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Critiques de James Shapiro (7)
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1606 : Shakespeare and the Year of Lear

"Nothing can come of nothing..."

("Le Roi Lear")



... et après avoir fini cette suite libre de "1599", je ne sais pas si je suis davantage reconnaissante à James Shapiro pour ses brillants essais sur Shakespeare, ou à Shakespeare pour avoir inspiré les livres de Shapiro. Mais laissant de côté l'éternelle question de l'oeuf et de la poule, ce fut encore une fois une passionnante excursion dans l'histoire de l'Angleterre, observée par-dessus l'épaule du grand magicien Will ; un voyage dans le temps qui nous fera comprendre que même Shakespeare n'a pas pu créer ses pièces à partir de "rien".

Tout comme dans son ouvrage précédent, Shapiro souffle sur la poussière dorée qui recouvre le dramaturge depuis l'époque romantique. En 1606, Shakespeare a 42 ans, et à cet âge vénérable il a déjà très probablement quitté la scène pour se consacrer avant tout à l'écriture. Il lit beaucoup, travaille beaucoup, n'hésite pas à faire appel à des collaborateurs, ni à remettre au goût du jour les pièces anciennes passées de mode (ce qui sera notamment le cas du Roi Lear).



L'année 1606 était "une grande année pour Shakespeare, mais une terrible année pour l'Angleterre".

L'auteur remarque avec justesse qu'on voit volontiers Shakespeare comme un dramaturge élisabéthain, mais en 1606 bien des choses ont déjà changé.

Jacques IV d'Ecosse, fils de Marie Stuart, monte sur le trône anglais en 1603 en tant que Jacques Ier, avec un grand rêve d'unifier le pays. Ce rêve ne se réalisera pas de son vivant, mais c'est la fin de l'ancienne Angleterre, et le mot "Britain" est désormais en vogue. Jacques est un monarque à la fois éclairé et très superstitieux. On en dresse un portait étonnant, de sa splendide traduction de la Bible, en passant par les cas de sorcellerie qu'il suivait personnellement, jusqu'aux signes occultes gravés sous le plancher de sa salle de conseil, censés éloigner le mauvais sort. Sachant qu'il y avait de quoi se méfier...

En 1606, le pays est toujours sous le choc de la conspiration des Poudres, une véritable attaque terroriste visant le roi, sa famille et tous les membres du parlement, déjouée l'année précédente. Les conspirateurs sont appréhendés et très sévèrement punis (Shapiro n'a pas passé des années à fouiller les archives pour rien, et accompagne son récit de maints détails minutieux), mais la paranoïa règne dans le pays, et les actions anti-catholiques se durcissent. Ceux qui refusent d'assister aux rites protestants sont désormais soumis à un interrogatoire (ce qui sera aussi le cas de Susanna, la fille "rebelle" de Shakespeare).

Puis, en plein coeur de Londres, est retrouvée une autre "bombe" : un traité qui explique aux catholiques comment mentir sous serment sans alourdir leur âme par un péché mortel. Tout un art de procéder par des non-dits et par des demi-vérités. le verbe "équivoquer" est désormais dans toutes les bouches, et personne ne croit plus personne.

Ajoutez-y une des plus grandes épidémies de peste que Londres n'ait jamais connue, et voilà l'année 1606 dans toute sa splendeur, qui renvoie aux thèmes principaux de "Le Roi Lear" et de "Macbeth" : royaumes éclatés, traîtrises, discours faits de demi-vérités, paranoïa, peur, folie et l'analyse du Mal sous toutes ses formes.

On commence déjà à se tourner avec nostalgie vers le "bon vieux temps" d'Elisabeth, pourtant si détestée vers la fin de son règne, et ce regret de la gloire passée d'un monde ancien trouvera son écho dans "Antoine et Cléopâtre", la troisième pièce que Shakespeare écrira cette année-là.



