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Citations de Germain Nouveau (100)


Germain Nouveau
UN PEU DE MUSIQUE

Une musique amoureuse
Sous les doigts d'un guitariste
S'est éveillée, un peu triste,
Avec la brise peureuse ;

Et sous la feuillée ombreuse
Où le jour mourant résiste,
Tourne, se lasse, et persiste
Une valse langoureuse.

On sent, dans l'air qui s'effondre,
Son âme en extase fondre ;
- Et parmi la vapeur rose

De la nuit délicieuse
Monte cette blonde chose,
La lune silencieuse.
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Germain Nouveau
LA RENCONTRE

Vous mîtes votre bras adroit,
Un soir d'été, sur mon bras... gauche.
J'aimerai toujours cet endroit,
Un café de la Rive-Gauche ;

Au bord de la Seine, à Paris
Un homme y chante la Romance
Comme au temps... des lansquenets gris ;
Vous aviez emmené Clémence.

Vous portiez un chapeau très frais
Sous des noeuds vaguement orange,
Une robe à fleurs... sans apprêts,
Sans rien d'affecté ni d'étrange ;

Vous aviez un noir mantelet,
Une pèlerine, il me semble,
Vous étiez belle, et... s'il vous plaît,
Comment nous trouvions-nous ensemble ?

J'avais l'air, moi, d'un étranger ;
Je venais de la Palestine
A votre suite me ranger,
Pèlerin de ta Pèlerine.

Je m'en revenais de Sion,
Pour baiser sa frange en dentelle,
Et mettre ma dévotion
Entière à vos pieds d'Immortelle.

Nous causions, je voyais ta voix
Dorer ta lèvre avec sa crasse,
Tes coudes sur la table en bois,
Et ta taille pleine de grâce ;

J'admirais ta petite main
Semblable à quelque serre vague,
Et tes jolis doigts de gamin,
Si chics ! qu'ils se passent de bague ;

J'aimais vos yeux, où sans effroi
Battent les ailes de votre Âme,
Qui font se baisser ceux du roi
Mieux que les siens ceux d'une femme ;

Vos yeux splendidement ouverts
Dans leur majesté coutumière...
Etaient-ils bleus ? Etaient-ils verts ?
Ils m'aveuglaient de ta lumière.

Je cherchais votre soulier fin,
Mais vous rameniez votre robe
Sur ce miracle féminin,
Ton pied, ce Dieu, qui se dérobe !

Tu parlais d'un ton triomphant,
Prenant aux feintes mignardises
De tes lèvres d'amour Enfant
Les coeurs, comme des friandises.

La rue où rit ce cabaret,
Sur laquelle a pu flotter l'Arche,
Sachant que l'Ange y descendrait,
Porte le nom d'un patriarche.

Charmant cabaret de l'Amour
Je veux un jour y peindre à fresque
Le Verre auquel je fis ma cour.
Juin, quatre-vingt-cinq, minuit... presque.
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Germain Nouveau
L’Âme

Comme un exilé du vieux thème,
J’ai descendu ton escalier ;
Mais ce qu’a lié l’Amour même,
Le temps ne peut le délier.

Chaque soir quand ton corps se couche
Dans ton lit qui n’est plus à moi,
Tes lèvres sont loin de ma bouche ;
Cependant, je dors près de Toi.

Quand je sors de la vie humaine,
J’ai l’air d’être en réalité
Un monsieur seul qui se promène ;
Pourtant je marche à ton côté.

Ma vie à la tienne est tressée
Comme on tresse des fils soyeux,
Et je pense avec ta pensée,
Et je regarde avec tes yeux.

Quand je dis ou fais quelque chose,
Je te consulte, tout le temps ;
Car je sais, du moins, je suppose,
Que tu me vois, que tu m’entends.

Moi-même je vois tes yeux vastes,
J’entends ta lèvre au rire fin.
Et c’est parfois dans mes nuits chastes
Des conversations sans fin.

C’est une illusion sans doute,
Tout cela n’a jamais été ;
C’est cependant, Mignonne, écoute,
C’est cependant la vérité.

Du temps où nous étions ensemble,
N’ayant rien à nous refuser,
Docile à mon désir qui tremble,
Ne m’as-tu pas, dans un baiser,

Ne m’as-tu pas donné ton âme ?
Or le baiser s’est envolé,
Mais l’âme est toujours là, Madame ;
Soyez certaine que je l’ai.
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Germain Nouveau
Épitaphe


De l’égoïsme froid de ce siècle mortel,
Seul, sans larmes de femme et sans bruit de prière,
Sans une main d’ami pour clore sa paupière,
De La Billette est mort dans sa chambre d’hôtel.

