La cité au prisme du gardien .
Entretien avec le sociologue Jean-François Laé sur son dernier ouvrage, Dans l'oeil du gardien, éditions du Seuil.
L'indifférence à la différence empêche de penser ce qui se joue réellement dans la cité Albert.
Depuis vingt ans, la prise politique est débranchée. Plus la demande d'Etat s'intensifie, plus l'hostile défection se manifeste. Si démolir des tours changent l'image extérieure de la cité, qu'en est-il de l'image à l'intérieur?
Il faut lire ces pages avec le trouble inquiet d’une contamination dont on ne savait rien, presque rien, du probable et du possible. Il faut se souvenir du flot d’injonctions discriminantes entre jeunes et vieux, vivant seul ou en famille nombreuse dans un petit logement, avec ou sans les grands-parents, avec des symptômes : mais quels symptômes ? Pourquoi tu tousses encore ?
Le gardien des civilités offre de la fluidité dans les circulations et les cohabitations difficiles.
Car ça appartient à qui cette explosion d’événements ? Ça appartient à qui cette mémoire ? De quoi est-elle faite, d’ailleurs ? Et par qui ? Il faut considérer les pages qui suivent comme une contribution parmi d’autres préhensions, d’autres savoirs, d’autres regards sur ce qui s’est passé en Seine-Saint-Denis. Comment s’exerce la solidarité concrètement, entre générations, entre les statuts, entre le passage de la robustesse à la fragilité, entre les valeurs économiques des uns et des autres ?
Qui parcourra ce livre sera saisi par cette soudaine sidération du mois de mars 2020. Ces pages font part des peurs et des pleurs, de l’incompréhension et de la solitude, des malaises et des fatigues qui ont envahi le département de la Seine-Saint-Denis. Elles nous parlent de ce moment exceptionnel d’impuissance et d’initiative spontanée, de désocialisation à grande vitesse et de points remarquables de résistances
Il faut bien mesurer cette distance. Il faut bien évaluer ce gouffre. Car il ouvre à la compréhension du "non accès au droit" dans lequel se nouent les inégalités. Que faire lorsque vous ne savez pas accéder à l'hôpital par vous-même, à la Sécurité sociale pour votre retraite, votre pension de reconversion, la maladie mais aussi la justice, à l'état-civil, aux cartes de transport, à la Poste ?
« Aller vers » l’échelle individuelle de la vieillesse, c’est garantir leurs droits en adaptant la protection, en rassemblant les différents types de prestataires auprès des « personnes âgées dépendantes », en créant un guichet unique et toutes administrations confondues : santé, travail, politiques sociales, justice et collectivités territoriales
Durant toutes ces années, j'ai pu observer les milliers d'élèves qui sortaient des lycées environnants, évitant de rentrer chez eux : un mètre carré au domicile comme espace de travail, le partage du seul ordinateur à la maison, des frères et sœurs qui cohabitent, des intimités dans l'espace public à défaut d'un lieu à soi.
Les métiers du détergent, rinçage, javel sont par milliers. Les métiers portant des chaussures antidérapantes, gants caoutchouc aux mains, tête protégées son légion. Les métiers du déshabillage, lavage, habillage sont multiples. On les voit habillés de ces vêtements qui protègent des souillures