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3.59/5 (sur 44 notes)

Nationalité : Iran
Né(e) à : Abadan , 1956
Biographie :

Ghazi Rabihavi est un romancier, auteur dramatique et cinéaste iranien.

Il s’installe à Téhéran à l’âge de 22 ans, au moment où la révolution éclate. Dès les années 80, alors que l’Iran entre en guerre avec l’Irak, il publie ses premières nouvelles.

Après une incarcération à Evin et l’interdiction de l’Association des Écrivains d’Iran, il anime des ateliers d’écriture avec Houchang Golchiri, un des chefs de file du roman persan moderne. Sa nouvelle "La Fosse" suscitant la polémique, il se tourne alors vers l’écriture de scénario et collabore avec le cinéaste Ebrahim Golestan.

En 1994, Rabihavi, interdit de publication, finit par s’exiler à Londres en 1995 où il partage ses activités entre le roman, le théâtre et le cinéma.

Il est nominé pour le Prix Médicis étranger 2020 pour son roman "Les garçons de l’amour", une histoire d’amour entre deux garçons.
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Source : www.festivalvo-vf.com
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Citations et extraits (103) Voir plus Ajouter une citation
Une fois rentrés chez nous, nous prîmes la décision d’aller coûte que coûte trouver Mahine pour lui annoncer la maladie de son père.

Le quartier dans lequel elle vivait était célèbre sous le nom de Dowb.
Nous ne savions pas ce que ce nom signifiait. Nous savions seulement que
c’était le quartier des bordels. C’était un vendredi après-midi ensoleillé. S’il
n’y avait eu toute cette fumée et cette odeur de pneu brûlé, on aurait pu dire
que c’était un magnifique vendredi après-midi. Tout en marchant, nous nous
remémorions tous les cinémas où nous avions été et tous les beaux films
que nous y avions vus. Nadji adorait voir chanter Fardine. Il ne pouvait
croire que ce n’était pas sa voix, qu’il chantait seulement en play-back, que
c’était en fait Iradj qui chantait à sa place. Parfois c’était Aref. Même sa
voix était doublée par un autre récitant.
— Quelqu’un d’autre récite à sa place ? s’étonnait-il. Tu te moques de
moi ?
— À la place de Fardine et aussi à la place de Behrouz Vossoughi.
— Tu vas me dire maintenant que quelqu’un dansait aussi à la place de
Forouzan, pas vrai ?
Nous blaguions ainsi pour rendre le chemin plus court et le temps
moins long. On nous avait dit que le quartier de Dowb se trouvait le long du
fleuve. Nous marchions dans cette direction tout en demandant notre
chemin ici et là. Un des gars que nous avions interrogé se mit à rire.
— Vous arrivez un peu tard les gars ! Le quartier a été bouclé et
aucune fille n’ose plus travailler. Il va falloir trouver une autre solution pour
votre affaire ! Le mieux c’est de revenir à ce bon vieux savon !
Le gars s’éloigna tout en continuant à rire. Mais bon, il nous avait
quand même indiqué la rue principale pour y arriver.
Le quartier était fait de deux rues qui communiquaient entre elles,
fermées par un portail en fer. Le bout de la rue était clos et toute issue
bloquée. Le portail était ouvert à présent, laissant passer des filles qui
sortaient en courant car le quartier était en feu. Une épaisse fumée noire
recouvrait tout. On entendait hurler de partout. Des motards sortirent en
trombe par le portail au cri strident d’Allah Akbar. Ils ressemblaient
parfaitement à tous ceux que nous avions déjà vus ailleurs. Comme dans un
affreux western. Les motards étaient ces soldats blancs à cheval qui
attaquaient les tentes des peaux-rouges désarmés et sans défense, obligés de
fuir. Femmes et enfants sortaient en courant, poussant des hurlements. Les
femmes tombaient sous les coups de pied des motards puis se relevaient
pour courir encore, sans savoir quelle direction prendre.
