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Biographie :

Angliciste et comparatiste. Docteur en littérature comparée (Paris 10, 1999). Maître de conférences en littérature anglo-américaine à l'Université de Perpignan, directeur du Département des études anglophones (jusqu'en janvier 2010). Spécialiste de l'humour, du théâtre élisabéthain et de l'oeuvre d'Antonin Artaud.

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Citations et extraits (9) Ajouter une citation
Pound quitte les Etats-Unis pour l'Angleterre en 1908 ; il quitte l'Angleterre pour la France douze ans plus tard ; puis il s'établit en Italie à partir de 1924. Il a donc passé les quarante premières années de sa vie sous des régimes libéraux et démocratiques, ceux-là mêmes qui se donnent en modèle au reste du monde. On pourrait croire que le choix ultérieur de vivre en Italie, ainsi que le soutien actif accordé au régime de Mussolini pendant les années 1930 et 1940, soient la conséquence d'un rejet total des valeurs et des institutions de la civilisation libérale. Les choses ne sont pas aussi simples. Aussi étonnants que cela puisse paraître, les Cantos consacrés à l'histoire de l'empire chinois (52-61) et ceux écrits à la gloire du régime fasciste (72-73) encadrent un bloc de dix Cantos célébrant les "exploits" de l'un des pères fondateurs de la Constitution américaine, John Adams : "there is our norm of spirit / our chung (milieu, centre)" (84-560) Qui plus est, Pound met l'accent sur les travaux juridiques d'Adams, sur sa défense acharnée des droits et des libertés des colons américains, sur sa lutte contre les abus du pouvoir impérial britannique. De même, les trois derniers Cantos (107-109) du dernier recueil achevé reviennent sur l'oeuvre d'un autre champion du droit coutumier, le juriste anglais Sir Edward Coke, pourfendeur de la monarchie absolue au début du XVII°s. Pound n'était même pas un homme de droite, si par "valeurs de la droite", on entend le nationalisme (il était un cosmopolite invétéré), le militarisme (il condamnait la propagande belliciste), une méfiance à l'égard de toute forme de révolution sociale (il prônait une refonte radicale de l'économie), ainsi qu'une certaine hostilité envers les institutions politiques des régimes démocratiques : "Je crois qu'aucune forme de gouvernement n'est meilleure que le gouvernement américain dans son INTENTION et en tant que système (...)," écrit-il le 18 juin 1932 à Langston Hughes. Comment alors expliquer le fascisme impénitent d'Ezra Pound ?

pp. 63-64
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CITATIONS ET EXCITATIONS.
Par définition, le passé n'est plus actuel, n'est plus "agissant" : ne nous étonnons pas alors que tout le passé humain ne soit présent que virtuellement dans le poème de Pound. Cela dit, les "effets" du passé perdurent sous la forme d'objets, de monuments, d'institutions, d'oeuvres, d'enregistrements, d'inscriptions, de traces : autant d'objectivations de la mémoire collective, autant de "rétentions tertiaires", ou d'hypomnémata, selon la terminologie platonicienne de Bernard Stiegler. Les hypomnémata sont des supports de mémoire artificiels, dont, en premier lieu, l'écriture. On sait que Platon condamne la mémoire écrite (hypomnésis) au nom de la mémoire vivante (anamnésis), mais Pound n'oublie jamais le côté hypomnésique des faits qu'il raconte. Il refuse de séparer les événements du passé du support matériel qui a permis leur conservation, allant jusqu'à reproduire le numéro de page de ses sources textuelles, voire leur numéro de cotation dans les archives où il les a trouvées. D'où son utilisation systématique de la citation - ce qui a valu aux Cantos d'être assimilés aux "centos" de la Renaissance.
Sous la plume de Pound, une cittation est un morceau réactualisé du passé ; en ce sens, elle équivaut à l'image-souvenir de Bergson - un souvenir étant une image actuelle qu'on est allé chercher dans la virtualité du passé. Et comme l'image-souvenir, elle garde sa part de virtualité, ce pourquoi elle est toujours elliptique, tronquée, partielle. Elle n'a de sens qu'en tant qu'elle renvoie à un ensemble non actualisé, virtuel, et, dans bien des cas, difficile à identifier pour un lecteur qui n'aurait pas les connaissances historiques et langagières d'Ezra Pound. A vrai dire, les citations qui émaillent les Cantos, - et dont ils se composent en majeure partie - sont moins des citations que des excitations. Ce sont autant de motifs évocateurs dont le rôle est d'exciter l'intelligence et la sensibilité. Leurs valeurs phoniques et rythmiques égalent, dépassent même, leur valeur symbolique. D'habitude, une citation renvoie le lecteur à sa source, soit au contexte discursif originel de l'énoncé, s'il s'agit d'un écrit, soit à la situation d'énonciation, s'il s'agit de paroles. Le lecteur doit donc détourner son attention du texte pour la diriger vers l'intertexte, c'est-à-dire vers un autre texte plus ancien et, le plus souvent, d'une autre nature. Si les citations de Pound sont bien plutôt des excitations, c'est qu'elles font allusion à d'autres textes d'une manière elle-même allusive. Faut-il élucider pleinement l'allusion ? Ne serait-on mieux inspiré de lui laisser son caractère fugitif et indéterminé ?
Il y va de la relation du tout à ses parties. Ezra Pound ne nous donne pas tout car, pour lui comme pour Bergson, l'idée du tout désigne une virtualité. Sa conception de la "Grande Basse" (Great bass) en musique exemplifie cette idée : "Au-dessous de la note la plus basse synthétisée par l'oreille et 'entendue', il y a des vibrations plus lentes." (Guide to Kulchur) Le coefficient entre ces fréquences et celles produites par les instruments de musique (et donc entendues) constitue le fondement même de toute structure musicale. C'est dire que les parties actuelles du poème ne se laissent pas totaliser, mais forment une complexité qui échappe à la sommation comme à la représentation. En revanche, chaque partie retient le tout - quoique sous un certain aspect, et d'un certain point de vue - en raison à la fois de ses propriétés rythmiques et de la part du virtuel qui la prolonge.

