Que ressent-on quand on partage les pensées d'un pédophile ?
Donner son avis ce roman est une gageure qu'il n'est pas simple de relever. Tout d'abord parce qu’il est difficile, voire impossible d'évaluer ce roman tellement il est incontestable que le personnage est hors norme. Cependant le lecteur ne peut s'empêcher d’admirer le travail de l'auteur au nom imprononçable, qu'il aussi pas aisé d'écrire sans se tromper.
Inge Schilperoord (merci le copié/collé) maîtrise son sujet, pour cause, elle est psychologue judiciaire de son état, ou tout au moins l'a été assez longtemps pour savoir de quoi elle parle. Donc forcement des Jonathan, elle a dû en croiser plus d'un. Cependant je me demande quelles peuvent être ses motivations, ce qu'elle a cherché à démontrer. Le cheminement de Jonathan est-il universel quand les pulsions sexuelles poussent des hommes vers des enfants ? Peut-on échapper à ses démons avec de la volonté et une aide psychologique, en fuyant la tentation, ou au contraire en l'affrontant et en combattant avec force ?
Dans le cas de Jonathan, on ne peut pas négliger tout un enchaînement de circonstances : une gamine livrée à elle même qui se jette dans la gueule du loup, un climat familial glauque, un jeune homme mentalement déficient, une mère qui s'efforce d'oublier ce qui s'est passé et de faire comme si tout était normal. Excuses peut-être pitoyables mais l'auteure n'a quand même de cesse d'insister.
D'un autre coté nous nous trouvons face à un trentenaire en marge de la société, interné suite à un délit grave et libéré faute de preuves suffisantes. Là, j'avoue on grince des dents. Cependant, l'auteure ne sera pas explicite, et ce qui s'est passé avec Betty reste quand même assez flou, pour preuve la libération de Jonathan. On se demande alors quels sont les éléments nécessaires pour sanctionner un comportement déviant.Et j'avoue que c'est assez inquiétant tant l'histoire est transposable et que l'on peut, même, l'imaginer anecdotique.
A partir de là, on plonge, à travers cette fiction, dans la réalité quotidienne : les défaillances du système judiciaire. Et Dieu sait combien d'hommes susceptibles de récidiver sont dans la rue, potentiel danger pour nos petites têtes blondes. Chez Jonathan le risque de récidive évalué par le psychologue qui le suit en prison est très élevé. Alors pouvait-il être relâché dans la nature sans obligations de soins ?
Pour autant, nous sommes confronté à un trentenaire qui malgré ses faibles capacités intellectuelles, va prendre en compte les leçons apprises pendant son internement et poursuivre le travail effectué après sa libération. Mais il lui manque un appui logistique, le dialogue avec un spécialiste. Aurait-il eu plus de chance ? On ne le saura jamais, et rien n'est moins sûr évidemment.
C'est dans un huit-clos angoissant que l'auteure nous tient en haleine malgré la lenteur d'un récit narré à la 3e personne dans lequel nous partageons les pensées les plus sombres de Jonathan. Inge Schilperoord nous maintient sur le fil comme un équilibre sur sa corde. On s'attend à chuter à toutes les pages.
Pendant une grande part du récit, on s'interroge sur le lien avec le titre et la symbolique de la tanche. Il nous faudra parvenir au terme de la lecture pour comprendre.
Le style de l'auteure est maîtrisé et elle nous maintient par ses mots dans une ambiance glauque, moite et étouffante dans tous les sens du terme. Elle remue en nous des sentiments parfois controversés, car Jonathan, malgré sa perversité est malgré tout, très humain. A travers ses efforts, nous vivons sa souffrance constante, sa volonté farouche d'échapper à ses pensées et au contrôle de ses actes. C'est si particulièrement décrit que le lecteur ne peut s'empêcher d'éprouver un peu d’empathie mêlé de pitié pour le personnage qui lutte contre ses démons.
Sa relation avec la gamine, dont le prénom ne sera prononcé qu'en fin de lecture comme pour humaniser davantage la dernière scène, est particulière. C'est celle d'une gamine abandonnée dans un quartier fantôme avec pour seule compagnie un adulte qui aime un peu trop la compagnie des petites filles. Et Ekel est une petite fille peu ordinaire, dont la présence est pour le jeune homme à la fois un apaisement et une torture, qui le pousse à un contrôle constant de ses pensées et ses pulsions, tentant sans cesse de se contraindre à agir pour le bien-être de la petite fille. Justifications pour soulager sa conscience ? Je m'interroge.
Dans les derniers chapitres nous partageons une foule de pensées les plus horribles qui soient. Etre dans la tête d'un pédophile est très dérangeant. Après avoir nagé à contre courant Jonathan va-t-il sombrer ? Se noyer ? Où parvenir à gérer ses pulsions ? Le suspens monte crescendo.
Le dénouement vous donne envie d'hurler. Et j'avoue que je ne sais que penser de cette issue. Un bien pour un mal ?
Ce final perturbant n'améliore pas votre état d'esprit. Au contraire, on en veut à tous les protagonistes de cette fiction, la mère de la fillette absente, celle de Jonathan qui ne lui a été d'aucun soutien, le système judiciaire, la société en général et le protagoniste principal et à l'auteure elle-même pour nous avoir bouleversés avec une fiction qui touche de trop près à un problème grave en soulevant de nombreuses interrogations.
Comment protéger les enfants de ce fléau impossible à gérer alors que le système judiciaire défaillant donne la possibilité à des individus, évalués potentiellement sujets à la récidive, de côtoyer des enfants ? Protéger des gamines abandonnées à leur sort, et dès lors, proies encore plus faciles, pour les prédateurs sexuels ? Quelles sont les possibilités médicales d'enrayer les pulsions sexuelles anormales ? Existe-t-il une réponse à ces questions ? Au vu de tous les drames narrés dans les médias, il semble qu'il n'y en ait pas. Que le problème touche tous les pays de la planète. Et c'est douloureusement effrayant.
Un roman troublant, émouvant, dérangeant qui vous remue aux tripes et vous met la tête à l'envers. La mission de l'auteur d'interpeller le lecteur est parfaitement réussie. la psychologie du personnage principal est parfaitement dépeinte, partagée et les émotions ressenties dans ce portrait brossé avec justesse.
Je comprends les réactions du public devant ce livre. C'est une lecture que tout le monde ne peut pas faire. Pour les autres elle ne sera pas facile. Ce n'est pas le genre de lecture que l'on fait d'une seule traite. C'est impossible. C'est trop remuant. Le sujet est sensible et de ce fait suscite des émotions variées et voue cloue au sol. Je ne sais pas si je dois remercier ma binôme ou la honnir pour m'avoir offert ce livre, voulant partager avec moi les émotions qu'il a suscité en elle et que nous avons partagées et débattues.
Alors maintenant quelle note attribuer à ce roman ? Je dirais 5/5
Un ne peut moins, car il faut prendre en contre que l'objectif de toucher le lecteur est atteint, que le huis-clos angoissant et la montée en puissance des émotions est parfaite et les sentiments au rendez-vous. Comme dit ma binôme l'auteure vous transperce le cœur. Une fois de plus Belfond éditions vous offre une nouvelle pépite littéraire avec l'appréhension d'un sujet traité autre que celui du point de vue de la victime.
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