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Nadji et moi, nous rentrions de chez Amrollah Khan. Les bus
urbains étaient en grève. Nous avions décidé de rentrer à pied sans nous
presser. On ne pouvait même pas aller au cinéma car après l’incendie, tous
les autres cinémas avaient fermé par sécurité. On avait déjà fermé la
piscine. Tous les lieux de divertissements fermaient aussi les uns après les
autres. On ne pouvait même plus se promener tranquillement dans le parc
municipal. C’était devenu un lieu de rassemblement et de discours
politiques. On ne trouvait plus un seul banc où s’asseoir. On avait arraché
les balançoires. On avait pissé sur les toboggans. On entendait hurler
partout. Le ciel était noirci par la fumée des pneus incendiés. Derrière nous
s’élevait le vrombissement des motards qui allaient et venaient. Ils portaient
des uniformes kaki. Ils semblaient se ruer pour aller mettre le feu quelque
part, ou bien c’était qu’ils en revenaient. Notre maison était encore loin.
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Après la mort d’Amrollah Khan, nos vendredis étaient devenus
désœuvrés. Nous n’avions rien d’autre à faire que de rester à la maison. La
plupart du temps, Nadji s’exerçait tout seul au violon. Les sorties le
vendredi étaient devenues dangereuses. Surtout depuis que la révolution et
les hezbollahis 23 avaient triomphé. Maintenant tous les vendredis, ils
sortaient de chez eux sous prétexte de participer à la prière. Leur plus
grande distraction était de scruter tous les visages de ceux qui se faisaient
repérer comme suspects pour leur coller l’étiquette de contre-
révolutionnaire et de les passer à tabac avant d’abandonner leur corps inerte
et de quitter le quartier. Cette situation n’empêchait pas Nadji de sortir en
me disant :
— Si tu veux, tu peux venir voir où je vais !
— Eh bien où vas-tu ?
— Je vais voir les exécutions des officiers et des policiers du Shah. Tu
ne peux pas savoir comme c’est amusant de les voir dès le matin tous
alignés contre le mur avant d’être abattus par la rafale de mitraillette. Tak-
tak-tak !
— Comment peux-tu trouver plaisir à voir fusiller des hommes
entravés et leur sang couler sur l’asphalte de l’avenue ?
— Des gens entravés ? Tu as donc oublié cette nuit où ils nous
frappaient ? À ce moment-là ils n’avaient ni les mains ni les pieds liés !
— Ce que je sais en tout cas, c’est que ça ne fait aucun bien de voir de
tels spectacles ! Ça s’imprime dans ton cerveau et ça peut te poursuivre
pendant longtemps pour finir en cauchemars. Tu n’es pas un assassin pour
que ces choses te paraissent normales ou le deviennent dans le futur.
— Si c’est nécessaire que quelqu’un devienne un assassin à cause de
ses idées, où est le problème ? Petit à petit, ça devient une habitude, et
alors ? Un homme ne doit pas avoir peur du sang. Voir du sang, ça vous
tanne le cuir !
— S’il te plaît, ne me parle pas de ça ! lui dis-je en me détournant. Tu
peux être tout seul un homme courageux !
— Je vais voir le spectacle au cas où j’aurais la chance d’y retrouver
un des policiers de cette nuit-là. N’importe lequel fera l’affaire. Par
exemple, celui qui m’a donné la dernière gifle. Oh mon Dieu ! Serait-il
possible de le voir debout contre le mur en train de supplier qu’on
l’épargne ?
Puis il se mit à parler avec un condamné imaginaire. Il lui donnait des
ordres comme s’il était présent dans la scène : « Eh mon vieux ! C’est trop
tard maintenant ! Tiens-toi correctement sinon la balle qui t’est destinée va
frapper celui d’à côté. »
Il riait aux éclats. Cela me faisait une étrange impression. Comme s’il
m’était devenu étranger. Comme si j’avais perdu toute confiance en lui.