Même le théâtre change, et passe à la mode "baroque". Shakespeare est toujours copropriétaire du Globe, mais la troupe (devenue désormais la troupe du roi en personne, un grand honneur) joue également au théâtre de Blackfriars, ancien prieuré dominicain reconverti en véritable scène moderne avec éclairage, coulisses et machinerie élaborée permettant des "effets spéciaux". A la cour, de nouveaux genres sont en vogue, particulièrement les "masques", shows grandioses et hors-de-prix, permettant aux aristocrates eux-mêmes de se mettre en valeur en tant qu'acteurs. Ces allégories à la gloire de familles nobles n'ont jamais intéressé Shakespeare, mais il a dû sans doute ressentir une pointe de jalousie envers son ami et rival Ben Jonson, qui s'est lancé avec grand succès dans cette entreprise lucrative, car les consignes scéniques pour "Antoine et Cléopâtre" sont déjà bien plus élaborées que dans ses pièces précédentes.

Shapiro raconte encore bien plus : comment les Londoniens ont vécu l'épidémie de la peste, qui a frôlé le seuil de la chambre que Shakespeare louait dans la paroisse de St. Olav. Comment Shakespeare a joué l'"entremetteur", pour marier la fille de sa logeuse. Comment il s'est retrouvé lié aux conspirateurs à cause de sa parenté revendiquée avec la famille Arden (qui lui a permis d'obtenir un blason et un titre de noblesse une dizaine d'années plus tôt) et via ses transactions commerciales. Comment le public a été choqué par sa version sombre de l'ancienne pièce anonyme "King Leir"... Mais il est peut-être temps de fermer le rideau.



Le livre ne le raconte pas, mais le Grand Will passera encore six années à Londres (la période où il va se tourner vers les romances chargées de symboles et de magie, comme "La Tempête" ou "Le Conte d'Hiver"), avant de retourner définitivement à Stratford où il mourra en 1616. Etait-il malade ? Trop vieux pour le théâtre ? A t-il senti que "l'âge d'or" de tout cela est passé, et que ce monde n'était plus le sien ? On ne le saura probablement jamais.

Mais on dit souvent que les mots de Prospero, un autre grand magicien, prononcés dans l'avant-dernier acte de "La Tempête", sont une sorte de testament théâtral de Will :



"Maintenant voilà nos divertissements finis ; nos acteurs,

comme je vous l'ai dit d'avance, étaient tous des esprits ;

ils se sont fondus en air, en air subtil :

et, pareils à l'édifice sans base de cette vision,

se dissoudront aussi les tours qui se perdent dans les nues, les palais somptueux,

les temples solennels, notre vaste globe, oui, notre globe lui-même,

et tout ce qu'il reçoit de la succession des temps ;

et comme s'est évanoui cet appareil mensonger, ils se dissoudront,

sans même laisser derrière eux la trace que laisse le nuage emporté par le vent.

Nous sommes faits de la vaine substance dont se forment les songes

et notre chétive vie est environnée d'un sommeil."
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1599 : A Year in the Life of William Shakes..

"He was not of an age, but for all time."

(Ben Jonson)



Si vous vous étiez baladé dans Londres lors d'une certaine nuit terriblement froide quelques jours avant Noël 1598, vous auriez pu tomber sur une scène pour le moins inhabituelle : une bande d'acteurs armés, qui s'apprêtent à voler un théâtre !

Le bail du terrain sur lequel était construit The Theatre, le gagne-pain de la troupe des Chamberlain's Men, a expiré, et son propriétaire, un certain Mr. Allen, n'avait aucune intention de le renouveler. Il voulait récupérer sa parcelle pour une entreprise plus lucrative. Mais le contrat ne concernait pas le bâtiment en bois, et la troupe de Shakespeare a décidé de récupérer ce qui lui revenait de droit. Par précaution, ils ont tout de même opté pour la nuit, en profitant du moment où Allen était absent de Londres pour fêter Noël à la campagne. Quelle surprise, à son retour ! Mais le bon bois de construction était coûteux, et cet ancien théâtre démantelé très rapidement jusqu'à la dernière planche et transporté de l'autre côté de la Tamise deviendra au printemps suivant le célèbre Globe, temple de la gloire des Chamberlain's Men, et témoin de leur âge d'or.



