Citations de Gérard Delteil (53)
Les deux tueurs rentrèrent tout simplement en métro, chacun de son côté.
Personne ne demandait de comptes à personne. Chacun venait et restait le temps qu'il lui convenait sans que soit établi un roulement. Le départ du lieutenant ne fut pas davantage remarqué que son arrivée
Cette mission sort du cadre hiérarchique.
Ton pari est complètement débile.
Au moment de ranger ma voiture, je remarquai que mon emplacement réservé, à côté de la Mercedes de Vigier-Lelièvre, était occupé par la Renault 18 d’un malotru, et me promis de faire passer une note de service à ce sujet. J’en fis la réflexion au gardien, un militaire retraité qui traîne la patte.
— Ce n’est pas quelqu’un de l’usine, monsieur Durupt, m’expliqua-t-il, sur le ton de la confidence ; ce sont les polyvalents.
Allons bon ! Si les polyvalents viennent fouiner chez nous... On racontait que le patron y avait été un peu fort deux ans auparavant, et qu’il risquait un gros redressement, mais on raconte tellement de choses... Comme je vous l’ai dit, les finances, ce n’est pas ma partie.
Et quand les policiers ont commencé à questionner les badauds, à tracer le pourtour du cadavre à la craie, j’ai observé la scène au travers de la vitre du bistrot, sans me décider à me présenter.
Et finalement je ne l’ai pas fait : cette affaire ne pouvait pas me concerner, et comme je vous l’ai expliqué, je suis un homme qui a des responsabilités importantes ; mon temps est précieux, je ne peux pas me permettre de le gaspiller.
La journée avait déjà été suffisamment éprouvante comme ça.
En fait, trois balles de 11,43 l’avaient frappé en pleine poitrine. Ce qui lui laissait peu de chance de s’en sortir. Je ne sais pas s’il est mort sur le coup, mais quand je me suis penché sur lui, il avait bel et bien passé l’arme à gauche. Une vilaine flaque sombre s’élargissait sur le sol. Il était tombé à la renverse et son expression, les yeux grands ouverts, ne pouvait pas laisser le moindre doute.
A l’instant même où le type atteignait le trottoir de la brasserie, une voiture, une grosse Volvo ou quelque chose comme ça, lui a carrément foncé dessus. Ventron a fait un bond de côté pour l’éviter. Ce mouvement brusque l’a déséquilibré et il s’est étalé sur le bitume. Du moins c’est ce que j’ai cru sur le coup.
Les gens agissent avec un sans-gêne invraisemblable ! Mais je n’avais qu’à m’en prendre à moi : pourquoi ne pas l’avoir fait éconduire par le larbin ? Je me préparais quand même à raccrocher, sans grossièreté inutile, on ne sait jamais à qui on a affaire, quand le type insiste, avec une drôle de voix :
— Monsieur Durupt, je vous en prie, c’est très sérieux...
— Mais enfin, monsieur, qui êtes vous à la fin ?
— René Ventron, je suis journaliste indépendant...
La script a eu l’idée d’emprunter le chat du gardien de l’usine, un modeste gouttière moins photogénique mais plus vorace. Ici j’ai dû intervenir, car un de nos slogans dit que « Délices du Félin », c’est le mets du chat qui a de la classe ! » — le Fauchon du matou si vous préférez. Alors, non, ce monstre couvert de croûtes, à moitié borgne, ça n’allait pas du tout. Et le patron m’a approuvé.
Consternation.
L’animal a réussi à filer entre les pattes des techniciens pour aller se réfugier sous une table des labos en question, après avoir renversé sur son passage la moitié des tubes à essai et des éprouvettes. Un carnage.
Tout ça pour vous dire que ce « test-chat », qui peut paraître futile à une personne mal informée, n’avait rien d’une partie de rigolade.
Et ça commençait mal, vraiment très mal !
Nous avions un peu hésité sur le choix du comédien vedette : depuis que Bellone a fait ses déclarations politiques fracassantes, on dit qu’il s’est aliéné une partie de son public, à gauche ; par contre, il a gagné des sympathies à droite ; or notre dernière étude de marché permet de penser que notre clientèle — pas les chats qui ne votent pas, mais les maîtres et les maîtresses — , penche plutôt de ce dernier côté, car Délices du Félin est un produit cher, un produit « top-niveau ». L’un dans l’autre, Bellone, qui remplit toujours les salles à cinquante ans bien tassés, pouvait donc faire l’affaire. Quant à Dargoy, Vigier-Lelièvre n’en voulait pas, car il fait du cinéma pour intellectuels, mais Bellone, qui traverse une phase art et essais, n’acceptait personne d’autre, et nous avons fini par céder.
Ce jour-là nous étions tous sur les dents : à la cérémonie traditionnelle s’ajoutait une opération de promotion dans laquelle la SAAPA — la Société Anonyme d’Aliments pour Animaux — investissait quelques millions de francs lourds. Raoul Vigier-Lelièvre, notre P.-D.G., tenait particulièrement à sa réussite et supervisait l’affaire en personne. On avait mobilisé Antenne 2, le patron s’était offert Dargoy pour tourner le court métrage et Bellone pour présenter le produit.
Voilà comment les choses se passent, en principe. Je dis « en principe » car des complications surviennent parfois : un chat particulièrement difficile ou malencontreusement gavé, un journaliste mauvais coucheur dont notre attaché de presse n’a pas su déceler les humeurs contestataires.
Le « test-chat », comme son nom le laisse un peu deviner, consiste à tester sur un de ces délicats mammifères aux griffes acérées les propriétés attractives du contenu d’une boîte de Délices du Félin, produit qui fait la prospérité de notre maison. La boîte est choisie au hasard, l’animal normalement alimenté au cours de la période précédant l’épreuve, et chaque fois d’une race différente. Deux huissiers, un vétérinaire, et quelques journalistes sélectionnés assistent à la manœuvre, de façon à attester qu’elle se déroule sans supercherie. Ensuite nous les emmenons gueuletonner à leur tour dans un bon restaurant, car il n’y a pas de raison que les chats soient seuls à s’en mettre plein la panse.
Au cas où vous feriez partie des 31,65 % de téléspectateurs qui, à en croire les sondages, n’ont pas vu ou pas retenu ce thème essentiel de nos campagnes publicitaires, je vais vous en dire quelques mots. Brièvement, pour ne pas ennuyer les autres, la majorité des ménages, ceux qui connaissent.
J’étais très occupé quand ce type, ce journaliste, m’a demandé au téléphone. Submergé. Pensez : c’était le jour du « test-chat » !
Après les banques, on remarquait les vigiles en uniforme qui surveillaient le moindre Prisunic, la moindre galerie marchande où tout se vendait à crédit, du Levis 501 aux casseroles - ce qui expliquait sans doute la prospérité des banques.
Le cas concret qui suscitait cet élan d'altruisme, c'était donc moi. Et plus elle découvrait mes faiblesses et mes problèmes, plus cette fille s'accrochait. Elle était du genre de celles qui s'amourachent d'un prisonnier dans un parloir de prison ou d'un blessé dans un hôpital, planquent un évadé aux abois, sans doute parce qu'elles affectionnent les rapports de dépendance quasi maternelle qui s'établissent en pareilles situations.
_ Trouve-toi un chien perdu ou en enfant abandonné, dis-je en empoignant la bride de mon sac...