Pour lui l’on n’encadra de noir aucun cartel ;
Personne n’a suivi son corps au cimetière ;
Pas même une humble croix sur un cube de pierre,
Pas même la légende : Ici repose un Tel.

Qui donc connaît les cieux où notre âme s’élance !
Couché dans le linceul hautain de son silence
Le cœur de ce héros n’en dormira que mieux !

Le vêtement de deuil rentre au fond de l’armoire ;
Le doigt du Temps railleur vient sécher tous les yeux :
Le vers seul est fidèle et garde la mémoire !
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Germain Nouveau
Set Ohaëdat

Je vous fus présenté Madame, dans la salle
De marbre frais et sombre où vous passiez les jours
Au bruit de ces jets d’eau monotones des cours
Damasquinés ; l’or blanc cerclait votre bras pâle.

Assise à terre, à la manière orientale,
Vous écoutiez ceux qui distillent les discours
Des les narghilés d’argent aux tons d’opale
Que la Paresse fume à coups distraits et courts.

Des fleurs couraient parmi vos étoffes de soie ;
Vos yeux éclairaient l’ombre où votre front se noie ;
Votre pied nu brillait ; votre accent étranger

Eclatait dans ma tête en notes délicates ;
Je vois toujours vos dents blanches, fines et plates
Quand votre lèvre, mouche en rumeur, fit : « Franger ? »
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Le baiser

Comme une ville qui s'allume 
Et que le vent achève d'embraser, 
Tout mon cœur brûle et se consume, 
J'ai soif, oh ! j'ai soif d'un baiser.

Baiser de la bouche et des lèvres 
Où notre amour vient se poser, 
Plein de délices et de fièvres, 
Ah ! j'ai soif, j'ai soif d'un baiser !

Baiser multiplié que l'homme 
Ne pourra jamais épuiser, 
Ô toi, que tout mon être nomme, 
J'ai soif, oui, j'ai soif d'un baiser.

Fruit doux où la lèvre s'amuse, 
Beau fruit qui rit de s'écraser, 
Qu'il se donne ou qu'il se refuse, 
Je veux vivre pour ce baiser.

Baiser d'amour qui règne et sonne 
Au cœur battant à se briser, 
Qu'il se refuse ou qu'il se donne, 
Je veux mourir de ce baiser.
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Germain Nouveau
Invocation

Ô mon Seigneur Jésus, enfance vénérable,
Je vous aime et vous crains petit et misérable,
Car vous êtes le fils de l’amour adorable.

Ô mon Seigneur Jésus, adolescent fêté,
Mon âme vous contemple avec humilité,
Car vous êtes la Grâce en étant la Beauté.

Ô mon Seigneur Jésus qu’un vêtement décore,
Couleur de la mer calme et couleur de l’aurore,
Que le rouge et le bleu vous fleurissent encore !

Ô mon Seigneur Jésus, chaste et doux travailleur,
Enseignez-moi la paix du travail le meilleur,
Celui du charpentier ou celui du tailleur.

Ô mon Seigneur Jésus, semeur de paraboles
Qui contiennent l’or clair et vivant des symboles,
Prenez mes vers de cuivre ainsi que des oboles.

Ô mon Seigneur Jésus, ô convive divin,
Qui versez votre sang comme on verse le vin,
Que ma faim et ma soif n’appellent pas en vain !

Ô mon Seigneur Jésus, vous qu’en brûlant on nomme,
Mort d’amour, dont la mort sans cesse se consomme,
Que votre vérité s’allume au coeur de l’homme !
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SONNET D'ÉTÉ


Nous habiterons un discret boudoir,
Toujours saturé d’une odeur divine,
Ne laissant entrer, comme on le devine,
Qu’un jour faible et doux ressemblant au soir.

Une blonde frêle en mignon peignoir
Tirera des sons d’une mandoline,
Et les blancs rideaux tout en mousseline
Seront réfléchis par un grand miroir.

