Je lis très peu de biographies et, sans une amie, je n’aurais pas lu celle-ci avant longtemps. Figurez-vous que je suis à présent ravie d’avoir pu la découvrir. Depuis ma relecture du Seigneur des Anneaux, je suis un peu focalisée sur la Terre du Milieu. Avant d’attaquer la suite de l’œuvre de Tolkien, j’ai pu découvrir un peu plus l’homme qui se cachait derrière ce nom et dont je ne savais rien, à part son immense facilité avec les langues.
TOLKIEN. Un nom si familier, un nom synonyme d’imaginaire débridé, un nom presque une marque. Il est parfois ardu de songer que ces sept lettres ont pu un jour désigner un étudiant jouant au rugby, un jeune officier pendant la guerre, un mari à la vie qui serait presque banale… s’il n’avait pas cette extraordinaire imagination, ce don pour les langues et cette fascinante intelligence qui ont engendré un univers d’une richesse absolument unique.
Sa vie, son amour pour Edith, ses rencontres entre amis, ces réunions qui ont presque toute sa vie ponctué ses semaines, du T. C. B. S. (Tea Club, Barrovian Society) de ses années lycées aux célèbres Inklings… mais surtout sa façon de travailler. Sa précision, sa méticulosité extrême, son perfectionnisme. Son amour pour les langues, la musicalité des mots, leur histoire. Langues vivantes, langues mortes, langues disparues… et langues inventées bien sûr, celles présentes dans son œuvre, celles, en constante évolution, qu’il utilisait pour écrire son journal.
Ce qui frappe tout au long de l’ouvrage, c’est la simplicité de Tolkien, la banalité de son quotidien. Une vie bien réglée, un esprit bourgeois, plutôt conservateur. J’avoue avoir même été un peu déçue face à sa relation avec Edith, son épouse. Elle était sa Lúthien, il était son Beren comme il est inscrit sur leurs tombes. Mais au final, ils avaient une vie très conventionnelle… avec beaucoup d’ennui pour cette dernière qui avait renoncé au piano et à ses rêves pour leur famille, qui voyait son mari se comporter totalement différemment avec elle qu’avec son cercle d’amis masculins. L’histoire ordinaire d’une femme en cette première moitié du XXe siècle certes. Cependant, j’avais imaginé, fantasmé autre chose. Le livre m’a laissée partagée sur ce point, tantôt décrivant un profond et attentif amour, tantôt montrant une vie morne, vide de loisirs et d’amitiés pour Edith. Toutefois, ce n’est pas un aspect de leur vie sur lequel il est aisé de faire toute la lumière. Les seuls qui en connaissaient toute la vérité sont maintenant enterrés sous une même pierre grise dans le cimetière de Wolvercote.
Pour moi, Tolkien est un génie et son esprit me fascine. Mais son biographe nous donne également à voir l’être humain. Le perfectionniste à l’extrême, incapable de donner un texte à l’imprimeur, sans cesse désireux d’y apporter des retouches, voire de réécrire des passages entiers. Le brouillon parfois, incapable de s’atteler à une tâche – réviser Le Silmarillion par exemple –, sans cesse distrait par une lettre sans réponse, un conte non achevé, un point obscur d’un langage… On l’imagine très bien, petit homme fumant la pipe, en train de s’agiter dans son bureau, exhumant tel ou tel trésor d’une pile de vieilles copies pleines de notes, s’asseyant pour le parcourir et se laissant absorber par une toute autre tâche qui devait être la sienne à ce moment-là.
Cette exubérance intellectuelle captive, amuse, mais frustre tout autant. J’ai souvent eu envie de le secouer, de le forcer à s’asseoir à son bureau et de lui dire de s’y mettre, bordel ! Quand je pense à tous ces textes publiés à titre posthume qui aurait pu sortir de son vivant s’il n’avait pas été aussi dissipé… mais c’était sa façon d’être, sa façon de fonctionner, avec ce cerveau parfois obsessionnel qui devait être parfois parfaitement usant à supporter.
Dans les annexes du Seigneur des Anneaux, l’une des sections s’intitule « Des problèmes de traduction ». Un essai dans lequel Tolkien expose les difficultés rencontrées et les choix effectués pour angliciser les langues elfiques, hobbites, ou autres. Surprenant si l’on considère que tous ces noms venaient de l’esprit de Tolkien. Mais l’on découvre dans sa biographie que ce dernier parlait, non pas comme un écrivain, mais comme « un chroniqueur d’événements réels ». Son œuvre est née de ses langages inventés et il fallait sans cesse qu’il découvre le pourquoi du comment. Qu’il le découvre, et non qu’il l’imagine.
Un livre passionnant pour rencontrer – je n’utilise pas ce terme à la légère, j’ai réellement l’impression de l’avoir côtoyé tout au long de ma lecture – un homme qui aurait pu passer pour ennuyeux et qui, pourtant, a créé une œuvre gigantesque, à la puissance épique digne des grandes épopées du temps passé.
(Bon, je vais faire ma ronchonneuse, j’ai déjà râlé auprès du Joli, mais niveau féminisation des noms de métiers, il y a encore du travail ! On trouve par exemple « Il se trouvait qu'il avait fait la connaissance d'un autre philologue qui se révéla bon équipier. C'était Simonne d'Ardenne, une Belge (...) » ou encore « Christopher et Faith, son épouse (...) Faith, sculpteur (...) »
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