Citations de Jacqueline Saint-Jean (32)
CHEMINS DE BORD
Il faut
Il faut bien quitter les auvents, suivre les appels d’air
et le bleu des voix.
La distance tend ses miroitements.
Chevilles enroulées de papiers errants, on traverse
des places vides de fête éteinte.
Un jeu d’arcades lointaines ouvre le livre de la mer.
Tout retourne à ce personnage gris qui arpente
l’estran, toujours entre deux rives.
p.12
CHEMINS DE BORD
À Versenvers
À Versenvers, les soirs sans rêve, on se rabat contre
les murs, les bras défaits, dans la cage des averses.
Animal oublié, qui tressaille à chaque lueur.
Toute chasse est achevée.
La nuit masquée remue à peine ses hochets de
paille sur nos têtes de son.
On cherche son visage ancien.
Et sur l’autre versant, des enfants crépusculaires
dont trembler leurs fêtes de métal.
p.11
C'est l'heure où la maison s'ouvre
et se déplie dans l'espace
La nuit violette voyage
derrière la Voie lactée
Halos spirales poussières d'astres
de loin en loin les galaxies
enroulent leurs années-lumière
leurs îles laiteuses
flottent dans l'infini
CHEMINS DE BORD
ON FARDE MAL SON VISAGE
On farde mal son visage nocturne.
Ivoire craquelé, lèvres pivoine noire, moirures
nostalgiques.
Séquence recommencée de masques souffrants.
Processions somnambules sur leurs fausses pistes
de phosphorescences.
Par intermittences, trois motocyclistes sombres
emplissent l’espace de leur masse.
Dans les déchirures de l’ombre, une fenêtre blanche
bat, apatride.
p.15
CHEMINS DE BORD
FACE AUX LIGNES D’ÉCUEILS
Face aux lignes d’écueils, on fixe le haut récit noir.
La mer affamée se jette dans les rêves.
Et le sommeil déverse ses mouettes mortes sur
le seuil.
p.14
CHEMINS DE BORD
On s’amenuise, presque transparent sous les yeux
de gypse des géantes qui regardent plus loin.
Vers la peau du fleuve peut-être, sueur de lumière
sur la chair profonde. Fuite d’empreintes, torse
parcouru de frémissements.
On est emporté par l’itinéraire. Traversé de regards,
d’angles et d’envols brusques. Aucun sillage.
Chaque tentative abrège le parcours.
Puis le tableau déborde, une eau de fable flue sous
la langue, où les statues blanches, la nuit, se glissent
dans le lit voluptueux du fleuve.
p.13
Tu es dans le sommeil du livre
Tu es dans le sommeil du livre
quelque part dans l’inachevé
là où les noms vivent la nuit
là où vont s’ouvrir
dans les bogues de l’ombre
les yeux humides des chevaux
là où tressaille
ce frêle visage en fuite
dans l’affolement des feuilles
p.71
Parfois le cœur brûle
tel une étoile qui s'effondre
aspirée dans un trou noir
Quand le siècle nous percute
de ses impacts violents
Chacun cherche à tâtons
son système solaire
Quelques voix ouvrent encore
des clairières d'horizon...
Se pose furtif
sur l’épaule
l’oiseau de l’instant
Verso de vertige où clignote
pulsar intérieur un alphabet perdu
de poussière ardente
CHEMINS DE BORD
Qu’on me laisse seul au centre
On se croise, couverts d’écritures.
Arpenteurs de songes, casqués de musiques.
Le vent rallume des braises de récits épars
derrière les murs.
Sable ténu des voix qui traversent les pores,
on habite un vieux soliloque.
Une phrase engloutie se lève ;
Qu’on me laisse seul au centre.
Dans l’agora brûlée, là où frémit l’arbre invisible.
p.16
CHEMINS DE BORD
ON VA ET VIENT
On va et vient, creusé par le vent, le visage gagné par
l’érosion des rives.
Un quai magnétique au fond des fatigues.
Les regards se perdent dans la forêt blanche des
mâts d’hivernage. Hublots sans visages.
…
p.14