L'exclamation de Ben Jonson, grand rival et grand ami de Shakespeare, est davantage une sorte de publicité de l'époque, mais aussi une preuve que la pub n'est pas toujours mensongère.

On ne sait presque rien de la vie privée du grand magicien Will, et la plupart de ses (nombreuses) biographies le présentent comme un auteur intemporel. James Shapiro change complètement d'angle de vue et décide de nous montrer un Will tout à fait "temporel"; celui de 1599, quand le dramaturge avait 35 ans et bien des choses remarquables étaient encore à venir. Shapiro ne peut pas utiliser la magie pour nous sortir de sa manche un tas d'anecdotes palpitantes sur la vie de Shakespeare, mais après 15 années de fouilles acharnées dans les archives, il est en mesure de nous renseigner sur ce qu'il à pu lire et écrire, qui il a pu fréquenter et ce qu'il se passait autour de lui pour nourrir son imagination.



L'année 1599 n'est pas choisie au hasard. C'est tout d'abord la construction du Globe. Mais aussi une époque assez mouvementée dans l'histoire de l'Angleterre. le fiasco total d'Essex lors de sa campagne militaire en Irlande a sonné le glas de l'ancien esprit chevaleresque. Les rumeurs d'une nouvelle invasion espagnole ont semé une grande panique partout dans le royaume... la mobilisation était coûteuse et finalement inutile. La reine Elisabeth devenait une vielle dame maladive (elle avait eu 67 ans en septembre de cette même année), et malgré une censure très stricte, tout le monde s'interrogeait déjà sur qui sera son remplaçant.

Shakespeare ne se laissait pas distraire par la gravité des événements, au contraire, c'était une des périodes les plus créatives de sa vie. Après avoir achevé son "Henry V", il enchaîne sur "Julius Caesar", la comédie "As You Like It", et vers la fin de l'année il commence "Hamlet". Un tempo infernal, si on considère le peu de temps dont il disposait : répétitions dans la matinée, représentations dans l'après midi, tout en surveillant la construction du Globe dont il était copropriétaire.



Shapiro profite de ses découvertes pour essayer de déceler dans chacune de ces pièces des empreintes réelles de l'époque. Shakespeare a très certainement entendu le prêche enflammé, que la reine a commandé à Lancelot Andrews pour remonter le moral de ses troupes avant la campagne irlandaise, car on trouve son écho dans "Henry V". La lente disparition de la mythique forêt d'Arden près de Stratford se reflète dans "As You Like It", et dans "Jules César" il aborde le thème précaire de la censure et de l'assassinat d'un souverain. Mais tout cela d'une façon maligne et voilée; il ne faut pas oublier le destin de la plupart de ses collègues : Kyd est mort sous la torture, Marlowe probablement assassiné, et Jonson en prison. Shakespeare savait pourtant bien qu'une tiédeur molle et trop de précautions lui feraient perdre son public, alors il avance avec intelligence sur la lame du couteau : ses pièces sont chargées de sens, mais il est impossible de connaître l'opinion personnelle de leur auteur. Comme le remarque Shapiro, le génie c'est aussi de savoir ce qui passera et ce qui ne passera pas.



Même Shapiro a opté pour cette "voie du milieu", et son livre est parfaitement équilibré. Saison par saison, cette chronique de 1599 vous demande beaucoup de concentration, car ses 400 pages sont littéralement bourrées d'informations et d'anecdotes historiques de toutes sortes. Mais cela se lit comme un excellent roman, sans jamais tomber dans le style sec et académique. On y apprend énormément... Et si vous me demandez comment était donc Will en tant qu'homme ?

Eh, bien... je passerais avec plaisir une soirée en sa compagnie chez "George & Dragon", mais je ne lui prêterais jamais un seul de mes bouquins ! Il ne le rendrait pas.

