John Veher

Un bon conseil n'est jamais inutile. Il faut juste être en état de le recevoir.

Il n’y avait qu’à se rappeler, par exemple, le suicide collectif du Temple du Peuple au Guyana qui avait fait, en 1978, 923 victimes.
David parcourut rapidement le reste de l’ouvrage, retrouvant des choses qu’il connaissait déjà, comme les techniques utilisées pour recruter les futurs adeptes, la préférence accordée aux individus faibles ou fragiles, et tout ce qui permettait, bien qu’une définition précise fût impossible, de classer sous le terme de sectes tous les groupes [...]

Qui aurait bien pu vouloir les suivre, et pourquoi ? Mais Paul repensa à la lettre anonyme qu'il avait trouvée dans sa boite aux lettres. Certes, c'était très certainement un canular, des gamins du quartier qui s'amusaient en attendant la rentrée des classes, pourtant Paul n'arrivait pas à chasser de son esprit l'image de ces quelques mots écrits en lettres capitales. Il ne croyait pas aux mauvais présages. Il n'avait pas envie de croire aux mauvais présages.

Il fallait convaincre les nouveaux adeptes, pour augmenter les chances de sauver le monde bien sûr, mais avant tout pour leur soutirer le maximum d'argent. La secte vivait officiellement de la vente de quelques produits qu'elle cultivait, mais officieusement, les sommes exorbitantes qu'elle demandait aux nouveaux membres permettaient à son fondateur de se constituer une jolie fortune, dont une bonne partie, pour alimenter ses comptes en Suisse.

C'était agaçant cette impression d'avoir toujours un train de retard, cette sensation d'être un pion. Le pion de qui, de quoi ? Pas le pion du destin en tout cas. Il ne croyait pas au destin. Il croyait au libre arbitre et à ce qu'on en faisait.

Sans doute, pensa Paul, était-il plus facile de combattre l'ennemi extérieur que celui qui vous ronge à l'intérieur.

Jamais elle n’avait été dans une telle situation, et même si son amie avait pris soin d’y mettre les formes, elle avait malgré tout senti la pression qui se cachait derrière cette conversation en apparence banale. Il fallait résister. Surtout ne pas perdre le contrôle.

Il y avait finalement assez peu de différences entre un alcoolique et un adolescent, notamment concernant la qualité de leur mémoire et la fiabilité de leur parole, sans parler des propos incohérents qu'ils marmonnaient régulièrement entre leurs dents mal lavées.

Paul ne savait plus très bien où il en était. Ce qu'il y a de rassurant dans les certitudes, c'est précisément que ce sont des certitudes. Plus besoin de se creuser la tête, d'échafauder les hypothèses les plus improbables. On sait, et ce savoir vaut pour toujours. Mais quand soudain le certain devient impossible, la raison vacille, et c'est comme si l'on tombait dans l'obscurité du néant, sans rien à quoi se raccrocher.

La littérature parlait comme d'un cliché de l'aiguillon de la jalousie. Ce n'était pas un aiguillon, c'était un sabre japonais qui vous ouvrait en deux.

Pourquoi rien ne pouvait-il jamais être parfait ? Il se força à croire que le verre à moitié plein allait se remplir peu à peu, jusqu’à déborder. Déborder de vie, de bonheur et de renouveau.

Vous verrez, cette allure, cette classe, le silence de l’électrique, le plaisir de la conduite au quotidien ! Quand on y a goûté, on ne veut pas d’une autre voiture, même pas une Audi ou une BMW !
Paul était troublé. Le bonhomme était sympathique, loin de la description lapidaire que lui avait faite Robert. Mais visiblement, il n’avait pas que des amis. Quelqu’un dans le voisinage voulait balafrer « l’amour de sa vie » et avait chargé Paul de le faire…

Sa femme ne ressemblait pas à grand-chose, avec une face de lune assez commune et un embonpoint qui l’empêchait de rayonner dans une robe qu’elle avait pourtant dû payer un prix exorbitant.

Cette faculté des enfants à s’adapter à tout, même au pire, et à considérer chaque journée l’une après l’autre… Jules lui, avec ses seize ans, n’avait plus cette insouciance depuis longtemps. D’ailleurs l’avait-il jamais eue ? Paul se souvenait encore de son regard inquiet la première fois qu’il l’avait pris dans ses bras après un accouchement difficile pour Camille. Comme s’il portait déjà sur ses minuscules épaules le poids d’un monde qui lui était étranger.

Après tout, un nouvel arrivant devait forcément subir une phase d’observation avant de se faire accepter. Il y avait des voisins qui étaient d’emblée sympathiques, comme ce Henry Shrier, et ceux qui avaient sans doute besoin d’un peu plus de temps pour socialiser.

Marie, Mathieu, Sarah et René observaient l’esplanade, à la recherche de personnes qui, comme eux, pouvaient avoir une allure étrange, un vêtement à la main, un regard scrutateur, ou tout simplement l’air d’attendre quelqu’un.
[…]
- C’est une sortie de jeu ou quoi ?
Mathieu haussa les épaules.
- Aucune idée. Mais celui qui a préparé ça doit être un peu dérangé, non ?
- Un peu sadique surtout, rectifia Marie.
- Ouais, enchaina Sarah, pour moi c’est une grosse blague. […]
- Attendez, dit Marie, peut-être aussi que c’est sérieux. Il faut réfléchir à toutes les options.
Mathieu acquiesça.
- Si on a rendez-vous ici, c’est sûrement pour une raison.

Un des chapitres du dossier Axis, s'attardait sur la personnalité de Marcel Trilot, dit "Servator". Un homme dérisoire et dangereux qu'une soixantaine de personnes suivaient comme s'il était la lumière. Trois ans avant de fonder sa communauté, il avait été emprisonné pour attentat à la pudeur sur une mineure, puis relâché pour bonne conduite. Voilà pourquoi il préférait sans doute avoir uniquement affaire à des adultes. Pour éloigner la tentation sans doute, mais surtout pour éloigner les ennuis.

Mathieu lui, n'était pas rompu à ce genre d'exercice et la sueur froide qui glissait dans son dos témoignait de son malaise. Il essayait de se raisonner. Après tout, ils ne faisaient rien de vraiment grave. Enfin, il voulait s'en persuader. Ce qui l'inquiétait surtout, c'était cette pensée idiote, celle qu'ils s'étaient peut-être infiltrés chez un serial-killer...

C’était si facile de berner les vieux. Ça l’agaçait d’avoir soixante-quatorze ans, d’être « dépassé ». Qu’est-ce qu’il avait fait pour être puni comme ça ? Ne plus pouvoir courir, utiliser son cerveau à plein régime, monter un escalier sans être aussitôt essoufflé… Et d’après ce bon Dr Cooper, ça n’allait pas du tout s’arranger. Ce qui était sûr, c’est que retrouver sa sœur allait être son dernier combat.

Un tourbillon d’émotions qui l’empêchait de poser sa pensée, de prendre le temps d’analyser froidement la situation. Ses nouveaux « camarades » de jeu semblaient sympathiques, et dans le même désarroi que lui, mais pouvait-il réellement leur faire confiance ? Si tout cela n’était qu’un piège organisé par ces gens pour l’arnaquer, le dévaliser, ou plus subtilement lui donner l’espoir de retrouver Susan, petit à petit, bribe par bribe, pour mieux l’endormir, et profiter de son âge et de sa condition fragile pour le déposséder de tous ses biens ?