'' - Oui. Ma mère a compris dès ma naissance que je serais toute ma vie un ours mal léché. C'est joli, Odette. Ici, toutes les femmes ont des petits noms qui se termine en « a », c'est lassant. [...]
La terre était à l’agonie, totalement exsangue entre les mains des Pilleurs et des Détrousseurs, les deux grandes dynasties qui maraudaient sur la planète depuis plus de quinze siècles, seules survivantes parmi toutes celles qui avaient vu le jour après le Grand Chaos il y a de cela deux mille an
Une des techniques consistait à récupérer les papiers de celui qu’on avait tué, faire disparaître le corps et falsifier les papiers en question pour y mettre sa propre photo. On endossait ainsi une nouvelle identité et on pouvait s’en servir, éventuellement pour approcher et tuer une autre personne. Et ainsi de suite. Il est vrai qu’à l’époque, c’était plus simple qu’aujourd’hui, les papiers d’identité étaient justement en papier et remplacer une photo était un jeu d’enfant. Désormais, le travail était plus compliqué, mais il existait du matériel électronique très pointu qui restait tout à fait abordable. Il lui avait suffi de suivre des cours du soir pour apprendre à s’en servir.
Le « sur-place » était fatalement devenu du « à reculons », spontanément, insidieusement, et l’Humain n’avait même pas eut besoin d’un cycle annuel complet pour devenir un être aussi ambitieux et pétillant qu’une amibe.
On entend bien souvent dire que la grande peur de tout écrivain serait la tristement célèbre feuille blanche.
Que nenni ! Il existe une peur bien plus intense que celle-là. La peur… de ne pas être reconnu dans son statut d’écrivain. Ne pas être reconnu par ses pairs, s’entend.
La plupart des auteurs finissent par accepter de vivre cet état de fait : il s’écrit bien plus de manuscrits (appelés aujourd’hui volontiers « tapuscrits ») que ne peuvent en publier les maisons d’édition, aussi florissantes soient-elles, pour certaines.
Les représentants des Dynasties aimaient observer comment ces femelles pouvaient s engrosser elles mêmes et mettre au monde de petits êtres, dont elles n eprouvaient aucune envie de s occuper.
Si nous nous arrêtons à vingt, ou pire dix pages, cela veut dire que nous avons affaire à un véritable navet. On le sent dès le début. Et vous verrez ! Vous aussi vous saurez sentir l’odeur si âcre et désagréable du navet dès les premières pages. Au début, on se dit que le démarrage est difficile, ce qui peut arriver. Puis on se fait la remarque que ça ne va pas en s’arrangeant. Et pour finir, reprendre le manuscrit en main pour en poursuivre la lecture devient un véritable sacerdoce que nous refusons d’endosser.
Ce que tu peux m’agacer, parfois ! Eh bien si, je vais tuer. Désolé. Bon, de toute façon, ton avis je m’en fous... J’ai déjà décidé. Le gars du comité dira qu’il ne faisait qu’obéir, et patati et patata... comme l’ont dit les nazis au procès de Nuremberg, ils ne faisaient qu’obéir. Ben ouais. Mais ils auraient aussi pu choisir de ne pas obéir à des ordres inacceptables. Donc... j’ai déjà choisi ! C’est le gars du comité qui va trinquer. À chaque fois. En plus, il a l’avantage d’être plus facilement abordable.
La secrétaire, attendrie et compatissante lui avait recommandé de retravailler son manuscrit avec l’aide de personnes dont c’était le métier, avant de le présenter de nouveau à des maisons d’édition. Il en était resté sans voix.
C’était alors que la phrase d’un ami lui était revenue à l’esprit :
— Tu sais, dans ce genre d’aventure, il y a beaucoup plus d’appelés que d’élus, alors il vaut mieux avoir réfléchi à sa capacité à gérer les râteaux. C’est ce que tu as fait, bien sûr ?
Pour ta femme, c’est autre chose. Je vais t’en apprendre une bien bonne. Figure-toi qu’elle te trompe. Ne fais pas cette tête-là ! Je t’assure que c’est vrai. Regarde, j’ai plein de photos.
Clichés brandis devant les yeux du pauvre Mathieu, suffisamment lentement pour qu’il puisse tous les contempler à loisir et s’en rendre malheureux.