Nadji avait changé. Il était devenu sauvage. Cela me faisait terriblement
souffrir. Il me semblait que malgré tout ce qu’il avait dit sur le fait qu’on
vivrait éternellement ensemble, nous étions en train de vivre nos derniers
jours ensemble. Nous passions de longs moments en silence. Je me
demandais comment le ramener à une vie normale. Je ne savais plus ce
qu’il pensait vraiment. Certaines nuits, il sortait du lit et allait s’installer à la
fenêtre pour fumer une cigarette et souffler la fumée par la fenêtre dont il
avait tiré les rideaux.
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Nous avançâmes dans le limon du fleuve jusqu’à la barque de Nadji.
Nous embarquâmes. Behi était restée sur la berge. Elle me faisait des signes
d’adieu en pleurant. Je lui avais menti en lui disant que Nadji ne faisait que
m’accompagner vers l’autre rive. Elle croyait que j’allais à Téhéran. Moi
aussi, je finissais par croire que nous serions obligés d’y aller. Le voyage
vers la capitale était le désir de tout jeune provincial. Nadji et moi, étions
encore sur le fleuve quand le soleil se leva. Je regardais vers le village en
me demandant si jamais j’aurais l’occasion d’y revenir un jour sans craindre
d’y être assassiné. Ce village que j’aimais tant s’était transformé pour moi
en un lieu d’épouvante et d’effroi. Comment en était-on arrivé là ? Cela
devait arriver de toute façon puisqu’on m’y considérait comme un malade.
Hajji avait fini par conclure que j’étais incurable. Je n’étais pas le fils qu’il
attendait. Il aurait dû m’abandonner à la grâce de Dieu. Il ne pouvait
cependant s’y résoudre car j’étais son fils et il fallait au plus tôt régler mon
sort. Le village disparut de ma vue derrière les palmiers.
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Souren, lui aussi, s’imaginait que l’imprimerie qu’il dirigeait était
l’endroit le plus sûr de toute la ville. Le jour où on enterra Amrollah Khan,
Souren faisait les cent pas avec Georges. Ils déambulaient parmi les vieilles
tombes en ciment délabrées. Souren bavardait avec Georges pour le
distraire et l’empêcher peut-être de penser à Ararat.
— Les hezbollahis ne font pas tous les mêmes mauvais raisonnements.
Ils ont raison sur un point : il faut que le pays se dégage de la tutelle
américaine. C’est exactement ce que nous pensons nous aussi. Ils finiront
par comprendre à quel point l’URSS se préoccupe de notre peuple, si ces
salopards de maoïstes veulent bien fermer leur gueule.
Ces propos étaient tout neufs pour Nadji. Pour moi ils l’étaient moins,
j’avais déjà lu ou entendu ce type de raisonnement dans des livres ou dans
la bouche des gens. Ce que j’ignorais c’était quel groupe l’emporterait.
Peut-être aurais-je dû le savoir. Si j’avais seulement prêté attention à ce que
diffusait cette radio étrangère qui était à l’époque la principale source
d’information, j’aurais certainement compris que seuls les hezbollahis
comptaient, que tous les autres étaient de la merde. Ce sont eux qui
réagirent les premiers effectivement. Avec leurs cris et les pétarades de
leurs motos entremêlées d’Allah Akbar.
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La douleur, les milliers de douleurs sans remède qui tous les jours se précipitent dans ma tête pour pouvoir se montrer, chacune leur tour. J'essaie de les coucher par écrit pour qu'elles me laissent tranquille. Le miracle de l'écriture m'attire vers toi avec force, avant de créer entre toi et moi la distance qui me permet d'être délivré de toi qui, pour moi, es à présent devenu un "lui".
