Quels sont le statut de l'être humain sur cette terre, son pouvoir, ses responsabilités ? Quelle est la « nature » des choses et des êtres qui la peuplent ? Qu'est-ce qui les unit, les rapproche, les distingue ? Comment préserver l'ordre du monde sans aliéner sa liberté ? Comment la Bible et après elle le judaïsme ont-ils tenté de répondre à ces questions ?
Ce livre n'est ni un traité, ni un essai. C'est un vagabondage. Une méditation libre. Avec ses arrêts, ses détours, ses impasses, ses rencontres improbables. Jean-Christophe Attias propose aux lecteurs de le suivre dans un univers culturel aussi foisonnant, mystérieux et contradictoire que ce que nous avons pris l'habitude, peut-être à tort, d'appeler « la Nature ».
Des hommes, des femmes, le peuple juif et les nations, tout le monde ou presque se croise dans ces pages. On y trouve de la science et de l'intime, de la rigueur, mais aussi de l'émotion, et même parfois de l'humour
Et Dieu aussi, bien sûr, le créateur et le maître, désormais bien silencieux, d'un monde qui s'effondre à cause de nous. Une manière inédite et savoureuse de penser les enjeux environnementaux et sociaux contemporains.
Directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Jean-Christophe Attias a publié de nombreux ouvrages dont Les Juifs et la Bible, Un juif de mauvaise foi ou encore Moïse fragile, prix Goncourt 2015 de la biographie.
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Les réactions de ma famille à cette étrange annonce furent plutôt bienveillantes, tolérantes, quoique verbalement peu développées. On prit acte de la chose sans juger nécessaire de la commenter beaucoup.
Ma mère fit bonne figure, alors même que cette conversion de son fils au judaïsme pouvait avoir pour elle le goût d’une défaite. Je ne suis même pas sûr qu’elle l’ait ainsi vécue. Je me souviens d’ailleurs qu’elle me dit un jour qu’il lui suffisait que Dieu fût présent dans ma vie. Je ne la détrompai pas, bien que j’eusse le sentiment confus que Dieu n’était peut-être pas celui qui m’avait attiré vers le judaïsme, qu’il n’était peut-être même pas un personnage central de ma nouvelle existence, et que c’était le judaïsme lui-même, en tant que
tel, qui m’avait pris dans ses rets.
Ma grand-mère maternelle avait quant à elle d’abord réaffirmé, dans un bref moment de raideur autodéfensive, sa fierté d’être catholique. Mais sa religion était des plus simples, comme elle l’était elle-même, femme du peuple qui avait à peine fréquenté l’école.
Mon aïeule Marguerite, le plus souvent appelée Margot, était surtout la bonté même. Aussi exprima-t-elle une inquiétude. Est-ce que le fait de devenir juif ne me causerait pas des ennuis ? Cette inquiétude, sincère et juste maternelle, n’était pas illégitime ; les juifs ont en effet eu pas mal d’« ennuis » dans l’histoire, et l’on peut imaginer l’effroi intérieur de ma grand-mère à l’idée que son petit-fils pourrait avoir un jour à en affronter de pareils. Je ne me pardonne pas, pour ma part, d’avoir complètement cessé de manger chez elle après ma conversion. De cela, je suis sûr qu’elle a été blessée. Si un jour je la retrouve là-haut, chose que je juge aujourd’hui hélas peu probable, j’espère bien qu’avec la permission du Bon Dieu, elle pourra me servir à nouveau un peu de ces délicieuses rillettes, le « grillon », qu’elle préparait si bien lorsqu’elle tuait le cochon ici-bas et que j’aimais tant (...)
Les rabbins, eux, ne s'embarrassent pas de telles subtilités ni n'adoptent une telle posture apologétique. Leur angle d'attaque est fondamentalement antilittéraire. C'est à leurs yeux une faute, et une faute sanctionnée, que de voir dans la Torah un recueil de chants, comme le fit David. C'est délibérément que Daniel a construit son récit contre les règles les plus élémentaires de l'écriture historique et de la rhétorique, et qu'il a introduit un apparent désordre dans son propos : il ne voulait pas "que l'on dise que c'était là oeuvre de poète", mais voulait que l'on sache bien que seule l'inspiration divine l'avait guidé, non le souci des artifices, des ornements et des ruses qui font la bonne littérature et le discours convaincant, mais auxquels la simple vérité, la vérité vraie peut et doit rester étrangère.
p. 118
Exode IV, versets 24 à 26.