Son succès est dû moitié à son génie, moitié au dur travail quotidien, comme le dit encore son pote Ben Jonson dans sa dédicace au "First Folio" :

he

Who casts to write a living line, must sweat,

(Such as thine are) and strike the second heat

Upon the Muses' anvil; turn the same,

(And himself with it) that he thinks to frame;

Or for the laurel he may gain a scorn,

For a good poet's made as well as born,

And such wert thou.



5/5 pour le mélange d'érudition et de passion de James Shapiro pour son sujet. On fera encore un bout de chemin ensemble.
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Contested Will

"Mais si Marlowe a écrit l'oeuvre de Shakespeare, qui a donc écrit l'oeuvre de Marlowe ?"

(W. Allen)



Sacré Woody ! Certes, sa réflexion fait sourire, mais elle est en réalité très profonde. Elle met même pour ainsi dire directement le doigt dans la plaie.

Si vous prenez trois pièces de l'époque élisabéthaine sur le même thème, disons "la magie", il n'est pas nécessaire d'être un spécialiste pour s'apercevoir que "La Tempête" de Shakespeare, "Faust" de Marlowe et "L'Alchimiste" de Jonson sont tout à fait différentes. Pas seulement par leur "style" et leur vocabulaire, mais surtout et avant tout dans l'esprit.

La véritable question sera donc : comment l'idée que Marlowe ou Jonson ont écrit les pièces de Shakespeare a seulement pu effleurer l'esprit de quelqu'un ? Ou, plus précisément, pourquoi certains pensent que ce n'est pas Shakespeare qui a écrit Shakespeare ?



That is the question, et voilà sur quoi se penche James Shapiro dans ce pétillant essai. Lui-même un stratfordien convaincu, il sait rester impartial et prendre une distance nécessaire pour nous proposer une remarquable excursion (à la fois amusante et érudite, comme il est dans ses habitudes) aux sources de la controverse shakespearienne. Il ne perd pas de temps avec des petits pions comme Marlowe, Derby ou Florio, et se consacre directement aux deux adversaires de taille : Bacon et Oxford.

Le titre est particulièrement bien choisi, car il ne fait pas référence uniquement à Will de Stratford, mais aussi à son testament qui a mené à beaucoup de spéculations.

Comment est-il possible qu'un génie littéraire de la trempe de Shakespeare n'y mentionne pas le moindre livre, le moindre manuscrit ? Comment ce poète au coeur immense a-t-il pu léguer à sa chère femme seulement leur "deuxième meilleur lit" ? C'est tout ? Comment ce péquenot du Warwickshire (prétendument) sans éducation, négociant impitoyable qui exigeait (parfois très durement, il faut le dire) le remboursement de ses prêts, pouvait être en même temps l'un des plus grands auteurs de la Renaissance, voire de tous les temps ? Mais la réalité est différente, et plus vous apprenez sur l'homme de Stratford et sur son époque, et plus vous vous rendez compte à quel point.



Il est intéressant que jusqu'au 18ème siècle, Shakespeare jouissait du privilège d'exister en tant que Shakespeare. Personne ne se posait des questions sur la paternité de ses oeuvres, éditées et organisées par ses amis dans le "First Folio", publié sept ans après sa mort. Il est célébré sous son nom, et un mémorial à Stratford est érigé à sa mémoire. Personne ne pense alors à garder les "documents" ou chercher des témoignages, et quand on pense à interroger sa petite-fille Elisabeth, sa dernière descendante, il est déjà trop tard. De l'homme de Stratford ne restent plus que ses écrits, et quelques allusions dans l'oeuvre de ses contemporains.

Et ce sont précisément ces écrits hors du commun, mis en contraste avec des documents trouvés, qui mèneront un siècle plus tard à la fameuse controverse.



