Citations de Hervé Prudon (125)
Quand il y a trop de passage dans ma tête, je détourne le trafic vers la culture potagère. Il faut désherber son jardin.
J'ai suivi le stylo dans sa fuite.
Plus jeunes on écumait les fêtes comme Bonnie and Clyde se faisaient les banques.
C'est vraiment quelque chose, la mélancolie, ça vous expose aux pissenlits.
ça nous a rien rapporté, dit Gina, la conne attitude. On est des cloches. Surtout toi. Des fois, je me dis que tu m'as a porté la poisse.
- C'est comme au Casino.
- Le seul Casino que je connaisse, j'y ai été deux mois vendeuse au rayon fromages.
Le bar tabac de la gare s'appelle l'Arsenic, à cause d'Arsène et Monique, les patrons.
Beaucoup de schizophrènes.
- Mais beaucoup d'autres accélèrent, ai-je dit.
Si ça se trouve, dis-je, les voisins sont des gens heureux.
- Qu'est-ce que t'en as à foutre, demande Gina.
- Rien, dis-je.
- Alors ferme ta gueule, dit Franck.
- Laisse pisser, dis Gina, on est encore en république.
- C'est vrai, dit Franck, on n'est pas des bêtes.
J'avais cette culture du ridicule comme d'autres ont la culture du résultat.
Sur la photo qui trône sur la télé, il a déjà seize ans, il sourit moins, il est arrogant, il pose. Les cheveux ont un peu poussé, mais le costume est démodé. Il défie la vie, à nous deux, on va bien s’amuser, j’aurai plein de jolies filles et des grosses bagnoles. Sur la dernière photo, la seule en couleurs, il est super-sapé, c’est le mariage, Bobonne lui sourit, lui, il a pas l’air finaud, il sent déjà les deux gosses pleurnichards à torcher, la mousmé acariâtre, elle va rechigner d’ici peu à la besogne conjugale, son costume de mariage servira pour le bureau, il aura un jean à plis pour les week-ends, une voiture fiable et bourrée de gadgets pour promener Mimi et son jeune frère Toto, il est tourné vers sa photo de jeunesse et a l’air de penser qu’en ce temps-là, j’emballais sec, ça valsait les nanas, alors qu’en fait il se faisait chier dans un bahut sordide avec des azimutés des maths et des philosophes boutonneuses, des perverses de la version latine, qu’il se branlait en rêvant à des baiseuses de pissotières, qu’il rougissait devant la crémière aux gros seins…
Partir. Ouais. Se barrer de cette Merdeville, avec ce foutriquet à faire rire les enfants, dans une bagnole de suburbain qui poussait son caddie au supermarché, en survêt' de week-end. Traverser le livide-room et tirer la chasse d'eau sur cet ennui pétrifié. Bye-bye, banlieues ! Fouette cocher !
Je crois que Dieu est notre père, mais je n'ai pas connu mon père, il a toujours été absent, eh bien Dieu c'est bien pareil, il a toujours été ailleurs, absent, il est le grand zéro, tout rond, comme notre terre est ronde, et comme nous sommes d'origine ronde, mais on nous a taillés à la truelle, on nous a bien massicotés pour rentrer dans nos caisses, bordel de merde.
C'est mystérieux les couples. Comme les ordinateurs et les voitures pour celui qui ne s'y connait pas en informatique ou en mécanique. Quand ça tombe en panne, on est bien emmerdé.
J'ai été prof, naguère, et puis timide, simplet, j'ai toute une carrière de nain derrière moi.
Une espèce de bison à l’air de préparer un assassinat ou de compter ses derniers sous, ce qui est souvent la même chose. Il avance menaçant vers moi, je dérive vers lui, sans m’en rendre compte. Nous nous rapprochons l’un de l’autre comme Meursault de l’Arabe dans « L’Étranger », nous sommes obligés de nous croiser.
Tous les types qui traînent dans le coin en attente d’un passage, on les appelle les Kosovars, comme si le Kosovo était aux antipodes de l’Eldorado, et son peuple une innombrable diaspora en quête d’un mauvais coup ou d’un job sous-payé dans un pressing de Birmingham.
Celui-ci comme tant d’autres porte des vêtements de facture balkanique, chemise à col crasseux, costume de deuil à pantalon trop large et trop court, « feu de plancher », dont laissant dix bons centimètres de chaussettes défraîchies au niveau de la cheville, chaussures de sport hors compétition. L’ensemble est éclipsé par une veste trois-quarts en similicuir caramel. Ce qui lui donne l’apparence d’un bison, c’est la grosse tête rentrée dans les épaules à cause de la pluie. La toison serait plutôt celle d’un gros hérisson géant. Il est mal rasé et une moustache discontinue confirme son style byzantin.
(« La langue chienne », Gallimard, 2008)
pense au vent penses-y
tant que tu es vivant
pense à la pluie
pense au plaisir
pense à la plaie qui se referme
pense bien pense au mal
pense à corps et à cris
pense à torts et à travers
pense fort pense encore
pense à la mort tant que tu vis
pense à la vie penses-y
pense à la poésie
pense en douce danse en ours
"Les clandestins, dit-il, c'est pire que les clodos. Ils sont pas chez eux et, en plus, ils veulent aller ailleurs. Ils vont raconter qu'ils sont pas bien chez nous. C'est pas assez bien pour eux ? Tu imagines des touristes qui viendraient en Europe sans visiter la France ? Qui se ficherait de la Côte d'Azur et de la Tour Eiffel ? Les cons."
J'ai vite l'âme à la mer, j'ai mieux qu'un caractère bien trempé, j'ai un caractère noyé.
" Ton problème, Martin, c'est que tu es trop tolérant.
- Je n'y peux rien, ai-je admis, c'est un don naturel, la tolérance, c'est le pouvoir de se faire marcher sur les pieds. On apprend ça, dans la classe moyenne.
- Il n'y a pas que tes pieds , Martin, il y a tes plates-bandes, ta femme, ton territoire, tes voisins,... À force de se faire marcher sur les pieds, on marche sur la tête.
- J'aime parler avec vous, un jour j'essaierai de faire votre portrait."
Gina demandait sur quelle chaîne, mon bébé ?
Nous avions notre ancien canapé, qui nous a fait plusieurs télé mais nous niquait le dos.
Je lui disais : la grande chaîne de la vie, Gina, l'éternelle poésie...