Citations de Hélène Jousse (43)
Une laide, ça fait comment pour vivre ? ça n'attire pas l'attention, ça longe les murs, ça s'habille sans couleurs.
Son mari était volage. Mais il rentrait au bercail à chaque fois. Et c'était mieux que rien, voilà ce qu'elle se disait.
Je compris qu'elle s'était peu à peu éteinte à force de se résigner. La peur de perdre ce qu'elle avait déjà lui avait tout fait perdre, sa vitalité.
Pourquoi une nouveauté serait-elle plus attirante qu'un livre écrit depuis longtemps ? Le nouveau n'est pas plus beau, ni plus surprenant.
Louis accompagne souvent sa mère au "lavoir des médisances".
Quoi de plus sûr pour ne pas exister que de ne plus exister dans le regard des autres ? Comme les tout petits enfants qui croient, en se cachant le visage de leurs deux mains jointes, qu’on ne les voit plus parce qu’ils ne voient plus. Mais que se passe-t-il lorsque c’est la vilaine main noire du destin qui bande à jamais les yeux des enfants ?
Les mains de Louis Braille ne sont pas des mains, elles sont la prunelle des yeux du monde aveugle !
Cette minute de trop, Simon ne se la pardonnera jamais. Elle va pourtant faire de la vie de son fils un destin. Qu’est-ce qu’un destin, sinon une vie qui fait basculer celles des autres ?
Lorsqu'on ne voit pas, comment savoir qu'on n'est pas seul ? Les aveugles jettent dans l'obscurité des mots dont ils guettent les ricochets sonores.
Même si on sait tous que la vie n'est pas dans les livres, il y a dans les livres quelque chose que l'on ne trouve pas ailleurs dans la vie. Et des gens qu'on ne peut pas connaître autrement. Et toi tu es curieux, mon Louis. C'est vaste à l'intérieur de toi. Il y a de la place pour beaucoup de choses, beaucoup de gens, beaucoup de mots. Je sais bien que ton papa et moi, on n'aurait pas suffi à remplir tout ça.
Je me suis toujours réjouie que les manuels de conjugaison aient le bon goût de choisir comme premier de tous les verbes celui qui dit l’amour. On découvre le premier groupe avec le verbe Aimer. On découvre le temps d’aimer. On s’interroge, perplexe, sur la dose d’amour qui reste encore lorsqu’on dit « que j’eusse aimé ». On constate qu’il n’y a rien de plus triste qu’un infinitif passé, « avoir aimé... » Tout finit-il ?
Tout repose sur les mains de Louis, ce sont des mains qui voient, ce furent les premières mains à lire, c'est un morceau de corps glorieux qu'on s'arrache, c'est la nuit qu'on traverse. Elles ne lui appartiennent plus dès lors qu'elles deviennent un symbole.
Je me suis toujours réjouis que dans les manuels de conjugaison aient le bon goût de choisir comme premier de tous les verbes, celui qui dit l'amour. On découvre le premier groupe avec le verbe Aimer. On découvre le temps d'aimer. On s'interroge, perplexe, sur la dose d'amour qui reste encore lorsqu'on dit "que j'eusse aimé". On constate qu'il n'y a rien de plus triste qu'un infinitif passé, "avoir aimé..." Tout finit-il ? Je n'ai jamais eu envie de passer au deuxième groupe...
Comment s'en sortir dignement avec les grosses lettres gaufrées, lorsqu'au lieu de lire, on en est réduit à ânnoner comme un enfant de cinq ans qui viendrait de découvrir l'alphabet.
(...)
Il ne veut pas de ça, Louis, il veut du mieux, du beaucoup mieux, et s'il osait dire du pareil... Oui, du pareil à eux, ceux qui voient, ceux qui lisent. Que ce soit tout pareil dans leur tête d'aveugle, plein de mots, d'images de mots, de pensées de mots. On ne peut rien sans les mots. On ne peut rien sans lire les mots.
Mme Braille s'en veut aussi pour une autre raison. Elle n'a pas dit un mot à son mari de ce qu'elle manigançait, préférant endosser seule la responsabilité de cette idée saugrenue. Mais, pour être tout à fait honnête, c'était aussi pour éviter qu'il ne s'oppose à son projet. Elle voulait le mettre devant le fait accompli. Et maintenant, elle ne sait plus ce qu'elle redoute le plus, l'irruption de son mari, ou celle de l'officier. Elle sent bien qu'elle a enfreint les règles tacites qui ont toujours huilé les rouages de leur vie de couple. Elle n'en est pas fière.
Simon est le premier à arriver. Leurs regards se croisent et il espère qu'elle ne voit pas la colère qui s'empare soudain de lui et qu'il s'évertue à masquer. C'est curieux cette coexistence en lui d'une rage provoquée par sa femme et d'un besoin de la soutenir, malgré tout. C'est peut-être ça un couple, des contradictions qui coexistent pacifiquement, pouvoir détester et dans le même temps continuer à aimer. Il désapprouve le risque que leur fait prendre Monique mais là il faut faire front, être deux.
- Constance, on ne peut pas raconter un truc qu'on n'a pas vécu. Quand vous montrez la mère de Louis qui imagine le pire en voyant le mec arriver vers elle, c'est que vous avez déjà ressenti cette peur-là, au moins une fois, pour la vie de quelqu'un.
Je ne suis pas d'accord. Je sais que je peux raconter "un truc" qui ne m'est jamais arrivé et ne m'arrivera jamais. Pour moi c'est ça, justement, être écrivain.
La souffrance ne prend pas toujours un visage spectaculaire. Elle est plus souvent muette que criante.
Quand la beauté est trop grande, on n’a plus le choix, il faut la partager
Je me mets à penser qu’on ne peut pas faire de grandes choses lorsqu’on est vraiment seul. On dit qu’il faut un concours de circonstances pour qu’une grande chose advienne. Sans doute. Mais il faut surtout un concours de belles-âmes autour de celui qui invente.
Les mains de Louis Braille ne sont pas des mains, elles sont la prunelle des yeux du monde aveugle !