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Notre souper consista en pain, fromage et pastèque. Le vieil homme
avait toutes sortes de provisions en réserve dans son sac. Il nous servit trois
verres de whisky et nous trinquâmes. Les bruits d’explosion se
rapprochaient peu à peu. Nous étions environnés de ténèbres que quelques
étoiles scintillantes éclairaient faiblement, à quoi s’ajoutait le reflet dans le
ciel d’un incendie, celui de la raffinerie. Le feu s’intensifiait. On pouvait
croire qu’il faiblissait. Soudain il reprenait de plus belle et les flammes
s’engouffraient dans l’obscurité du ciel comme dans un puits.
Le vieil homme versa un autre verre de whisky à Nadji.
— Prends-ça encore. Eskandar sera bientôt là.
Nadji but ce second verre. Je commençais à être inquiet.
— Je vous en prie, mon cher père, après celui-là, ça suffira.
— À vos ordres, monsieur le docteur !
Nous éclatâmes de rire tous les trois.
Nadji me regarda longuement et affectueusement, avec ce même rire
dans les yeux.
— Monsieur le docteur, puis-je descendre maintenant dans la
tranchée ?
— Bien sûr, répondit le vieil homme. Entre et vois comme c’est
propre. J’ai étendu quelques couvertures pour nous protéger de l’humidité.
Tu peux y aller.
Nadji prit son violon dans le sac et entra dans la tranchée. Il accorda
l’instrument en tirant quelques sons très doux puis se mit à jouer. Bientôt
une sorte de brise légère me rafraîchit le cœur. Le vieil homme fit asseoir sa
fille au bord de la tranchée, les jambes pendant à l’intérieur. La vieille
femme était assise dans un coin, les yeux dans le vague. Moi j’étais allongé
sur le ventre, la tête tournée du côté de l’entrée de la tranchée. J’écoutais
par-dessus l’épaule de Nadji chanter la musique. C’étaient comme des
vagues qui montaient l’une après l’autre. Mon cœur flottait dans cette
houle. Le vieil homme montait la garde au cas où quelqu’un, un milicien, se
rendrait compte de ce qui se passait. Il s’approcha de la tranchée.
— Joue plus fort ! dit-il à Nadji. Un peu plus fort !
La fille se mit à rire. Nadji, tout en jouant, s’était tourné vers nous pour
nous regarder. Comme s’il nous regardait du fond d’un puits. La vieille
femme était dans un autre monde. Un monde très loin d’ici qu’elle
contemplait dans un sourire. Que voyait-elle au-devant d’elle de si
captivant ? Quelque chose de beau, oui, certainement de très beau pour lui
arracher ce sourire de bonheur. La vie peut être remplie de belles choses
qu’on regarde pendant des heures avec plaisir.
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Nadji était dans la barque tandis que j’étais encore à l’extérieur,
enfoncé dans la boue jusqu’en haut des chevilles. Il me regarda gentiment
dans les yeux.
— Ça t’ira très bien de devenir quelqu’un d’important, bien éduqué.
Nous demeurâmes tous les deux en silence pendant un moment.
— Bon ! dit-il finalement, j’ai fini par ici. Il faut que j’y aille.
Quelqu’un attend que je lui livre le foin pour ses bêtes. Et toi tu fais quoi ?
— Moi aussi, il faut que je rentre à la maison. On doit être en train de
me chercher. Mais tu sais…
Je ne finis pas ma phrase. Il me fixait du regard, attendant la suite,
appuyé sur la perche qui lui servait à déplacer sa barque.
— Mais quoi ? Tu nous as laissé en plan. Tu voulais dire quoi ? Dis !
— Non, répondis-je en riant, c’est que j’aurais envie de monter un
moment dans ta barque et qu’on fasse un petit tour pas trop loin, juste par
ici.
— Alors, qu’est-ce que tu attends pour monter ?
— Mais avec mes pieds, je vais salir ta barque.
— La boue ce n’est pas sale, tu sais, c’est juste de la terre mouillée.
Tes pieds ne sont pas pires que les miens. Ne me fais pas attendre. Allez,
monte ! Le soleil est bientôt couché.
