Avec le temps, Élise avait vu les femmes qu’elle connaissait s’effacer, céder les sonorités de leur prénom contre celles d’une appellation générique : mères, tantes, grand-mères, qui avaient les cheveux courts parce que c’est plus pratique, et portaient tel chemisier acheté en solde au supermarché entre une petite fille déposée au piano, une rissolée de pommes de terre et de l’assouplissant, coulé dans cet endroit des machines à laver qu’on lui destine.
Zineb aurait voulu être très malade pour passer la journée dans son lit, à regarder une sitcom et manger des tartines, comme quand elle était encore étudiante et qu’elle vivait avec Dolorès, sa meilleure amie d’alors, dans le cinquième arrondissement, et qu’elles imprimaient de fausses dispenses médicales sur le papier en-tête de la mère de Dolorès pour passer des heures à regarder Scrubs en fumant des joints, tout en discutant pour savoir quel type de personne était vraiment ce personnage féminin, et si celle-ci serait un jour heureux avec son petit ami.
Elle était comme de l’eau : elle avalait tout et tout disparaissait en elle. Tous les appels manqués, les cadeaux, les virements bancaires, les inquiétudes ou les paroles prononcées doucement, tout cela, Dolorès l’aspirait et ne le rendrait pas. Mais maintenant, maintenant qu’on avait retrouvé le corps d’Hannibal, peut-être pourrait-elle cesser et rentrer à la maison ? Elle pourrait simplement tirer cette chaise, s’asseoir à cette table et manger quelque chose.
Depuis qu’il était enfant, il cultivait l’ambition de réussir un jour à disparaître ; non pas mourir, mais plutôt se réduire à une série de gestes, pour n’être plus qu’un regard et les mouvements de ses deux mains.
Elle se souvenait des longs silences après qu’ils avaient fait l’amour, l’envie qu’elle avait sans cesse de se rhabiller, de partir, et le poids déchirant de ce qu’elle ne pouvait pas dire. Maintenant, alors que les sonneries semblaient s’étendre éternellement dans le boîtier de son téléphone, elle avait l’impression qu’elle pourrait lui parler pendant des heures. Où était-il, que faisait-il ? Il ne répondit pas.
Les gens disent que lorsqu’on croit mourir, on voit toute son existence défiler. Si je devais mourir un jour, je sais ce que je verrais : vos trois visages, superposés ; les longs cheveux de Dolorès, les yeux noirs de Zineb, la bouche et le nez busqué de Bianca.
Était-ce à cause d’elle, de ses grands yeux, que d’étranges sentiments l’avaient pris alors qu’il travaillait autour de la maison ? Il ne pouvait en être certain, mais en tout cas, ces travaux lui inspiraient une méfiance qu’il ne s’expliquait pas.