Quand nous aurons faim, pour toute cuisine
Nous grignoterons des fruits de la Chine,
Et nous ne boirons que dans du vermeil ;

Pour nous endormir, ainsi que des chattes
Nous nous étendrons sur de fraîches nattes ;
Nous oublirons tout, - même le soleil !

p.121
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DOMPTEUSE


Elle vint dans Ninive énorme, où sont les fous
Qui veillent dans les lits et dorment sur les tables,
Et le théâtre est cendre où, les soirs ineffables,
Elle noyait sa tête aux crins des lions doux.

Fixant sur eux des yeux charmeurs comme en des fables,
Elle allait, éteignant leurs cris dans ses genoux,
Calme, et trouvant l’odeur des palmes et des sables
Au souffle de leur gueule errant sur ses seins roux.

Ses cheveux fiers, sa main doucement suspendue,
Ses robes dans leur fleur ne l’ont point défendue.
Un jour la griffe immense et tranquille la prit.

La foule ayant fui blême, un parfum pour des âmes
Sembla mêler, le long des promenoirs à femmes,
Le sang de la Dompteuse aux roses de la Nuit.

p.212
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Germain Nouveau
Que triste tombe un soir de novembre ! 
La Bougie rayonne dans la chambre.  

Je rêve, et mon cœur n’y est pour rien : 
Vraiment, ah ! vraiment, ce n’est pas bien.   

Ni joie autour de nous, ni souffrance ; 
Sur le front pas l’aile d’une Espérance !   

Suis-je mort ? Je n’entends ni ne vois. 
Nul écho de la plus charmante voix.   

La flamme s’allonge, et tremblote. 
Dans la chambre un novembre triste flotte.   

Qui donc crois-je entendre par instants
Dans la mer imaginaire que j’entends ?   

C’est, voyez-vous, mon âme esseulée 
Qui, ce soir, — novembre gronde — est ensablée !   
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Hymne

Amour qui voles dans les nues,
Baisers blancs, fuyant sur l’azur,
Et qui palpites dans les mues,
Au nid sourd des forêts émues;

Qui cours aux fentes des vieux murs,
Dans la mer qui de joie écume,
Au flanc des navires, et sur
Les grandes voiles de lin pur;

Amour sommeillant sur la plume
Des aigles et des traversins,
Que clame la sibylle à Cume,
Amour qui chantes sur l’enclume;

Amour qui rêves sur les seins
De Lucrèce et de Messaline,
Noir dans les yeux des assassins,
Rouge aux lèvres des spadassins;

Amour riant à la babine
Des dogues noirs et des taureaux,
Au bout de la patte féline
Et de la rime féminine;

Amour qu’on noie au fond des brocs
Ou qu’on reporte sur la lune,
Cher aux galons des caporaux,
Doux aux guenilles des marauds;

Aveugle qui suis la fortune,
Menteur naïf dont les leçons
Enflamment, dans l’ombre opportune,
L’oreille rose de la brune;

Amour bu par les nourrissons
Aux boutons sombres des Normandes;
Amour des ducs et des maçons,
Vieil amour des jeunes chansons;

Amour qui pleures sur les brandes
Avec l’angélus du matin,
Sur les steppes et sur les landes
Et sur les polders des Hollandes;

Amour qui voles du hautain
Et froid sourire des poètes
Aux yeux des filles dont le teint
Semble de fleur et de satin;

Qui vas, sous le ciel des prophètes,
Du chêne biblique au palmier,
De la reine aux anachorètes,
Du cœur de l’homme au cœur des bêtes;

De la tourterelle au ramier,
Du valet à la demoiselle,
Des doigts du chimiste à l’herbier,
De la prière au bénitier;

Du prêtre à l’hérétique belle,
D’Abel à Caïn réprouvé;
Amour, tu mêles sous ton aile
Toute la vie universelle !

Mais, ô vous qui m’avez trouvé,
Moi, pauvre pécheur que Dieu pousse
Diseur de Pater et d’Ave,
Sans oreiller que le pavé,

Votre présence me soit douce.
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Cantique à la Reine (II)

Aimez : l'amour vous met au coeur un peu de jour ;
Aimez, l'amour allège,
Aimez, car le bonheur est pétri dans l'amour
Comme un lys dans la neige!

L'amour n'est pas la fleur facile qu'au printemps
L'on cueille sous son aile,
Ce n'est pas un baiser sur les lèvres du temps,
C'est la fleur éternelle.

Nous faisons pour aimer d'inutiles efforts,
Pauvres coeurs que nous sommes!
Et nous cherchons l'amour dans l'étreinte des corps,
Et l'amour fait les hommes.

