Citations de Jean de la Brète (41)
Qui donc
vous a habillée, Reine ?
– Suzon, un diminutif de ma tante pour le
mauvais goût et la bêtise, répondis-je avec dépit.
– Votre tante n’avait donc pas le sens
commun ?
– Elle en a eu beaucoup quand elle est partie
pour l’autre monde, mais pas autrement,
répondis-je tranquillement.
– Suzon, repris-je, profitant de ce subtil
adoucissement pour arriver plus vite à mon sujet,
j’ai envie de te faire une question ! – Quelle est
ton opinion sur les hommes... et les femmes ? ajoutai-je, songeant qu’il était ingénieux
d’étendre mes études sur les deux sexes.
Suzon s’appuya sur son balai, prit son air le
plus rébarbatif, et me répondit avec une
conviction entraînante :
– Les femmes, mademoiselle, sont des pas
grand-chose, mais les hommes sont des rien du
tout.
Mes moyens de corruption ne produisant
aucun effet, je dirigeai mes batteries sur un autre
point.
– Sais-tu une chose, Suzon ? Tu as dû être
bien jolie dans ta jeunesse ! dis-je, en pensant à
part moi que, si j’avais été son mari, je l’aurais
mise à cuire dans le four pour m’en débarrasser.
« Les hommes ne valent pas les quatre fers
d’un chien », disait ma tante dans le langage
harmonieux et élégant qui lui était habituel.
Je ne nie pas que mon traité serait peut-être
unique dans son espèce, qu’il ne ressemblerait en
aucune façon à la philosophie dans laquelle Kant,
Fichte, Schelling, etc..., ont pataugé toute leur vie
pour leur plus grande gloire et le bonheur bien
grand de la postérité, qui les lit avec un plaisir
d’autant plus vif qu’elle n’y comprend rien.
Néanmoins, il en tenait pour ses héros ; il les
admirait, les exaltait, les aimait d’autant plus, sans doute, que, le cas échéant, il se sentait
absolument incapable de les imiter.
Son moral était la reproduction fidèle de son
physique. Il ne renfermait que des âpretés, des
aspérités, des angles aigus contre lesquels les
infortunés qui vivaient avec elle se cassaient le
nez quotidiennement.
Mon cher ami, écrivait le docteur Cébronne à M. des Jonchères, tu te rappelles cet endroit où tu m’as accompagné il y a quelques années ? En vrai Parisien, tu y voyais seulement une solitude absolue, un air triste sous sa verdure et sa vétusté, sous le siècle qui a jauni les toits et patiné les murs. Moi je t’en décrivais le charme mystérieux, vu par mon cœur et mes souvenirs… Je l’aimais jadis, maintenant je l’adore dans son rajeunissement produit par l’amour heureux. Tu te souviens aussi d’une pensée que nous avions discutée ensemble : « Le cœur de la femme est un miroir qui reflète l’univers entier ? » La comprenions-nous bien ? Je ne le crois pas. [...] Le cœur féminin, qui comprend tout, est bien « le miroir qui reflète l’univers entier. » Ma vieille amitié te souhaite de le posséder un jour. Adieu et à bientôt ! Cébronne.
Il faut se soumettre à la volonté de Dieu qui permet, sans doute, que ma vie ne soit éclairée par aucune joie. Du moins, vous vous consolerez, c’est mon vœu le plus cher, et si, un jour, je vous sais heureux, un rayon de votre propre bonheur viendra jusqu’à moi. La pensée d’avoir été aimée de vous sera éternellement la douceur de mon cœur endolori.
C’était un de ces soirs doux et paisibles, où les promesses de la terre refleurie excitent les bons espoirs, calment les pensées douloureuses, où le bien semble émaner de la nature entière, où rien ne fait prévoir le mal.
M. Saint-Odon disait un jour en riant :
— Mademoiselle Vidal-Armont, comme Mme Geoffrin, « passera en voyant le bien ».
Est-ce plus inintelligent que de voir le mal ? Je me le demande. Croire à plus de bonté ou de beauté qu'il n'y en a dans la nature de l'homme est naïvement bête aux yeux des gens qui affirment que connaître la vie, c'est connaître le mal et en voir un peu partout. Mais la croyance au bien est extrêmement réconfortante. Je me demande même si un tel état d'âme n'est pas l'écho de nos aspirations inconscientes vers un état supérieur au terre à terre de l'existence.
le sol, loin d’être uni, était formé d’une quantité de crevasses et de monticules qui invitaient les fidèles à se casser le cou et à profiter de leur présence dans un lieu sanctifié pour monter plus tôt au ciel
De ma vie je n’avais lu un roman, et je tombai dans une extase, dans un ravissement dont rien ne pourrait donner l’idée. Je vivrais neuf cent soixante-neuf ans, comme le bon Mathusalem, que je n’oublierais jamais mon impression en lisant la Jolie Fille de Perth. J’éprouvais la joie d’un prisonnier transporté de son cachot au milieu des arbres en fleurs, du soleil : ou, mieux encore, la joie d’un artiste qui entend jouer pour la première fois, et d’une manière idéale, l’œuvre de son cœur et de son intelligence. Le monde qui m’était inconnu, et après lequel je soupirais inconsciemment, se révéla à moi tout à coup. Une lueur se fit si soudainement dans mon esprit que je crus avoir été jusque-là stupide, idiote. Je me grisai, m’enivrai de ce roman rempli de couleur, de vie, de mouvement.