La période romantique est particulièrement riche en événements. Le profil du Cygne d'Avon divinisé par des bardolâtres ne correspond pas toujours aux documents qui refont surface dans les archives (concernant surtout les activités lucratives du Barde), alors d'un côté elle regorge littéralement de forgeries et faux de toutes sortes - lettres privées (y compris celle de la reine Elisabeth), journaux (y compris celui de Shakespeare) et "notes en marge", habilement créés notamment par W. H. Ireland et J. P. Collier - et d'autre part on s'interroge déjà si ce n'était pas plutôt quelque noble aristocrate qui a décidé de publier anonymement sous la couverture du nom de Shakespeare.

On pense d'abord au philosophe Francis Bacon, lord Verulam. Passionnante théorie véhiculée par la brillante Américaine au destin tragique, Delia Bacon (le nom est une coïncidence), remplie de chiffres secrets, messages codés et ingénieuses machines à décoder. Elle trouve pourtant ses partisans (entre autres Mark Twain ou Helen Keller), et on finance un voyage en Angleterre à la recherche des manuscrits originaux de Bacon, dont l'emplacement exact serait habilement encodé dans les textes du Barde. Hélas, la cachette est vide !

Tandis que Delia finit ses jours à l'asile psychiatrique, un nouveau candidat est proposé : Edward de Vere, comte d'Oxford. Une théorie du complot royal parfaitement illustrée dans le film "Anonymous" de Roland Emmerich (à voir surtout pour les beaux costumes), qui gagne de nombreux partisans. Faut-il s'en étonner ? Oxford, lui-même poète à ses heures perdues, semble être un homme idéal pour incarner l'idée moderne que toutes les oeuvres littéraires sont en partie autobiographiques. Soutenue par la psychanalyse freudienne et les nouvelles approches critiques venues d'Allemagne dans les années 30, la théorie oxfordienne gagne du terrain, et propose un nombre impressionnant d'ouvrages sur l'interprétation "autobiographique" des pièces et sonnets de Shakespeare.

Une théorie jamais rejetée, d'ailleurs, soutenue (parmi d'autres) par l'acteur Derek Jacobi. Pour l'anecdote, deux véritables procès juridiques (1987, 1988) "Shakespeare vs. Oxford" ont eu lieu à la demande des oxfordiens, et par deux fois le jury s'est prononcé en faveur de Shakespeare. Mais l'affaire était suffisamment médiatisée pour qu'on commence à prendre les adversaires au sérieux.

Etrange que personne n'a jamais osé ouvrir la tombe du Barde à la recherche du chaînon manquant. L'épitaphe "Béni soit celui qui épargne ces pierres. Et maudit soit celui qui déplace mes os" rend probablement superstitieux même le plus intrépide des chercheurs. Ceci dit, à quoi bon profaner les tombes, quand on peut recourir au service des médiums ? Le livre "Talks with Elizabethans" de Percy Allen - qui a réussi à contacter aussi bien l'esprit de Shakespeare que ceux de Bacon et d'Oxford - contient quelques révélations insoupçonnées de la plus haute importance.



Que faut-il en penser ? Le dernier chapitre est consacré au candidat Will de Stratford, et essaie d'assembler le puzzle identitaire par des observations minutieuses des documents trouvés, de la façon de travailler des auteurs élisabéthains, ou des procédés judiciaires ou éditoriaux de l'époque. Les nouvelles technologies permettent des analyses textuelles qui révèlent des informations surprenantes sur le travail collaboratif, et pourront peut-être bientôt élargir le canon shakespearien par les pièces qui font encore hésiter. Ou, au contraire, d'ajouter d'autres noms à côté de celui qu'on connait.

Une enquête tout à fait passionnante, donc, qui explore tous les méandres de cette curieuse question sur la paternité. Mais si vous cherchez une quelconque morale dans toute cette histoire, la meilleure chose que je puisse proposer est de laisser de côté les spéculations, et de vous tourner directement vers les oeuvres de celui qu'on a toujours appelé Shakespeare.

Comme il le dit lui-même dans "Roméo et Juliette" :



"What's in a name ?

That which we call a rose by any other name would smell as sweet". 5/5

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1599 : A Year in the Life of William Shakes..