L’écouter parler de cette voix chaleureuse était pour moi une
expérience nouvelle dans ma vie. Jusqu’alors aucun garçon de mon âge ne
m’avait parlé avec une voix à la fois virile, grave et affectueuse. Nadji me
regardait comme s’il me connaissait depuis des années. Je lui souris en
agrippant le bord de la barque mais au même instant celle-ci se mit à
tanguer et à rouler dangereusement avec son seul passager appuyé sur sa
perche. Affolé, je m’étais reculé, me cachant les yeux pour ne pas voir le
naufrage que j’avais provoqué. J’ouvris un œil entre deux doigts ; je le vis
enfoncer vivement sa perche dans la vase du bord. Avec maestria mais non
sans un déploiement de force, il parvint à retenir la barque et à l’empêcher
de chavirer. L’embarcation retrouva son équilibre. J’ôtai les mains de mes
yeux. Je le vis debout sur le fond de la barque, riant aux éclats.
— Excuse-moi, lui dis-je.
— Moi aussi, au début, quand je ne savais pas monter dans la barque,
je provoquais la même catastrophe. Pas de mal ? Tu as eu peur ? Bon !
Donne-moi ta main et grimpe.
Je mis ma main dans la sienne. Quelle étrange sensation ! Le feu
dévorait sa main et les flammes se propageaient dans la mienne, remontant
par toutes mes veines jusqu’à mon cœur.
— Accroche-toi, on démarre !
Je m’assis sur la barre centrale en m’agrippant des deux mains.
— Prêt ?
— Prêt !
Notre barque immobile se mit en branle. Nadji enfonça sa perche dans
la vase de la rive et lança la barque en avant de toute sa force. À chaque
mouvement de la perche correspondait un mouvement de la barque qui
l’éloignait du point d’appui. Nadji retirait la perche avant de l’enfoncer un
peu plus loin vers l’avant. Ainsi nous avancions sur l’eau. Face à nous le
ciel et l’eau se mêlaient sur une ligne commune vers laquelle glissait le
soleil comme un gros ballon jaune jusqu’à s’enfoncer derrière la ligne avant
de disparaître. J’aurais aimé que notre barque avance ainsi jusqu’à cette
ligne pour y voir sombrer le soleil. Quel miracle que ce lever du soleil,
chaque matin, accompagnant le flux qui grossissait les eaux du fleuve, et
chaque soir, au crépuscule, le reflux qui le vidait, encore et encore.
— Bon, il faut qu’on rentre, s’écria Nadji !
— Où ça ?
— Là d’où on est partis ! Là où tu as embarqué. C’est ma direction, et
c’est aussi la tienne, vers chez toi. Et puis, c’est là que tu as laissé tes
chaussures.
— Oh ! J’avais oublié !
— Alors assieds-toi solidement car on vire de bord.
Nadji opéra le demi-tour. Nous refîmes le chemin inverse. En route,
nous aperçûmes les mêmes jeunes filles qu’à l’aller. Elles n’avaient pas de
barque. Elles rentraient chez elles les bottes de foin sur la tête. On ne voyait
pas leur visage ; même leur poitrine était ensevelie sous le foin. Nadji fit
accoster la barque devant quelques marches de béton qui donnaient accès à
la rive.
— Tu te rappelles où tu as laissé tes chaussures ?
— Là-bas, derrière le banc de sable, sous le jujubier.
— Lave-toi bien les pieds avant d’enfiler tes chaussures, ok ?
— J’irai pieds nus jusqu’à la maison et je les laverai tranquillement là-
bas !
— Si quelqu’un, ton père par exemple, te demande où tu étais passé,
qu’est-ce que tu vas dire, hein ?
— Eh bien ! Je dirai que j’étais ici avec toi.
— Mais ça, il ne faut pas le dire ! Ce n’est pas toujours bon de dire la
vérité, et jamais ce qu’il y a de mieux !
