformé en colère, lentement, très lentement, à mesure que la vie véritable se révélait, que mes beaux rêves s’évaporaient, je m'enfermais dans la haine, le rejet constant. C'était surtout la peur, celle d'être trahi, détesté, maltraité. Papa me giflait, je ripostais. J’étais si malheureux que je ne le savais même pas moi-même. Je me voilais la face, ricanais du mal-être des autres, seul et unique consolation qui marchait. Cette douleur, elle a glissé entre mes doigts. Je frappais encore et encore, jusqu'à lire dans les larmes des autres les mots dont j'avais besoin :
« tu vois, tu n'es pas le seul à souffrir »

« Tu existais, traversais les âges sans que tu ne changes jamais. Un amour nous gardait liés, incontrôlable, incassable, seules les années ne pouvaient que l’amplifier davantage. Nos cœurs battaient à l’unisson. Le mien avait déraillé quand tu l’avais quitté. Mais il retrouvait sa voie, grâce à lui, grâce à toi. »

Si je suis la tête, alors tu es le cœur.

À courir derrière le pouvoir, on finit par en oublier ce qu'est de s'arrêter pour vivre. À lutter pour la force, on finit par devenir faible. À convoiter la couronne, on finit par perdre la tête.

Je n'ai pas oublié, jamais je n'oublierai. Je n'ai pas non plus tourné la page. J'ai simplement remplacé les anciens mots du livre par de nouveaux bien plus beaux.

Je frappais encore et encore, jusqu'à lire dans les larmes les mots dont j'avais besoin.
"Tu vois, tu n'es pas le seul à souffrir."

« Une note, puis deux. Une déferlante prodigieuse où ma voix me transporte dans des lieux que je n’explorerai jamais, où ta guitare hurle à n’en plus pouvoir. À l’unisson avec nos cœurs, nos âmes chantent aussi. Elles voltigent avec la mélopée de l’instrument, la puissance de mon timbre. Avec elles s’envolent quelques-uns de mes malheurs. »

Parce qu'on était différents, bouffés par la vie, les névroses et l'angoisse, on hurlait nos émotions à travers l'art. Je chantais, Esteban jouait et Lan Anh écrivait. Des artistes jetés et cassés, mais nos voix n'avaient jamais été aussi fortes qu'à cet instant. Celui où on avait trouvé notre chemin. Un jour, je reprendrais la route.

J'ai profité de chaque seconde en sa présence, me suis délecté de chacun de ses mots, même si ça semble idiot. Il ne m'a pas rejeté, il ne m'a pas haï. Mieux encore : il m'a tendu sa main. Il m'a donné une seconde chance, celle de rattraper mes fautes, de l'aider. De l'aimer. Et je l'aime. Je l'aime à en devenir fou.