Citations de Jean-Luc Wauthier (77)
Tout se lézarde
au royaume du vent
Qu'y a-t-il derrière
ce cercle de feu
sinon des hommes nus
des hommes et du sang
du sang des hommes des feuilles
du vent
et tout le monde
magiquement entr'ouvert
comme un premier matin
quand l'amour a les cheveux défaits.
p.54
Le valet du prince, lui,
ne songe qu'à planter à tondre
à couper
sans savoir l'amour de l'herbe
ni connaître le dédain des fleurs
p.51
Chaque fois que j'avance,
le souvenir de la forêt
me fait mal
Ce n'est rien
ou presque
de simples choses
le vent du Sud
la tête coupée du ruisseau
qui gèle sous le boisseau
de l'ombre
le ciel
l'oiseau
Ce n'est rien
L'ombre du couteau
divise mal les mots.
p.50
La mer
est une petite poupée de porcelaine
qui déploie ses airs de coquette
égrène autour d'elle ses villages
fins comme des visages
elle peigne le sable
et rafistole
de vieilles ancres rouillées
Sa volupté seule
transgresse
la douceur des oiseaux abandonnés.
p.49
Parle pour les oiseaux de craie
Parle pour l'enfant
Ouvre la porte sur la clarté du ciel
La dissidence des horizons appelle
ta parole,
embarrassée sous les algues
et les goémons
p.48
La mer toujours nous défend la tristesse
malgré l'oiseau
malgré l'écume
qui parlent de mort
et de vanité
La mer toujours nous dit la tendresse
nous oblige à redresser la tête
à hurler plus haut que le vent
Et le sel pour toute soif
recueille sur le sable
les débris de nos cris triomphants
p.46
La mer seule
dénombre au large
les terres promises
enlève à nos regards fatigués
toute mémoire
disperse sur le sable
les oripeaux du temps
Nous rendons grâce
p.45
Le vent souffle vérité
au bord du fleuve
l'arbre qui n'est pas d'ici
se souvient
p.44
L'aube atteint l'extrême bord
du ciel
tout reste à dire
et d'abord l'autre versant
puis le grand déchirement,
vague prédateur surgit de la nuit
et qui gronde
et qui réclame
la tête
du semeur d'orties
couchée sur le souvenir oublieux
du sang
p.41
Non pas la mort
mais le trou
Non pas la guerre
mais la blessure
Non pas l'orage
mais l'éclair
Non pas la poésie
mais les mots
Liberté grande
sous es débris
du silence fertilisé
p.40
Chanter dans le noir pour parer les offenses, les brisures
du miroir, les éclats du jour.
Écraser du talon les larves de l'habitude et débusquer vif
le serpent, nu sous les fougères.
Que nul ne s'approche des sources gardées par les
guêpes, poèmes foudroyés sous les rires du ciel nu.
p.60
Au loin l'orage gronde
Ouverts
puis refermés
les livres restent silencieux
Muets – aussi – ces lecteurs de bronze
brisés çà et là sous le souffle
des bombes
(et l'on quitte
le cercle des assis
pour répondre
aux ordres du feu)
p.64
Seule
sur une falaise de craie
la femme nue
rongée par l'amour
et qui te crie
sans cesse
« la vie est autre chose la vie
est ailleurs »
avant de se jeter dans le vide
et de t'aimer
en pure perte
p.29
Parler pour ne rien dire
a quelque chose d'aussi beau
que la mort du dernier éléphant blanc
que le désert secoué de larmes quand
des hommes noirs desservent les tables
Parler pour ne rien dire
est le propre de l'homme
hurlait la vierge qui,
proche de l'amour à y tomber
ne parlait pus
que du bout des yeux.
p.62
Pour André Schmitz
Il fait froid dans la maison
On a brûlé le dernier poème
il y a longtemps déjà
et quelques brises inutiles
gardent le goût des cendres
Les cœurs sont gros
Une enfant, qui veille dans le noir
et porte aux morts la bougie attendue
ouvre d’une main heureuse
la porte de l’avenir.