Et c'est pourquoi l'on voit la haine dans nos yeux
Et dans notre mémoire,
Et ce vautour ouvrir sur nos fronts soucieux
Son affreuse aile noire;

Et c'est pourquoi l'on voit jaillir de leur étui
Tant de poignards avides;
Et c'est pourquoi l'on voit que les coeurs d'aujourd'hui
Sont des sépulcres vides.

Voilà l'éternel cri que je sème au vent noir,
Sur la foule futile ;
Tel est le grain d'encens qui fume en l'encensoir
De ma vie inutile.
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RETOUR



Nous avions fait une lieue,
L'œil en quête d'un sonnet ;
Où le hasard nous menait
Nous errions dans la banlieue.

La matinée était bleue
Et sur nos têtes sonnait
La rime, oiseau qu'on prenait
D'un grain de sel sous la queue.

Tout à coup, le ciel changea :
Il plut. Retournons — déjà ! —
Et nous aperçûmes, l'âme

Attristée, au loin, Paris,
Et, grises sur le ciel gris,
Les deux tours de Notre-Dame !
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L'amour de l'amour

I.

Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve 
Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ; 
C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève, 
Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.

Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures, 
Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels, 
Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures, 
Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.

Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse 
Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ; 
C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse, 
Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.

Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange, 
Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau, 
Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange, 
Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau !

Aimez l'antique amour du règne de Saturne, 
Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché, 
Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne, 
Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !

Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme, 
Lui dont la caravane humaine allait rêvant, 
Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme, 
Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.

Il revient ; le voici : son aurore éternelle 
A frémi comme un monde au ventre de la nuit, 
C'est le commencement des rumeurs de son aile ; 
Il veille sur le sage, et la vierge le suit.

Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes, 
C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois, 
C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes 
Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.

Il palpite toujours sous les tentes de toile, 
Au fond de tous les cris et de tous les secrets ; 
C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ; 
L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.

La source le pleurait, car il sera la mousse, 
Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit, 
Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce 
Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.

Le voici qui retourne à nous, son règne est proche, 
Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez ! 
Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche, 
Amour dans les déserts, amour dans les cités !

Amour sur l'Océan, amour sur les collines ! 
Amour dans les grands lys qui montent des vallons ! 
Amour dans la parole et les brises câlines ! 
Amour dans la prière et sur les violons !

Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres ! 
Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !

Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres ! 
Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !

Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles ! 
Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux ! 
Amour dans les couvents : anges, battez des ailes ! 
Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !

II.

Mais adorez l'Amour terrible qui demeure 
Dans l'éblouissement des futures Sions, 
Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure 
Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
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ATHEE

Je m’adresse à tout l’univers,
Après David, le roi psalmiste,
Oui, Madame, en ces quelques vers,
Je m’adresse à tout l’univers.
Sur les continents et les mers,
Si tant est qu’un athée existe,
C’est moi, dis-je à tout l’univers,
Après David, le roi psalmiste.

Je me fous bien de tous vos dieux,
Ils sont jolis s’ils vous ressemblent,
Et bons à foutre dans les lieux.
Je me fous bien de tous vos dieux,
Je fous même du bon vieux,
L’unique, devant qui tous tremblent ;
Je me fous bien de tous vos dieux,
Ils sont jolis s’ils vous ressemblent.
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AMOUR


Je ne crains pas les coups du sort,
Je ne crains rien, ni les supplices,
Ni la dent du serpent qui mord,
Ni le poison dans les calices,
Ni les voleurs qui fuient le jour,
Ni les sbires ni leurs complices,
Si je suis avec mon Amour.

Je me ris du bras le plus fort,
Je me moque bien des malices,
De la haine en fleur qui se tord,
Plus caressante que les lices ;
Je pourrais faire mes délices
De la guerre au bruit du tambour,
De l’épée aux froids artifices,
Si je suis avec mon Amour.

Haine qui guette et chat qui dort
N’ont point pour moi de maléfices ;
Je regarde en face la mort,
Les malheurs, les maux, les sévices ;
Je braverais, étant sans vices,
Les rois, au milieu de leur cour,
Les chefs, au front de leurs milices,
Si je suis avec mon Amour.

Envoi
Blanche Amie aux noirs cheveux lisses,
Nul Dieu n’est assez puissant pour
Me dire : « Il faut que tu pâlisses »,
Si je suis avec mon Amour.
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Les mains.