"Comme il était en chemin, à l'étape de la nuit, Dieu l'aborda, voulant le faire mourir." (...)
Abraham ibn Ezra ... A ses yeux, la faute du prophète est ailleurs. Il la situe en amont, au moment même où Moïse s'est mis en route. S'il avait bien tendu l'oreille à l'ordre divin de départ, il serait parti seul. A aucun moment Dieu ne lui a demandé de s'en aller avec femme et enfants. Il lui a dit une seule chose : "Va, retourne en Egypte." (Ex. 4-19) Au singulier. En emmenant les siens avec lui, Moïse s'est mis lui-même en difficulté. Et dans l'obligation de gérer, le moins mal possible, la tension qu'il avait créée entre deux obligations également impératives et dont l'accomplissement ne tolérait aucun délai (le départ et la circoncision de son fils). C'est pour cette raison que Dieu lui envoya son Ange : pour qu'il renonce à ce calcul, procède immédiatement à la circoncision de son fils, et se mette lui-même immédiatement en route, laissant derrière lui sa femme et son enfant convalescent. la menace de mort pesant sur lui prit la forme d'une maladie soudaine. Comprenant que sa survie dépendait de la circoncision de son fils, mais la maladie rendant sa main tremblante, c'est à son épouse Sephora qu'il confia l'accomplissement d ela tâche.
pp. 99-111.
"La plus grande tentation spirituelle de ma vie, la seule contre laquelle il m'est très dur de lutter, c'est d'être juif totalement. A quelque endroit que je l'ouvre, l'Ancien testament me subjugue. Il ne s'y trouve pour ainsi dire pas un passage où je ne découvre quelque chose qui me concerne personnellement. Je me serais volontiers vu avec le nom d'Abraham ou de Noé, encore que mon propre nom me remplisse également de fierté. Lorsque je me sens menacé d'être englouti dans l'aventure de Joseph ou de David, je tente de me persuader qu'ils enchantent le poète que je suis. Et quel poète n'auraient-ils pas enchanté ? Seulement, ce n'est pas la vérité, il y a là-dessous bien davantage encore."
Elias Canetti, cité p. 215
Le dialogue ne consiste pas à effacer ce qui fut, mais à le considérer avec distanciation et à cerner précisément ses rapports avec notre vécu actuel, pour forcer des portes, pour créer des passerelles, parfois sans indulgence, mais avec esp
Ce serait verser dans l’anachronisme que de comparer le statut des minoritaires aux normes actuelles de droits de l’homme. Par rapport au niveau de violence latente au Moyen Age, la vie des communautés juives fut plutôt paisible, davantage en tout cas que sur la rive nord de la Méditerranée. De surcroît, on ne trouve pas en terre d’islam l’équivalent de l’antijudaïsme historique occidental
Dites-moi Mauricette, à votre avis, est-il possible qu’une chose qui s’est passée ne se soit pas passée ? Ou qu’elle se soit passée de deux ou trois façons différentes ?
– Dans les romans, oui, peut-être. L’Auteur efface, rature, réécrit un passage, et c’est une autre histoire, et puis une autre encore. Il peut même les garder toutes, si ça l’amuse.
En dépit de ses inlassables efforts, pourtant, il n’était pas encore parvenu à effacer la tache qu’y avaient laissée, dix ans plus tôt, au pied de notre bel escalier, le sang et la cervelle de ce malheureux Schmoltz. Il avait essayé toutes les brosses et découvrait chaque semaine un nouveau détergent, plus agressif et plus malodorant que le précédent. Cette obstination irritait notre doyen : « Là, cher monsieur, vous ne nettoyez pas, vous usez, on n’efface pas ainsi les cicatrices de l’Histoire ». Je montai les marches quatre à quatre, prenant toutefois grand soin de n’en manquer aucune, me gardant d’ajouter par accident une seconde tache à la première, et de condamner ainsi notre gardien à une dépression incurable.
Il ne s'agit pas de savoir si Dieu existe, mais si on peut lui faire confiance.