Citations de Jean-Daniel Beauvallet (16)
Lorsqu'il est question des B-52'S dans les conversations de salons rock, on évoque souvent les coupes de cheveux insensées, les looks impossibles du groupe, ses vidéos excentriques, ses pochettes à encadrer obligatoirement ou ses productions postmodernes à une époque où l'on ne connaissait pas encore l'expression...Mais on oublie souvent le plus important, ce qui ne révèle ni du gadget, ni du gimmick : l'écriture pop tout à fait géniale de ces créatures d'Athens ou de Georgie. Sorte d'ABBA venues de l'espace, les B-52'S sont une machine à tubes infernale, au son unique entre hi-fi du cosmos et bricolages sur matériel Emmaüs. Ils jouent de la surf music, mais en combinaison spatiale, et l'on peut librement inventer les danses psychédélicieuses qui accompagnent leurs Planet claire ou Rock Lobster. Car ce premier album est un juke-box du bonheur, un best of, déjà. La preuve un expert de la pop les considérait comme son groupe préféré. Un certain John Lennon...
Je suis impossible à vivre, même pour moi : ma compagnie est éreintante.
Chapitre quatre. Hackeur à coeur, p. 37
En 1979, le rock anglais se trouve une muse pour fertiliser son exaspération, orienter sa fureur : Margaret Thatcher arrive au pouvoir.
The Clash, London Calling, 1979, p. 40
De son vivant [Ian Curtis], sa musique sonne déjà d’outre monde : elle est le cri mat d’un homme qui tombe dans un puits sans fond, dont l’écho des hurlements se fait de plus en plus glaçant, résigné.
Je suis musique, édito, p. 12
Bien des années plus tard, dans une de ses phrases définitives et malicieuses, Björk me dira : « En Islande, si tu veux une chaise, tu fabriques une chaise. » Ça deviendra, avec effet rétroactif jusqu’aux années tourangelles, ma devise absolue. Toute ma vie, j’ai construit ma chaise.
Chapitre 8. Officiel Epsilon, p. 63
Tony [Wilson], homme de lettres, avait tendance à prendre ses rêves pour des réalités. Comme ce jour où il reçut un appel de Shaun Ryder [leader des Happy Mondays], à la recherche d’un spot à Manchester pour une session photo. « Tony, j’ai trouvé ! On va poser à côté d’une gigantesque affiche de Rimbaud ! » « C’est super, je ne savais pas que t’intéressais à la poésie française… » « Quelle putain de poésie française ? Je te parle de Rambo ! »
Chapitre 18. Fookin’ Madchester, p. 193
Si vous n’avez jamais dansé sur cette chanson [Don’t You Want Me de The Human League] lors d’une fête, c’est que vous n’êtes jamais allé à une fête.
The Human League, Dare, 1981, p. 82
Je ne l’ai pas encore dit, mais ma vie me va. Je l’ai choisie et construite. Je n’ai gardé que les bonnes personnes. Ma garde rapprochée à moi. Je n’ai pas besoin d’une foule. Comme le dit Bansky : « Les gens m’adorent ou me détestent. Ou ils n’en ont rien à foutre. »
Chapitre 24. L’art à la rue, p. 260
Dans l’interview qu’elle m’accorda par compassion, elle me dit : « Il faut toujours partir. Les Vikings n’étaient pas sédentaires, ils préféraient risquer l’aventure sur de frêles bateaux en bois… J’ai besoin chaque jour de me tester. » Björk ne me parlait bien sûr pas des Vikings mais d’elle-même. D’île même.
Chapitre 16. Islande mon amour, p. 174-175
Mon fils a hérité de cette rigueur de stockage de choses parfaitement inutiles. Nos repas sont de délicieux étalages de savoir dérisoire.
Chapitre 12. Inrock toujours, p. 114
Les premières années aux Inrocks, nous sommes si fiers d'avoir des bureaux que nous y passons notre vie. S'y jouent d'interminables blind-tests. Chacun vient avec ses disques cultes et les fait découvrir aux autres. Je me souviens du choc en entendant pour la première fois Tim Hardin ou The Zombies. Nous sommes des éponges. Chacun enrichit l'autre jusqu'à ce que le dernier ferme la porte. Et la discussion reprend, enragée, sur le trottoir, avant que nos chemins ne se séparent enfin sur un joyeux « à demain ». Car demain serait pareil : entièrement dédié à la musique, à la découverte, à l'échange.
Pour l’éternité, je serai le créateur de Fac 303. C’est quand même autrement plus prestigieux que la Légion d’honneur.
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Je parle ici de la Nouvelle Vague, coup de bélier dans les petites habitudes et magouilles du cinéma-à-papa. Mais on peut aussi parler de la New Wave, qui, en musique, fut également une entreprise de démolition - et surtout de reconstruction. Sans dogmes, sans tuteur littéraire, sans manifeste : juste par urgence de faire, de tourner la page et de profiter du formidable appel d’air généré par le mouvement punk, dès le milieu des années soixante-dix.
Je suis musique, édito, p. 8
Peter Saville, qui désigna la plupart des pochettes du label Factory, dira des pochettes de disques qu’elles sont « la collection d’œuvres d’art que peuvent s’offrir les adolescents. » Dans ma chambre, elles forment un mystérieux kaléidoscope qui raconte Manchester, entre rigueur glaciale (les pochettes Factory), urgence déglinguée (Buzzcoks), expérimentations arty (Ludus, The Passage) ou folie grotesque (The Fall) …
Chapitre 10. Sad Manchester, p. 86
Je suis seul, je prends chaque décision : je suis né le jour où j’ai enfin traversé la Manche.
Chapitre 10. Sad Manchester, p. 84
En quarante années d'entretiens, j'ai souvent démarré mes interviews par cette question qui déstabilise d'entrée : "Quel est le premier bruit qui t'a marqué ?" On m'a souvent retourné la question et j'ai systématiquement menti. J'ai parlé de la batterie électronique étrange sur L'Aigle noir de Barbara, d'un orage infernal sur les hauteurs de Manzagol en Corrèze, d'une verrière qui explose sous mes pas à Montluçon, me laissant à vie des cicatrices aux pieds.
Chapitre 2. La vie dehors, p. 19