Aimez vos mains afin qu’un jour vos mains soient belles,
Il n’est pas de parfum trop précieux pour elles,
Soignez-les. Taillez bien les ongles douloureux,
Il n’est pas d’instruments trop délicats pour eux.

C’est Dieu qui fit les mains fécondes en merveilles ;
Elles ont pris leur neige au lys des Séraphins,
Au jardin de la chair ce sont deux fleurs pareilles,
Et le sang de la rose est sous leurs ongles fins.

Il circule un printemps mystique dans les veines
Où court la violette, où le bluet sourit ;
Aux lignes de la paume ont dormi les verveines ;
Les mains disent aux yeux les secrets de l’esprit.

Les peintres les plus grands furent amoureux d’elles,
Et les peintres des mains sont les peintres modèles.

Comme deux cygnes blancs l’un vers l’autre nageant,
Deux voiles sur la mer fondant leurs pâleurs mates,
Livrez vos mains à l’eau dans les bassins d’argent,
Préparez-leur le linge avec les aromates.

Les mains sont l’homme, ainsi que les ailes l’oiseau ;
Les mains chez les méchants sont des terres arides ;
Celles de l’humble vieille, où tourne un blond fuseau,
Font lire une sagesse écrite dans leurs rides.

Les mains des laboureurs, les mains des matelots
Montrent le hâle d’or des Cieux sous leur peau brune.
L’aile des goélands garde l’odeur des flots,
Et les mains de la Vierge un baiser de la lune.

Les plus belles parfois font le plus noir métier,
Les plus saintes étaient les mains d’un charpentier.

Les mains sont vos enfants et sont deux soeurs jumelles,
Les dix doigts sont leurs fils également bénis ;
Veillez bien sur leurs jeux, sur leurs moindres querelles,
Sur toute leur conduite aux détails infinis.

Les doigts font les filets et d’eux sortent les villes ;
Les doigts ont révélé la lyre aux temps anciens ;
Ils travaillent, pliés aux tâches les plus viles,
Ce sont des ouvriers et des musiciens.

Lâchés dans la forêt des orgues le dimanche,
Les doigts sont des oiseaux, et c’est au bout des doigts
Que, rappelant le vol des geais de branche en branche,
Rit l’essaim familier des Signes de la Croix.

Le pouce dur, avec sa taille courte et grasse,
A la force ; il a l’air d’Hercule triomphant ;
Le plus faible de tous, le plus doux a la grâce,
Et c’est le petit doigt qui sut rester enfant.

Servez vos mains, ce sont vos servantes fidèles ;
Donnez à leur repos un lit tout en dentelles.

Ce sont vos mains qui font la caresse ici-bas ;
Croyez qu’elles sont soeurs des lys et soeurs des ailes :
Ne les méprisez pas, ne les négligez pas,
Et laissez-les fleurir comme des asphodèles.

Portez à Dieu le doux trésor de vos parfums,
Le soir, à la prière éclose sur les lèvres,
Ô mains, et joignez-vous pour les pauvres défunts,
Pour que Dieu dans les mains rafraîchisse nos fièvres,

Pour que le mois des fruits vous charge de ses dons
Mais ouvrez-vous toujours sur un nid de pardons.

Et vous, dites, ô vous, qui, détestant les armes,
Mirez votre tristesse au fleuve de nos larmes,
Vieillard, dont les cheveux vont tout blancs vers le jour,
Jeune homme, aux yeux divins où se lève l’amour,
Douce femme mêlant ta rêverie aux anges,

Le coeur gonflé parfois au fond des soirs étranges,
Sans songer qu’en vos mains fleurit la volonté,
Tous, vous dites : « Où donc est-il, en vérité,
Le remède, ô Seigneur, car nos maux sont extrêmes ? »

- Mais il est dans vos mains, mais il est vos mains mêmes.
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Les musées

Entrez dans les palais grands ouverts à la foule;
Un jour limpide y luit, l’heure paisible y coule,
Le pied rit au miroir des parquets précieux,
Et loin, dans le plafonds aussi hauts que les cieux,
Bleu séjour de la muse et du Dieu sous les voiles,
L’œil voit trembler des chars, des luths et des étoiles.

Sous la voûte, sur les paliers,
Par les rampes en fleurs et les grands escaliers,
Un courant d’air vaste circule,
Et douce est la fraîcheur où vous marchez,
Parmi le peuple blanc des marbres recherchés :
Saluez, c’est Vénus ; admirez, c’est Hercule!