Je compris rapidement que je ferais mieux de m’en remettre à sa
prudence. Il était évident que l’expérience de la vie l’avait rendu vigilant et
raisonnable.
— Alors toi tu penses que…
— Moi je dis : saute d’abord de cette barque, coupa-t-il, et reste sur ce
bloc de béton, sur le gros.
Je descendis du canot avec précautions, en tenant sa main, puis j’allai
prendre position sur le gros bloc de béton qu’il m’avait indiqué.
— Maintenant, je vais verser de l’eau sur tes pieds et toi tu vas les
laver proprement.
Il prit au fond de la barque un récipient, une sorte de bol en plastique,
le plongea dans le fleuve pour le remplir d’eau qu’il versa doucement sur
mes pieds. Je relevai le bas de mon pantalon jusqu’au genou.
— Bien ! Toi ne te baisse pas. Tiens-toi juste debout pendant que je te
lave et que j’enlève la boue.
Je voulus refuser, lui dire que je pouvais très bien me laver tout seul
mais à la façon qu’il s’était baissé pour me laver les pieds, une sensation de
plaisir envahissant tout mon corps me livra entre ses mains qui se
baladaient voluptueusement sur mes pieds nus.
— Cette jeune femme qui était avec toi, c’est ta fiancée ?
Pourquoi posait-il la question ? Voulait-il simplement me taquiner, ou
bien cherchait-il à lire entre les lignes quelque chose de plus important ?
— C’est ma sœur Behi, la femme d’Hamed.
— Eh ! Hamed est le mari de ta sœur, tu m’en diras tant !
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Il riait aux éclats. Cela me faisait une étrange impression. Comme s’il
m’était devenu étranger. Comme si j’avais perdu toute confiance en lui.
Nadji avait changé. Il était devenu sauvage. Cela me faisait terriblement
souffrir. Il me semblait que malgré tout ce qu’il avait dit sur le fait qu’on
vivrait éternellement ensemble, nous étions en train de vivre nos derniers
jours ensemble. Nous passions de longs moments en silence. Je me
demandais comment le ramener à une vie normale. Je ne savais plus ce
qu’il pensait vraiment. Certaines nuits, il sortait du lit et allait s’installer à la
fenêtre pour fumer une cigarette et souffler la fumée par la fenêtre dont il
avait tiré les rideaux.
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Finalement, je sentis se
mouvoir dans le corridor une présence familière qui s’approchait de mon lit.
Avant cela, j’avais vu passer un groupe de femmes vêtues d’une épaisse
cape noire qui leur couvrait le corps de la tête aux pieds. Mes yeux étaient
rivés vers le couloir. Il s’avançait d’un pas lent et hésitant car il ne
connaissait pas les lieux et s’attendait à devoir tourner quelque part. Il n’y
avait pas de bifurcation possible dans cette immense salle. Il suffisait d’aller
tout droit. Tout en s’avançant, il observait les visages des malades allongés
ou assis dans leur lit. Il me cherchait. Il ignorait qu’il aurait du mal à me
reconnaître. L’infirmier était déjà parti quand Nadji arriva près de moi, avec
sa chemise blanche impeccable, la tête recouverte d’un keffieh, comme tous
les hommes de la région.
— Oh ! Nadji ! Où est-ce que tu vas ?
Son corps pivota sur lui-même. Il ne voyait pas d’où venait la voix. Il
regarda tout étonné cet amas de bandages et de voiles qui me masquaient le
visage. Il n’avait pas encore pu voir mes yeux. Il interrogea les bandages :
— Djamil ?
Je lui souris. Mais je suppose qu’il n’en vit rien.
— Rapproche-toi ! lui dis-je.
