Ma propre attitude envers le suicide de Mishima est ambivalente. Il m'inspirait à la fois une émotion profonde et de la répulsion. Mishima avait été un ami d'un grand charme, d'une grande générosité, de beaucoup d'esprit ; il avait le don de persuader aux gens qu'il rencontrait qu'eux seuls comptaient pour lui ; doté d'une extraordinaire énergie, il donnait à ceux d'entre nous qui ne possédaient qu'une fraction de sa vitalité le sentiment de n'être que de pâles vermisseaux. Son atout majeur était son intelligence. Presque seul parmi les intellectuels japonais modernes, il était familiarisé avec la culture occidentale et avec la culture japonaise classique. Il avait en outre un considérable sens de l'humour. Une soirée en sa compagnie passait comme un rêve, cependant qu'il égrainait les anecdotes sur les événements et les personnalités du Japon. Son trait le plus frappant, d'après ma propre expérience, était sa faculté d'empathie avec autrui, son aptitude à comprendre la pensée d'autrui et à y répondre. Aucun de mes amis japonais ne possédait ne fût-ce qu'un atome de cette étrange adresse à connaître ce qui se passait dans mon esprit. Qu'il eût mis fin à ses jours me parut ensuite, des mois durant, un fait totalement inconcevable, inimaginable. Lorsque enfin, après de multiples tentatives, je parvins à rédiger un compte-rendu de son suicide - qui forme le premier chapitre du présent livre - j'eus un terrible cauchemar. Je rêvai que Mishima venait chez moi, à Glastonbury, en Angleterre, et frappait à la porte. Quand je le vis là debout, je l'abattis à coups de pioche. En réalité son suicide, son meurtre de soi-même, me révolta longtemps ; je ne parvenais pas à voir là-dedans quoi que ce fût de beau. J'aimais Mishima, et j'avais le sentiment d'avoir été trahi par sa mort (il me fallut dominer un tel sentiment avant de pouvoir être assez objectif pour entreprendre les recherches nécessaires à ce livre). Beaucoup de ceux qui le connaissaient eurent des réactions similaires. Son biographe japonais, Takeo Okuno, a rapporté que Mishima lui donna des cauchemars durant deux ou trois cents nuits d'affilée ! Et, de fait, il avait une personnalité d'une force extraordinaire. Sinon, comment eût-il exercé un tel impact sur ceux qui le connaissaient - ou le lisaient ?