
La scène est vide, plongée dans l'obscurité. Avec un déclic sonore, une triste ampoule de répétition s'allume et, peu après, Paulino apparaît : habillé à la va comme j'te pousse, titubant, un cruchon de vin à la main. Il regarde le plateau, boit un coup, regarde à nouveau, traverse la scène en déboutonnant sa braguette et disparaît par le côté opposé. Pause. Il revient en se reboutonnant. Il regarde à nouveau. Il aperçoit par terre, un vieux gramophone. Il s'en approche et il essaie de le faire marcher. Ça ne marche pas. Il retire le disque qui est dessus, le regarde et a envie de le casser mais il se retient et le remet sur le gramophone. Toujours accroupie et le dos au public, il boit un coup. Son regard découvre sur le sol, dans une autre partie du fond, un bout de tissu. Il s'en approche le soulève en attrapant un coin avec les doigts. C'est un drapeau républicain espagnol à moitié brûlé (rouge, jaune, violet).
ACTE I ( la toute première didascalie)
( À l'extérieur on entend un fracas sourd qui résonne […] )
PRISCILLIA : Ceux-là, tu vois, personne ne les arrête !
NATALIA (décidée) : Ah, tu crois, ça ? Ceux-là, l'art les arrêtera.
PRISCILLIA : Quel art ?
NATALIA : Comment, quel art ? Le nôtre, l'art dramatique...
ACTE II, SCÈNE IV

GARDE N° 1 : Pssst... ! Pssst !
(l'autre ne bronche même pas)
Psssst... ! (dans un chuchotement) Eh... ! Eeeeh !
GARDE N°2 ( de même) : Qu'est-ce qui se passe ?
GARDE N°1 (Idem) : C'est bien c'que j'dis : qu'est-ce qui se passe ?
GARDE N°2 (Idem) : Tais-toi.
(Un nouveau silence se produit. La tête du Garde n°1 se troune discrètement du côté où il est entré et revient, très vite, à sa position initiale.)
GARDE N°1 (Dans un chuchotement) Pourquoi ils ne sortent pas ? (silence) Eh, toi ! (Il tourne la tête vers le Garde n°2) Psssst... ! ( et la ramène de face)
GARDE N°2 (Idem) : Tu veux te taire ? (silence)
GARDE N°1 (Idem) : Qu'est-ce qui se passe ? (silence)
GARDE N°2 (Idem) : Rien
GARDE N°1 (Idem) : Et alors ? ( silence)
GARDE N°2 (Idem) : Et alors... quoi ?
GARDE N°1 (Idem) : Ben oui : quoi ? (silence)
GARDE N°2 (Idem) : Ben rien.
GARDE N° 1 (Idem) : Comment ça, rien ? (silence)
GARDE N° 2 (Idem) : C'est ça : toi et moi, rien.
(Ils élèvent légèrement le ton)
GARDE N°1 : Mais, et s'ils ne sortent pas ( silence)
GARDE N°2 : Ils sortiront bien.
GARDE N°1 : Et sinon ?
GARDE N°2 : Toi et moi, on se calme.
GARDE N°1 : On se calme ?
GARDE N°2 : Ils nous payent pour tenir la lance, oui ou non ?
GARDE N°1 : Oui, mais...
GARDE N°2 : Alors, tiens le coup et tais-toi. (silence)
GARDE N°1 : Et le public ?
GARDE N°2 : Ben quoi, le public ?
GARDE N°1 : Mais il est là, à attendre.
GARDE N°2 : Moi, je vois pas. La visière me cache les yeux.
GARDE N°1 : Mais moi, si, j'le vois.
GARDE N°2 : Et qu'est-ce qu'il fait ?
GARDE N°1 : Pour le moment il tient le coup, lui aussi.
GARDE N°2 : Eh ben, parfait. On est tous ici, et on tient tous le coup.
ACTE I [ les premières répliques ]
NATALIA (elle commence la lecture à voix basse) : Premier acte. La scène représente...un fortification à moitié détruite... près de l'usine Kirov... dans la banlieue de Leningrad... Au fond, à droite, un nid de mitrailleuses...Du côté gauche et sur une partie du proscenium, une tranchée... Au fond, à gauche, se dresse le tube d'un canon à longue portée...
PRISCILLIA : Tu vois ? Le canon...
NATALIA : Oui...(elle continue à lire). Ici et là, des sacs de terre […]
ACTE II, SCÈNE V
MARSAL : [...] Ben, je ne sais pas : des cadavres qui flottent dans les canalisations de temps en temps ... (...) Je dirais que ce sont des pauvres : des mendiants, des nègres, des chinois et des choses comme ça ... (...) C'est ce que je dis : dans quel monde vivons-nous... (...) Qu'est-ce qui va changer ? (...) Vous croyez? (...) Quel cycles ? (...) Bon, écoutez ... parce que moi, je ne comprends pas grand chose à tout ça, vous savez, je suis assez quelconque ... (...) Ah, oui ? Nous ? (...) [...]
SÉQUENCE 8; pièce intégralement en conversation téléphonique
PAULINO : Suffit Carmela. N'en parlons plus. Mais réalise : je suis un chanteur. J'ai pas eu de chance, c'est vrai [ ... ] . Et les pets, c'est le contraire du chant, tu comprends ? Les pets, c'est le chant à l'envers, l'art traîné dans la boue, la honte de l'artiste... Et si on oublie cela, ou si on veut pas le voir, ou si on le sait et qu'on s'en fout et qu'on dit : " les gens, ils aiment ça, regarde comme ils rigolent, et bien vivons-en, vivons de nos pets ... ou de n'importe quoi ". Et alors, alors, Carmela, c'est ... c'est ... et bien oui, c'est ça l'ignominie.
ACTE 1
JOSÉ SANCHIS SINISTERRA : LE THÉÂTRE MIS À L'ÉPREUVE
" J'aspire à un théâtre métissé, bâtard, impur, qui va vers la "trahison" des règles conventionnelles, habité par les tensions formelles et les contradictions idéologiques"
[ page 43 , le dossier autour de la pièce]
J'ai peur de dormir. Mon corps est cassé par les coups et, quand je me couche, les douleurs commencent.
Texte original: Me da miedo dormir. El cuerpo lo tengo roto de las palizas y, cuando me acuesto, empiezan los dolores.
p. 136
Elle [sa furie] vient de ce qu'il peignait avant, quand il était connu de tous... De ce puits de silence dans lequel il vit maintenant... De ce tourbillon de rêves et de cris qui secoué ses nuits, quand il n'est pas éveillé... et de cette patrie infâme qui condamne ses enfants à vivre sous le signe de Cain...
Et enfin, le comble de tous les maux... (Il écrit en grosses lettres: "COMMUNISME") le communisme oui... qui fut balayé de notre patrie... avec tous les autres maux anti-espagnols... par le Soulèvement National
p.99