5.
Un monde sans buzz
On cure le lit du california Aux pieds
des bottes trouées On patauge deux fois à
l’intérieur et à l’extérieur dans la vase et
les vers que la bèche remonte (ce que l’on
rapporte sur du propre)
On pourrait en faire une
œuvre à la manière d. hirst une vermée
dans un aquarium empli de formol fluo
On le pendrait à l’aulne l’aigu des moustiques
et le grave des crapauds en fond musical
On ouvrirait le musée une heure par an
de préférence un jour de grêle (les e-gens
craignent la nature)
Seul avec les bzzz de l’air
1.
Gravir l’instant Cette courte immortalité
entre les mots Ce blanc où rien ne craque ne
s’enfuit de la scansion neuronale avant
le dépôt scripturaire de la phase phrase
face connue du dedans où Poésie bouge
l’air comme une respiration d’éolienne
On donne à ce temps-mort le pouvoir d’un exil
volontaire Ce que ressent le pèlerin
comptant ses pas près du kailash* ou du grand cirque
des solitudes quand se consume la nuit
que le jour n’est plus une destination
Se dire que ne pas mourir dure si peu
* Le mont Kailash, également appelé en tibétain Gang Rinpoché et dans le jaïnisme, aṣṭapāda est une montagne culminant à 6 638 mètres d'altitude et faisant partie de la chaîne de Gangdise ou Transhimalaya.
4.
On habite l’endroit que la mer clôt On voit
midi Dans l’échancrure éclairée du *len-
tisque (une compagnie de perdreaux se repose
à l’abri de l’entour) rien ne remue l’instant
On ouvre le double-vitrage pour donner
au reflet une position de repli
Le seuil accepte son absence en recevant
un condensé d’haleine Une trace dans l’air
très vite troublée par le son térébrant et
la traînée d’un mirage On peut ouvrir le ciel
d’un coup de langue en lévitant en évitant
les morsures de l’encyclopédie Ses crocs
*L'Arbre au mastic, ou Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus L.) est un arbuste poussant dans les garrigues et les maquis des climats méditerranéens.
QUAND LE CIEL EST AINSI…
quand le ciel est ainsi : voir. seulement voir a des yeux de
rapace. l’immobile apaise le fragile. rien de plus étrange
qu’une légèreté d’oiseau dont on ignore le sens.
une vague entend toutes les vagues. mer et âme cherchent le
point aveugle au vertige avant que ne retombe le peu de
chaleur qu’il nous reste entre les doigts. l’air émonde les
ombres maintenant. peut-être les yeux traversent avant
qu’il ne soit trop tard une blessure une irradiance dans le
territoire du ciel. on veut croire à la simple inconnaissance
des nuages et du temps d’être.
tu le sais c’est ainsi que la clarté tourne tourne. le seul que
nous sommes recommence la faim le sel et le sel avec son
poids de mer autour de la cheville.
//Erwann Rougé (12/01/1954 - )
3.
19:12
La bouée d’un corps-mort allongée sur le sol
comme un soleil en dormition à l’heure an
niversaire Ni tu ni je mais peut-être île
où nous allions – en l’humide secret des algues
de nos langues – éclaircir la buée du monde
On s’étend près du soleil couché – dans la geôle
du corps le pas du père résonne avec l’am
pleur d’une clarté fossile
On balise un non
dit au cœur des gravités sommaires Les vers
élèvent un tumulus – monument promis
à l’esthétique du dérisoire
Un poème
un soir s’est écroulé son rayonnement non
2.
Vingt-deux Le vent du sud remet en plage les
parfums de la pinède alors qu’un demi globe
de lune lorgne la tour éteinte et ses pan
neaux solaires À l’orient sur la ligne de
partage le ferry de gênes illumine
un centimètre d’infini
Un groupe élec
trogène noircit le fût d’un pin parasol
desséché Des particules de gasoil dansent
avec les phalènes dans le cercle restreint
d’un projecteur halogène
Le tambour des
pistons couvre le clac des vagues On s’éloigne
de la mécanique terrestre À dos de dune
3.
Un canadair défait le calme du poème
et du dix Son jaune éclaircit l’œuf solaire en
fumé Des bras tendus numérisent le por
teur d’eau comme d’autres croquaient des vieilles
[femmes
fagots en têtes et pieds dans une misère
encore supportable
Un dernier largage pulvérise les flammes
Le bruit prend de l’altitude bat de l’aile et
se tait Se métamorphose en pixel luisant
En cliquant cet hiver
on verra déferler les clichés de l’été
dans les yeux de vieilles filles à écrans plats
et pieds dans le vide de leur vie sans vertige
1.
Mois neuf On regarde passer le ciel Les mots
s’accumulent dans l’air – où bougent quelques vi
sages – en attente d’ordonnancement On
prend bleu sans vraiment savoir s’il s’accordera
– dans cette prose rejetée (pour figurer
léger poème) – avec l’émotion du mo
ment
On prend bleu (ce qu’il reste d’une blessure
afin de l’effacer en l’écrivant ?) On l’ôte
du lexique aérien On le dilue Noir sur
blanc devient tâche sonore à moduler en
lignes par douze syllabisées
On libère
bleu On le regarde teinter là-haut
Tout bat
4.
Un oiseau joue avec le fil tombant du seul
nuage d’avril jusqu’à sa dernière maille
– s’en fait (qui sait) un nid – et rend au ciel de l’est
sa nudité diurne
Un avion écharpe
l’ouest Dans la blessure un vol irrégulier de
migrateurs s’inscrit – cela ressemble à la
partition d’une passacaille de bach
avant de se diluer en un bref nocturne
Voyage qui passe dans le haut et ne donne
à l’errant qu’un instant de son carnet de notes
On ne sait pas où nous emmène le poème
On sait qu’il nous aide à traverser l’incertain
4.
Des mots en hiver
Assis La main en gerbe face au contrecœur
À peine sensible la chaleur d’hier prise
dans la fonte du paysage et les commen
taires de trois générations de veilleurs
Leurs souffles encore dans la pelle des cendres
On tisonne le presque éteint Du peu de chêne
à vif rougeoie la géométrie d’orion
On froisse le quotidien – le flux contingent
des vieilles nouvelles recommencées (l’ennui
de l’idem) – sans l’avoir lu on sait la beauté
d’un choc rétinien l’éclat indélébile
de l’arbousier tel un brasero sidéral
Trois pignottes deux brindilles sous les mots di
vers une allumette Le cycle du carbone