pp. 163-165
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... Les Cantos de Pound ont été rapprochés des ouvrages de son ami et obligé James Joyce (c'est Pound qui le premier a repéré la puissance novatrice d'"Ulysses" et qui en a assuré la publication - et la publicité - en revue). Et certainement Les Cantos sont à l'histoire de l'expérimentation poétique ce que "Ulysses" et "Finnegans Wake" sont à celle de l'expérimentation en prose. Cependant, les deux auteurs n'ont pas connu le même sort : "Avec le XX°s, écrit Gérard Mordillat, deux grands navires s'éloignent : le navire Joyce, le navire Proust ... Ulysse rentre à la maison, le temps est retrouvé, l'aventure romanesque s'achève." Les livres de Joyce et de Proust ne suscitent plus guère de résistance, servant de combustible à de grandes machines éditoriales et universitaires. Petit à petit, ils sont devenus lisibles. Et Mordillat de diriger notre attention "vers deux montagnes que les brumes dissimulent encore : la montagne Ezra Pound, le mont Antonin Artaud. Deux oeuvres qui pèsent sur notre présent d'un poids insoupçonné".

p. 6
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D'après Bergson, tout corps change de forme d'instant en instant, "(ou) plutôt il n'y a pas de forme, puisque la forme est de l'immobile et la réalité du mouvement. Ce qui est réel, c'est le changement continuel de forme : la forme n'est qu'un instantané pris sur une transition." Ainsi, "pour rendre la notion de 'chose' (pour nous une notion individualisante), les Chinois disent 'est-ouest' (dong-xi) ; pour rendre celle de 'paysage' (pour nous une notion unitaire), ils disent 'haut et bas', 'montagnes-eaux'."
(...)
Tandis que le narrateur du I° Canto, Ulysse, met l'accent sur ce qu'il a fait, Acoetès, lui, rend compte de que qu'il a vu et ressenti. Pound oppose ainsi les passions de l'un aux actions de l'autre, mais derrière cette opposition se cache une deuxième, plus fondamentale, celle qui explique la présence de la philosophie confucéenne dans Les Cantos : la différence entre une esthétique (épique et héroïque) de l'action et une esthétique (plutôt lyrique) de la transformation.
(...)
En mettant l'accent non pas sur ce qu'il a fait mais sur ce qui lui est arrivé, à lui et aux membres de son équipage, Acoetès souligne le caractère proprement "événementiel" de l'événement, cette part de l'événement qui échappe à la volonté des hommes et balaie toutes leurs vaines tentatives de maîtrise et de prévision. Car l'événement a ses propres lois et ses propres constantes, auxquelles les hommes feraient bien de prendre garde.
(...)
Qu'il ressortisse à la fiction personnelle, au mythe collectif ou à la réalité historique, l'événement n'est jamais simplement "rapporté" ; au contraire, l'élaboration artistique consiste à dégager sa dimension non empirique, virtuelle, "intempestive", à sonder la part de l'Evénement dans tout événement. C'est ainsi que la structure de l'oeuvre peut contribuer à mettre à nu les ressorts profonds de l'événement, les articulations de l'une épousant les arêtes de l'autre.

