Citations de Jean d` Amérique (163)
La vie
en transe
dans un violent rythme
Plénitude
des mains cruelles
qui donnent leur signature
au braquage
Épopée
de sombres instants
qui témoignent
le déraillement des êtres
que le malaise du sans-pain
a enfanté.
Rhapsodie. Poème-fleuve. Port-au-Prince l'éprouve à coups de pierres, en adviennent lumineux ricochets. Son enfance emprisonne une étoile rue de La Fleur du Chêne, bougainvilliers pour barreaux. Traînée de poudre, la nouvelle explose les cervicales. Que d'astres en ont perdu la tête ! Aujourd'hui encore, sur les berges nocturnes, leurs cadavres invoquent l'enfant, leurs fantômes mandent le poème, d'une voix plus basse qu'un genou plié.
Si son portable se trouve déchargé, il sera plus que contrarié. Pas question de rater des appels. Papa atteint ma tête par une gifle remarquable et prend son téléphone que j’utilisais pour éclairer la pièce. Il aurait sûrement pris mon bras avec, si ce n’était pas plus difficile à arracher.
Les mots aiment se jeter dans le vide, l’important, alors, c’est de faire le vide et de les laisser couler.
Parmi les habitants de Martissant, certains avaient cessé de l’être, étaient partis dans d’autres quartiers déposer ce qui subsistait de leur vie. D’autres, ayant forcé les choses pour mettre de côté la somme nécessaire, avaient découpé les nuages dans de grands oiseaux métalliques pour aller cueillir un mieux-être hors de l’île. Le reste constituait une pincée d’êtres vaincus par le vide et la désolation.
J’habite la Cité de Dieu, et ce n’est ni un film, ni un roman fantastique. Ici l’on voit les averses du dénuement sur les joues, les lignes brisées des regards, le gouffre dressé dans les yeux, les gueules qui se racontent au vide, le si lointain exil du pain, d’instruction ou de nutrition, les gosses sans soleil à l’horizon qui rampent dans l’ombre de la violence et qui deviendront des voyous pour se buter les uns les autres, bouffeurs de souffle, l’implacable putréfaction de la saison-plaie où l’on cherche un rayon de lumière, l’éternelle spirale infernale, le pays qui écrase les rêves, la jeunesse qui périt, les femmes agressées qui défilent, silencieuses, sur leurs blessures, couvant à jamais leurs mots sous le voile d’une honte générée par une société prétendument moderne.
À des jeunes gens de quartiers précaires comme Cité de Dieu, les gouvernements et les candidats au pouvoir donnent des armes et quelques rations de riz pour asseoir leurs desseins malhonnêtes déguisés en démocratie. Enrôlés pour les mêmes raisons, mais pas par les mêmes personnes, ces jeunes excellent à se battre et, au passage, choisissent dans la ville comme bon leur semble des corps à abattre, des souffles à éteindre, des âmes qu’ils envoient au Pays sans chapeau sans billet retour. Entre peur et précarité, le désespoir s’invite. Les gouvernements se succèdent, les armes continuent de chanter, il n’y a jamais de riz pour toutes les bouches, la vie ressemble de plus belle aux empires de détritus qui nous environnent, les survivants sont les mouches violentes qui parviennent à les survoler.
Quartier, s’il en est, au cœur troué d’un dépotoir, avalanche de merde là où certains se rappellent une rivière. À moins de dix mètres du Théâtre Mare d’Eau Sale, le seul théâtre – qui n’en est pas un, à la vérité, sauf si théâtre est bordel – que l’État a mis en place, ce bassin d’immondices offrant un singulier spectacle à la moindre pluie venue, semble avoir décroché la bonne place. Tout de même, notre carte de visite. Quand on arrive sur le boulevard du Bicentenaire, on voit, sans effort, une armée de débris partant vers la mer dans une lente marche, une armée dont l’arme de combat est une puanteur à défoncer les narines. On peut la suivre, on peut la suivre pour arriver jusque chez nous. Nous avons l’habitude de partir avec elle, aller vers quelque lieu innommable, aller chaque jour vers où nous perdre. Nous marchons le long de la terrible ravine Bois-de-Chêne, pèlerins de la décadence. Nous sommes d’une ville qui marche dans ses pas fourvoyés, nous sommes d’un pays qui vogue vers ses ruines.
L’enfance est une blessure dont on ne peut se laver.
Dehors, le ciel ramasse ses dentelles. Les lueurs du jour accrochent silencieusement leur voile au bout d’un vent invisible. C’est la nuit qui vient nous l’apprendre.
C’est pays chaud comme foule en émeute, fruit bleu à détrôner tout azur, tu devrais goûter
Rhapsodie rouge, crépuscule fantasmé par l’horizon. Sa vingtaine se balade parmi la foule, s’arrête à une terrasse : radeau pour les noyés. Elle ouvre ses ailes, à dépecer les collines embourbées d’idées fixes. Les ténèbres espèrent en vain la conquérir, la séquestrer : aucun nuage ne peut contrarier un oiseau ivre
tu raconteras à tes écorces la traversée étoilée, négocieras avec l’enfer les clefs d’une nouvelle odyssée
Je laisse ma tête se reposer sur le seuil du silence, invocation d'une dernière goutte de sommeil.
Ce n'était nullement rare qu'on ouvre sa porte au petit matin pour tomber sur un corps inerte profitant d'un bain de sang frais.
A reprendre les couloirs de mon enfance, je récolte des débris de rêve par éclaboussure.
Quand tombent des étoiles, le ciel ne peut recoudre leur beauté.
Ses yeux, comme des lucioles, illuminent la pâleur entre mes paupières. Le printemps danse dans ses pupilles et le soleil s'essaie, funambule, le long de ses cils. Son regard, une étendue de sable venue flatter les vagues.
Tu ne restes pas sale, Tête Fêlée ! La douleur te mange déjà dedans, tu n'as pas besoin de faire sa publicité. Tes tripes, ton sang, ils baignent dans l'ombre. Garde au moins le soleil sur tes lèvres, laisse couler la lumière sur ta peau. Lave-toi ma fille.
Voilà. Me laver malgré tout.
Dehors, le ciel ramasse ses dentelles. Les lueurs du jour accrochent silencieusement leur voile au bout d'un vent invisible. C'est la nuit qui vient nous l'apprendre. Flots d'ombres qui épongent le crépuscule.
Le ciel des insoumis n’a point de pacte avec la boue.
Le ciel indigné ne rampe pas avec les dos courbés