Et soudain je vis son visage s’épanouir de bonheur. Il fit un bond et se
planta en face de moi. Cette fois, son « Djamil ! » fut prononcé entre deux
sanglots. Il fondit en larmes.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Comme s’il cherchait à se retenir de tomber, il se précipita pour
s’asseoir au bord de mon lit. Il me prit la main, il la pressa et la baisa. Il
frotta la paume de ma main sur tout son visage. Je sentis sur mes doigts le
contact de ses joues baignées de larmes. Je compris qu’il savait tout de ce
qui m’était arrivé. C’est pourquoi je ne lui donnai pas d’explication.
— Comment as-tu su ? Qui t’a prévenu que j’étais ici ?
— Nosrat. Il m’a dit ne pas avoir beaucoup de détails. Que lui-même
l’avait appris par quelqu’un d’autre. Il ne m’a pas dit qui. Alors, il m’a
donné l’adresse de cet hôpital. On a posté un gendarme à l’entrée juste pour
toi. Quand il a compris que je venais te voir, il m’a bombardé de questions.
Il m’a demandé mon nom et mes coordonnées et il a tout noté. Après, il
faudra que j’aille me présenter au commissariat.
— Alors tu t’es mis dans ce pétrin à cause de moi ?
— Je ne pense pas que ce soit très important. Le type m’a dit qu’on
allait seulement me poser quelques questions à ton sujet. C’est tout. Il ne
m’a rien dit de plus.
inalement, je sentis se
mouvoir dans le corridor une présence familière qui s’approchait de mon lit.
Avant cela, j’avais vu passer un groupe de femmes vêtues d’une épaisse
cape noire qui leur couvrait le corps de la tête aux pieds. Mes yeux étaient
rivés vers le couloir. Il s’avançait d’un pas lent et hésitant car il ne
connaissait pas les lieux et s’attendait à devoir tourner quelque part. Il n’y
avait pas de bifurcation possible dans cette immense salle. Il suffisait d’aller
tout droit. Tout en s’avançant, il observait les visages des malades allongés
ou assis dans leur lit. Il me cherchait. Il ignorait qu’il aurait du mal à me
reconnaître. L’infirmier était déjà parti quand Nadji arriva près de moi, avec
sa chemise blanche impeccable, la tête recouverte d’un keffieh, comme tous
les hommes de la région.
— Oh ! Nadji ! Où est-ce que tu vas ?
Son corps pivota sur lui-même. Il ne voyait pas d’où venait la voix. Il
regarda tout étonné cet amas de bandages et de voiles qui me masquaient le
visage. Il n’avait pas encore pu voir mes yeux. Il interrogea les bandages :
— Djamil ?
Je lui souris. Mais je suppose qu’il n’en vit rien.
— Rapproche-toi ! lui dis-je.
Et soudain je vis son visage s’épanouir de bonheur. Il fit un bond et se
planta en face de moi. Cette fois, son « Djamil ! » fut prononcé entre deux
sanglots. Il fondit en larmes.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Comme s’il cherchait à se retenir de tomber, il se précipita pour
s’asseoir au bord de mon lit. Il me prit la main, il la pressa et la baisa. Il
frotta la paume de ma main sur tout son visage. Je sentis sur mes doigts le
contact de ses joues baignées de larmes. Je compris qu’il savait tout de ce
qui m’était arrivé. C’est pourquoi je ne lui donnai pas d’explication.
— Comment as-tu su ? Qui t’a prévenu que j’étais ici ?
— Nosrat. Il m’a dit ne pas avoir beaucoup de détails. Que lui-même
l’avait appris par quelqu’un d’autre. Il ne m’a pas dit qui. Alors, il m’a
donné l’adresse de cet hôpital. On a posté un gendarme à l’entrée juste pour
toi. Quand il a compris que je venais te voir, il m’a bombardé de questions.
Il m’a demandé mon nom et mes coordonnées et il a tout noté. Après, il
faudra que j’aille me présenter au commissariat.
— Alors tu t’es mis dans ce pétrin à cause de moi ?
— Je ne pense pas que ce soit très important. Le type m’a dit qu’on
allait seulement me poser quelques questions à ton sujet. C’est tout. Il ne
m’a rien dit de plus.
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