Il y a du bruit.
Il y a des rires, des larmes, des coeurs qui battent.
J'entends ma maison vivre à nouveau.
C'est dangereux, l'imagination.
C'est dangereux, l'espoir.
Je m'y engouffre.
p 79 "Je repense à un poème signé mère Teresa et récité il y
a quelques heures, lors de la cérémonie.
La vie est beauté, admire-la
La vie est félicité, profites-en
La vie est un rêve, réalise-le
La vie est un défi, relève-le
La vie est un devoir, fais-le
La vie est un jeu, joue-le
La vie est précieuse, soigne-la bien
La vie est richesse, conserve-la
La vie est amour, jouis-en
La vie est un mystère, pénètre-le
La vie est une promesse, tiens-la
La vie est tristesse, dépasse-la
La vie est un hymne, chante-le
La vie est un combat, accepte-le
La vie est une tragédie, lutte avec elle
La vie est une aventure, ose-la
La vie est bonheur, mérite-le
La vie est la vie, défends-la
En choisissant ce poème, je leur fais la promesse de
rester debout."
Ceux qui savent ne m'envoient pas de mail.
Ils s'endorment chaque soir en essayant d'oublier les secrets qu'ils portent.
Je ne les connais pas, tandis qu'eux me connaissent. À la télévision, ils ont vu mon visage, entendu mes appels.
Ceux qui savent ont l'obligation de se taire.
C'est ainsi.
Je suis convaincu que le MH370 a été abattu, par une entité ou un État qui est aujourd'hui dans l'impossibilité de le reconnaître.
Je pense à eux. Ils vivent dans ce monde sachant que le Boeing 777-200ER Vol MH-370 immatriculé 9M-MRO ne s'est jamais volatilisé.
L'être humain est pétri d'habitudes. Elles sont douillettes, ces habitudes. On ne s'en rend même plus compte. D'ailleurs, lorsqu'on est heureux, on ne se rend plus compte de rien. Les gens heureux consultent rarement les psychiatres. Les scientifiques ne font pas de thèses sur eux, ils ne leur consacrent pas non plus de colloques. La plupart des études prennent le problème dans l'autre sens. Elles décortiquent les névroses, les aliénations, les dépressions. Les psychiatres s'en foutent d'analyser la vie des gens heureux. Sans doute parce que les gens heureux ont autre chose à faire que de converser sur leur sort. Les gens heureux vivent. A moins d'avoir été malheureux un temps, et de pouvoir en saisir les différences, ils n'ont que faire de transmettre leur expérience. Lorsqu'on va bien, le temps passe vite, il roule, il coule, il se déplie naturellement. Être heureux, c'est simple. On ne chavire pas de bonheur. Il n'y a pas d'ivresse. Être heureux s'apparente finalement à une succession de moments parfaitement ordinaires.
Je passe du choc au déni, du marchandage à la colère, de la sidération à l'acceptation. La préparation de la cérémonie m'aide à "accepter". Mais rien dans ce qui se passe n'est normal. Pas de crash, pas d'indice, pas de corps, pas de témoin. Bientôt, on parlera de la disparition du vol MH370 comme de la plus grande énigme de l'histoire de l'aviation.
"Comment faites-vous pour tenir ?"
Souvent je réponds :
"Parce que je n'ai pas d'autre choix. J'ai un merveilleux fils. Pour lui, pour nous, je dois tenir."
Le Dr Schmit m’affirme que le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s’est entretenu avec son homologue malaisien afin de faire le point sur l’avancée
des opérations de recherche. » … « Le Dr Schmit tente sincèrement de m’apporter des réponses, même si ce dossier est opaque, pour lui comme pour moi.
Avec le temps, nos échanges se sont espacés. Petit à petit, j’ai moins entendu parler de ce « monsieur Psy » comme je l’appelais, même s’il n’était pas psy en tant
que tel. » … » J’ai oublié beaucoup de choses, mais ce Dr Schmit, je m’en souviens. Il m’a parlé pendant de longues semaines. Ses réponses étaient intelligentes,
concernées. Cet homme m’a aidé. J’ai croisé son nom par hasard, fin janvier 2015, dans un article du Figaro, peu de temps après les attentats de Charlie Hebdo. Interrogé par une journaliste, il explique
les difficultés de son métier. Un sacerdoce. Mobilisée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la cellule interministérielle dont il fait partie informe, porte et aide les familles endeuillées. Au milieu de l’article, le médecin du
Quai d’Orsay évoque son pire souvenir. Sans doute parce que la journaliste lui a posé la question. « Mon pire souvenir, c’est celui du vol MH370 de la Malaysia Airlines. Parce que trop de questions restèrent
en suspens…» répond-il.
On est en 2014 et un Boeing 777 est un monstre de technologie. Il ne peut pas s'être volatilisé comme ça. Sur le papier, c'est incompréhensible. Et pourtant, c'est arrivé.
Cela parait peut-être puéril, mais j'ai l'impression d'avoir vécu cinquante ans dans un monde tout rose où rien ne pouvait m'arriver. Aujourd'hui, j'ai compris que notre monde est plutôt noir et je veux aller voir cette face sombre cachée au grand public. Je veux pouvoir m'entretenir avec des gens qui m'expliquant tout ça. Des gens auxquels je n'aurais jamais accès si je me cantonne à ma vie habituelle de cadre en grande entreprise et de père de famille.
Seul, dans cette maison vide de mes disparus, mes mains agrippées au rebord de l'évier de la cuisine, mon cœur bat à tout rompre. Je me force à me tenir droit pour respirer. Si je monte à l'étage, je vais voir leurs armoires, leurs vêtements, leurs housses de couette. J'ai peur de sentir leurs parfums. Je me force.