Pour nous, Français, la figure de Shakespeare est entourée d'un épais mystère, à cause de l'éloignement géographique et temporel, mais aussi du mythe romantique du génie, qui nous intimide et nous dissuade d'aller voir de plus près. James S. Shapiro, dans ce merveilleux ouvrage, prend le parti de nous montrer Shakespeare dans son entourage concret, dans son époque et dans son lieu. Pour cela, il choisit l'année 1599 de sa vie, année féconde, puisqu'il écrivit quatre pièces importantes et en créa trois : "Henry V", "Comme il vous plaira", "Jules César" et enfin "Hamlet", non créé cette année-là mais seulement rédigé, au moins dans ses grandes lignes. A ces quatre pièces correspondent les quatre saisons de l'année 1599, et les quatre grands problèmes qui se posaient aux Anglais d'alors : Henry V parle de gloire militaire, au départ de l'expédition du comte d'Essex pour l'Irlande ; "Jules César" pose des questions d'actualité politique aiguë, sur le droit des sujets d'assassiner un mauvais roi, et sur ce que cela entraîne (l'exemple d'Henri III de France est présent à tous les esprits) ; "Comme il vous plaira" rappelle l'ancienne Angleterre perdue, la forêt d'Arden et les métamorphoses de l'amour (dans un chapitre réjouissant où l'on voyage avec l'auteur de Londres à Stratford et où l'on fait connaissance avec la famille Shakespeare). "Hamlet" enfin nous conduit au plus intime des consciences du temps, après soixante ans d'orthodoxies contradictoires, de fidélités successives et de crises de la foi religieuse, à la lumière des Essais de Montaigne que l'on commence à lire en Angleterre. Mais tout ceci risquerait d'être bien abstrait et analytique : l'auteur sait couler son érudition et ses profondes pensées dans le moule des anecdotes vivantes, éclairantes et frappantes. On n'a rien de pareil en France : un essai littéraire de niveau universitaire raconté comme un roman. Dommage que ce beau livre ne soit pas traduit dans notre langue.
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1606 : Shakespeare and the Year of Lear

Avec ce bel essai historique, James S. Shapiro répare une injustice et rétablit un équilibre. On a l'habitude de ne voir en Shakespeare qu'un génial dramaturge de l'époque élisabéthaine, en oubliant que la seconde grande époque de sa vie d'artiste se place sous le règne de Jacques I° Stuart, qui régna après la mort d'Elisabeth en 1603. C'est à ce roi écossais, fils de Marie Stuart qu'Elisabeth fit exécuter, que Shakespeare et sa troupe durent leur avancement, la protection du titre de King's Men, et une certaine sécurité financière. On oublie aussi que plusieurs pièces inégalables de l'auteur ont été créées et publiées sous Jacques I° Stuart, et non sous Elisabeth Tudor. Shapiro écrit donc sur un Shakespeare peu connu, peu frayé, le Shakespeare jacobéen.



Comme dans son précédent ouvrage consacré à l'année 1599, l'auteur fonde sa réflexion et sa lecture de Shakespeare sur une prodigieuse enquête, fouillée et aussi minutieuse qu'il est possible. Il peut ainsi recréer le cadre historique, mental et social de ses oeuvres, tout en avertissant le lecteur qu'il ne lui est pas possible de savoir ce que Shakespeare pouvait bien ressentir ou vivre personnellement. A la différence de Montaigne, mort en 1593 et qui se consacra à la réflexion abstraite et au souci de soi, Shakespeare ne laisse rien transparaître de la personne qu'il était : il était, selon les mots d'un psychanalyste frotté de littérature, successivement tous les personnages qu'il créait, une sorte de Protée qu'il serait inutile de traquer pour en saisir la forme "véritable". Shakespeare de 1606 est un père : ce roi Lear et ses ingrates filles, ou le comte de Gloucester et ses deux fils ; des couples : les infernaux Lord et Lady Macbeth, les héroïques perdants Antoine et Cléopâtre ; il est enfin la foule des comparses, complices, comploteurs et fidèles, qui mènent les tragédies à bonne fin. Mais qui voudrait savoir qui était le Shakespeare concret, réduit à sa personne privée, serait déçu.