Comme vous reposez les yeux,
Ô blancheur sombre des musées!
La fièvre de nos sens expire dans ces lieux,
Et nos âmes y sont largement amusées.

Ô génie, ô lent créateur,
Comme Dieu fait courir la sève dans les arbres,

Tu fais courir la vie aux lignes des beaux marbres;
Et sur la pierre, à la hauteur
Des bras de la statue ou du col de l’amphore,
L’œil croit voir voltiger encore
Les mains illustres du sculpteur

Alors notre cœur se rappelle
Le temps d’Auguste, l’âge où florissait Apelle
Tout ceux dont un laurier pressait le front puissant,
Le pnyx sonore où rit la troupe des esclaves,
Les toges du forum, les plis des laticlaves,
César spirituel ! Sophocle éblouissant!

Rome. Athènes Ô palais que la colline élève !
Vous, Romains, vous sculptez à la pointe du glaive
Et vous qui soupez chez les dieux,
Vous possédez la grâce et vous la versez toute,
Athéniens, et c’est chez vous que l’âme écoute
Le grand hymne muet qui chante pour les yeux,
Le long des lignes, sous la voûte
De vos temples mélodieux.

Des anciens, endormis au bruit frais des fontaines,
Les âmes en rêvant se promènent ici,
Caressant tous les fronts d’un regret adouci,
Et font, sur les lèvres hautaines
Des Romains et des Grecs et de Tibère aussi,
Chuchoter un long flot de paroles lointaines.

Ô belle antiquité, toute nouvelle encor!
Berce-nous de tes bons murmures,
Comme une abeille d’or,
Que l’été de Paris prendrait aux roses mûres
Pour la jeter en Prairial,
Grisée
Et bourdonnante, autour de la salle apaisée,
Où, visiteur royal,
Par la vitre embrasée au feu de ses prouesses,
Le baiser du soleil vient dorer les déesses.
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L'âme

Comme un exilé du vieux thème,
J'ai descendu ton escalier ;
Mais ce qu'a lié l'Amour même,
Le temps ne peut le délier.

Chaque soir quand ton corps se couche
Dans ton lit qui n'est plus à moi,
Tes lèvres sont loin de ma bouche ;
Cependant, je dors près de Toi.

Quand je sors de la vie humaine,
J'ai l'air d'être en réalité
Un monsieur seul qui se promène ;
Pourtant je marche à ton côté.

Ma vie à la tienne est tressée
Comme on tresse des fils soyeux,
Et je pense avec ta pensée,
Et je regarde avec tes yeux.

Quand je dis ou fais quelque chose,
Je te consulte, tout le temps ;
Car je sais, du moins, je suppose,
Que tu me vois, que tu m'entends.

Moi-même je vois tes yeux vastes,
J'entends ta lèvre au rire fin.
Et c'est parfois dans mes nuits chastes
Des conversations sans fin.

C'est une illusion sans doute,
Tout cela n'a jamais été ;
C'est cependant, Mignonne, écoute,
C'est cependant la vérité.

Du temps où nous étions ensemble,
N'ayant rien à nous refuser,
Docile à mon désir qui tremble,
Ne m'as-tu pas, dans un baiser,

Ne m'as-tu pas donné ton âme ?
Or le baiser s'est envolé,
Mais l'âme est toujours là, Madame ;
Soyez certaine que je l'ai.
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EN FORÊT


Dans la forêt étrange c’est la nuit ;
C’est comme un noir silence qui bruit ;

Dans la forêt, ici blanche et là brune,
En pleurs de lait filtre le clair de lune.

Un vent d’été, qui souffle on ne sait d’où,
Erre en rêvant comme une âme de fou ;

Et, sous des yeux d’étoile épanouie,
La forêt chante avec un bruit de pluie.

Parfois il vient des gémissements doux
Des lointains bleus pleins d’oiseaux et de loups ;

Il vient aussi des senteurs de repaires ;
C’est l’heure froide où dorment les vipères,


L’heure où l’amour s’épeure au fond du nid
Où s’élabore en secret l’aconit ;

Où l’être qui garde une chère offense,
Se sentant seul et loin des hommes, pense.

- Pourtant la lune est bonne dans le ciel
Qui verse, avec un sourire de miel,

Son âme calme et ses pâleurs amies
Au troupeau roux des roches endormies.

Pièce parue à la Renaissance, le 14 septembre 1873.
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