- Sais-tu une chose, Suzon ? Tu as dû être bien jolie dans ta jeunesse ! dis-je, en pensant à part moi que, si j’avais été son mari, je l’aurais mise à cuire dans le four pour m’en débarrasser.
Sans perdre une minute, je mis à exécution un projet mûri depuis longtemps. Il s'agissait de prendre possession de la bibliothèque, dont le curé avait la malencontreuse idée d'emporter la clef, mais je n'étais pas fille à me décourager pour si peu.
Je courus chercher un échelle que je traînais sous la fenêtre de la bibliothèque; après des efforts surhumains, je réussis à la lever et à l'appuyer solidement contre le mur. Grimpant lentement les échelons, je cassai une vitre avec une pierre dont je m'étais munie; puis ôtant les morceaux de verre encore attachés au châssis, je passais la partie supérieure de mon corps dans l'ouverture et me glissai dans la bibliothèque.
Je tombai la tête la première sur le carreau; je me fis une bosse énorme sur le front, et, le lendemain, le curé m'apporta un onguent pour la guérir.
Mon premier soin, quand je me relevai et que l'étourdissement causé par ma chute se dissipa, fut de fouiller dans les tiroirs d'un vieux bureau pour découvrir une clef pareille à celle que le curé avait fait disparaître. Mes recherches ne furent pas longues, et, après deux ou trois essais infructueux, je trouvai mon affaire.
Après avoir supprimé, autant qu'il me fut possible, les traces de mon effraction, je m'installai dans un fauteuil, et, pendant que le me reposais de mes fatigues, mon regard fut frappé par les ouvrages de Walter Scott placés en face d moi. je pris au hasard dans la collection et je m'en allais dans ma chambre, emportant comme un trésor la Jolie Fille de Perth.
De ma vie je n'avais lu un roman, et je tombai dans une extase, dans un ravissement dont rien ne pourrait donner l'idée. Je vivrais neuf cent soixante-neuf ans, comme le bon Mathusalem, que je n'oublierais jamais mon impression en la lisant la Jolie Fille de Perth.
J'éprouvais la joie d'un prisonnier transporté de son cachot au milieu des arbres, des fleurs, du soleil; ou, mieux encore, la joie d'un artiste qui entend jouer pour la première fois, et d'une manière idéale, l’œuvre de son cœur et de son intelligence. Le monde qui m'étais inconnu, et après lequel je soupirais inconsciemment, se révéla à moi tout à coup. Une lueur se fit si soudainement dans mon esprit que je crus avoir été jusque-là stupide, idiote. je me grisai, m'enivrai de ce roman rempli de couleur, de vie, de mouvement.
Il m'arrivait souvent de me planter devant mon miroir et de causer tout haut avec mon image durant des heures entières...
Mon cher miroir! ami fidèle! confident de mes plus secrètes pensées!
Je ne sais si les hommes ont jamais réfléchi sérieusement à l'influence énorme que ce petit meuble peut exercer sur un esprit. Remarquez que je ne détermine pas le sexe de cet esprit, étant bien convaincue que les individus barbus tiennent autant que nous au plaisir d'observer leurs qualités extérieures.
Si j'écrivais un ouvrage philosophique, je traiterais cette question: "De l'influence du miroir sur l'intelligence et le cœur de l'homme."
Je ne nie pas que mon traité serait peut-être unique dans son espèce, qu'il ne ressemblerait en aucune façon à la philosophie dans laquelle Kant, Fichte, Schelling, etc..., ont pataugé toute leur vie pour leur plus grande gloire et le bonheur bien plus grand de la postérité, qui les lit avec un plaisir d'autant plus vif qu'elle n'y comprend rien. Non, mon traité n'irait point sur les brisées de ces messieurs: il serait clair, net, pratique, avec une pointe de causticité, et il faudrait pousser bien loin l'amour de la contradiction pour ne pas convenir que ces qualités ne sont point l'apanage des philosophies ci-dessus mentionnées. Mais, ne trouvant pas mon intelligence assez mûre pour ce grand œuvre, je me contente de conserver à mon miroir une sincère affection et de m'y regarder chaque jour très longtemps, par esprit de reconnaissance.
Je sais bien que, devant cette révélation, quelques-uns de ces esprits fâcheux, grincheux, qui voient tout en noir, insinueront que la coquetterie joue un grand rôle dans le sentiment que je prétend éprouver pour mon miroir. Mon Dieu! on n'est point parfait! et remarquez, beau lecteur, que si vous êtes de bonne foi, ce qui n'est pas certain, vous avouerez que l'intérêt personnel, pour ne pas dire un plus gros mot, tient la première place dans la plupart de vos sentiments.