(pp. 109-110-111, ouch).
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Ne pas comprendre.
L'expérience est familière à tout lecteur des Cantos : "au-delà d'une courte séquence, [l'imagination] n'arrive plus à comprendre l'ensemble des grandeurs et des mouvements qu'elle appréhende successivement." Est-ce dire pour autant que la pensée du lecteur parvienne "à ce qui dépasse toute imagination, c'est-à-dire l'ensemble des mouvements comme tout ?" Tel est du moins le souhait de Pound : élever l'esprit du lecteur jusqu'à une conception quasi simultanée du temps historique comme Tout fondamentalement ouvert. W.B. Yeats s'en est rendu compte et en rend compte, à sa manière, dans l'article déjà cité : "Ezra Pound has made flux his theme... Il espère donner l'impression que tout est vivant, qu'il n'y a pas de bords, de convexités, rien pour arrêter le flux."

Les citations sont de G. Deleuze, Cinéma I. L'image-mouvement.
p. 183
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Le I° Canto débute (sic) par une traduction du Chant XI de l'Odyssée : plus exactement, par une traduction d'une traduction, car Pound se livre à une opération pour le moins originale : reprendre selon les règles prosodiques du vieil anglais une version latine de l'Odyssée de la Renaissance italienne. Ce geste inaugural est tout le contraire de ce que préconise Heidegger (et, dans une moindre mesure, Walter Benjamin) à la même époque. Cet apparent retour aux sources de la poésie occidentale n'essaie nullement de gommer les médiations et les trahisons qui déterminent inéluctablement notre propre rapport au texte homérique : il ne s'agit pas de redevenir des Grecs, mais de prélever dans les textes et les pratiques des Anciens tout ce qui pourrait contribuer à une Renaissance de la civilisation européenne.

p.27
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Lire et comprendre.

Sans doute le poème épique le plus ambitieux du XX°s, Les Cantos sont néanmoins très peu lus, et pour cause : ils sont illisibles. Pound s'en explique dans le pénultième recueil du poème : "Si nous n'écrivons jamais rien qui ne soit déjà compris, le domaine de l'entendement ne grandira jamais." (96.692).
(...)

Nous devons aborder Les Cantos à la manière dont Hannon, roi de Carthage, explorait la côte africaine au V°s avant notre ère :

periplum, not as land looks on a map
but as sea bord seen by men sailing (59, 324).
(Periplum, non comme la terre est représentée sur les cartes / mais comme le rivage aperçu depuis la mer par les marins).

pp. 231-233.
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Pound épouse l'agrarianism de Thomas Jefferson par opposition au mercantilisme britannique ; pour lui, comme pour les physiocrates américains du XVIII°s, l'essence de la richesse d'une nation réside dans son agriculture et non dans l'argent ou le commerce. C'est une conviction éminemment chinoise : comme le dit Jullien*, paraphrasant Mencius, "ce souci de préserver la richesse naturelle est à la base de l'économie d'un pays et, à partir de là, de sa moralité."

François Jullien, Du "Temps". Eléments d'une philosophie du vivre.

p. 63
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Le mètre.
Le mètre, la mesure, c'est la clef de l'entreprise poétique : "les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles" (Rimbaud). Pour autant que "l'écriture véritable soit co-extensive à la pensée de l'écrivain, elle a la forme de sa pensée, la forme de la manière dont un homme sent sa pensée" (ABC de la lecture) ; d'où le mépris de Pound pour ceux "qui déforment la pensée à coup d'iambes..." (98.717) S'il a passé sa jeunesse à étudier la poésie des troubadours, c'est surtout en raison de leur concept de la "mezura". Or, comme l'écrit Jacques Roubaud, "il n'y a guère de mot du 'grand chant courtois' qui se soit plus effacé, affaibli, dénaturé que celui-ci." En réalité, "la mezura est le seul rempart du troubadour (et de la dame) contre l'anarchie de l'éros, contre la pente destructrice de l'amors" : jalousie, folie, possession absolue, mort. Le mètre "transforme en chant la force désordonnée de la langue voulant dire l'amour" ; il sert à maintenir non pas le "juste milieu", la balance égale, la tiédeur morale, la tendance au compromis, "mais la tension surmontée entre joie et souffrance, peur et audace, espoir et désespoir" ((Jacques Roubaud, Les troubadours, Anthologie bilingue). Toucher au mètre, c'est donner une tout autre configuration à l'expérience poétique et amoureuse.

pp. 202-203
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