L'année 1606 n'a pas été choisie pour rien : ces pièces, le Roi Lear, Macbeth, Antoine et Cléopâtre, furent jouées devant des publics, simples spectateurs ou courtisans, qui subissaient comme l'auteur la pression des événements et des circonstances. La Conspiration des Poudres, devant éliminer le Parlement et la famille royale, ayant échoué en octobre 1605, le pays est soumis à une inquisition digne de l'étroite surveillance qui régnait en Espagne à la même époque. Il ne faut pas sous-estimer, au prétexte que nous sommes des modernes perfectionnés, l'efficacité des polices des corps et des pensées en ces temps reculés. La chasse aux catholiques et aux Jésuites bat son plein, et ne passe pas loin de la famille et des voisins de Shakespeare lui-même. Après de longues procédures et de nombreuses séances de torture judiciaire, de savants débats sur la casuistique jésuite que l'on découvre, le spectacle des supplices publics donne le frisson. Autre événement marquant : la poussée de peste qui fit des milliers de morts à Londres en été et automne 1606. Théâtres fermés, troupes décimées, panique générale, telle est la situation professionnelle d'un auteur dramatique et d'un acteur anglais cette année-là. Seul divertissement dans ces angoisses : la visite au printemps de l'héroïque ivrogne Christian IV de Danemark, beau-frère de Jacques I°, avec les innombrables cérémonies et spectacles auxquels la troupe de Shakespare, The King's Men, dut participer.



James Shapiro montre habilement comment les trois grandes pièces de cette année-là servent de chambres d'échos, et de commentaires de l'actualité, pour un public soumis à la pression des événements. Son commentaire du texte, parfois très détaillé, éclaire grandement les oeuvres jusque dans le détail des mots, des formulations ou des adaptations pour la scène. Ce livre d'histoire remarquable est donc aussi un très bon essai littéraire.



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1599 : A Year in the Life of William Shakes..

1599, c'est l'année de Henri V, Jules César, Comme il vous plaira, et une bonne part de l'écriture d'Hamlet… (Je vous laisse reprendre votre souffle). C'est aussi l'année où le théâtre du Globe sort de terre. C'est l'année où le comte d'Essex échoue à pacifier l'Irlande manu militari et enterre les idéaux chevaleresques, et enfin l'année où l'on craint l'arrivée d'une seconde Armada espagnole - sans compter les tentatives d'assassinat de la reine vieillissante mais sans héritier direct.



A mi-chemin entre histoire et analyse textuelle, Shapiro fait un extraordinaire travail pour tenter de révéler un Shakespeare fermement enraciné dans son époque de troubles et de censure. Il combine une érudition étourdissante (à l'excès parfois, à mon goût) à une historiographie "impressionniste" pour nous faire partager l'ambiance d'agitation et de peurs dans laquelle écrit Shakespeare. Ce travail historique permet une approche plus précise des pièces qui ont été écrites pendant cette année. La plus grande période de Shakespeare commence.







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Contested Will

Et voilà le grand spécialiste américain de Shakespeare. Je suis toujours sceptique quand un non anglais parle de Shakespeare, mais après tout, le regard extérieur est peut-être plus juste.

Lui, en l'occurrence, croit dur comme fer que le barde est l'homme de Stratford. Après deux gros chapitres sur les auteurs hypothétiques, Shapiro nous en écrit un troisième (malheureusement beaucoup moins volumineux) sur le résultat de ses recherches et ce qu'il en conclue.

Ses arguments ne sont peut-être pas extrêmement nombreux, mais ils paraissent plus qu'acceptables. A tel point qu'après avoir fini ce livre, on ne sait vraiment plus quoi en penser.

Mais le mystère est fait pour durer, n'est-il pas?
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