Jan Baetens nous parle de «
Les petits dieux » de
Sandrine Willems.
Lien vers le livre : https://www.espacenord.com/livre/
les-petits-dieux/
Dans les Aventures de Tintin, le traitement des voix des personnages montre à quel point l'art d'Hergé reste ancré dans les idéaux du XIXè siècle, non pour s'y laisser submerger, mais pour y trouver un socle solide. Le style des narrations est très "littéraire", un rien empesé, mais sans lourdeur ni grandiloquence. Le langage du protagoniste de la série, Tintin, est d'une neutralité proche de l'inexistence, pendant que face à lui se dressent des comparses au discours toujours très idiosyncrasique, à la fois très chargé (chacun des héros a un tic bien à lui : les insultes du capitaine, les répétitions à lapsus des Dupondt, les répliques décalées du professeur, la rengaine de Bianca) et faussement oral (du petit-nègre des sauvages à l'accent étranger d'un Alcazar).
3.
Adieu symboles, adieu
Couleurs, jolis fanaux
D’obscurité. Je retire l’échelle,
Je ne compte plus
Sur moi, fini de jouer
Aux interprètes de l’ailleurs
Le roman-photo a quelque chose de fondamentalement collectif. On n'y trouve pas d'auteurs comme au cinéma.
Je ne dors pas le sommeil des morts
Le sommeil se lève deux fois par nuit.
Il oublie de réveiller le dormeur au lit
Qui rêve en cachette
À la machine aux bluettes.
Qui se rappelle à notre bon souvenir ?
Le dormeur ? Son rêve ? Un désir mort de rire ?
Sommeil appelle sommeil et nouveau sommeil
Rêve chasse et perd sa place, c'est pareil.
(Le sommeil ne sait pas dormir, le rêve ne sait plus rêver)
Le genre n'a pourtant jamais cessé de se renouveler et de s'adapter, dans la forme et dans le fond, toujours au plus porche du quotidien de ses lecteurs.
Une tombe
Tomber, c'est être dans le vrai. Impossible
De contrefaire ce genre de perte,
Chute horizontale du serpent.
Morsure est un mot somnambule,
Une cheville fourchue, un anneau dans le sang,
Les serpents ne sont jamais là
Aux endroits où tu tombes ;
Je leur marche seulement dessus
Qui m'attendent sous les feuilles des cahiers.
Le genre n'a pas bonne réputation. C'est une lecture pour adolescente rêveuse, femme au foyer, vieille fille de province ou lectrice souffrant de bovarysme.
La poésie est comme la philosophie - ou devrait au moins faire comme elle, c'est-à-dire commencer par un moment de doute absolu.
L'humour bête et méchant d'Hara-Kiri trouve sa forme privilégiée dans le roman-photo. Plus humoristiques, moins intellos que ceux de la contreculture situationniste, ils n'en dénoncent pas moins à grands coups de poing dans la gueule la culture des tabous et des préjugés qui étouffaient la société française d'avant mai 68. Gébé, auteur de bandes dessinées, est fasciné par l'image fixe dont on peut s'imprégner, à l'instar des photos d'exploitation affichées à l'entrée des cinémas. Pour lui, la photographie, par rapport au dessin, apporte un effet de réel supplémentaire aux histoires, même les plus invraisemblables.
08h55
En chemin le piéton se fait logicien,
Il se dit, avec ou sans point d’interrogation,
« Encore une rue où il n’y a rien à voir ».
Il comprend que
La phrase qu’il vient de prononcer
N’est pas vide de sens mais fausse.
En s’expriment de la sorte il a vu en esprit
Une autre vue où il n’y a rien à voir, etc.
Ce qu’on ne veut pas penser, on le pense
Quand même, se dit le philosophe.
L’infiniment grand n’est pas un
Multiple de l’infiniment petit.
L’infini n’a pas d’échelle.
L’infini n’existe pas, sauf pour nous.