L'amour sous algorithme de
Judith Duportail
* Depuis mon premier jour sur Tinder, il me semble ne plus être une loseuse de l’amour... Là, j’ai l’impression d’être de celles qui détiennent les cartes, les codes, d’être une femme alpha comme chez les louves, une cheffe de meute, ne plus être celle qui attend, fébrile, des réponses à ses messages, ne plus être celle qui court après. Enfin, j’ai purgé mon esprit de ses calmars géants… «Tu fais partie du 1 % de la beauté, de celles qui ont tout pour elles», me glisse par message un homme et le pire, c’est que j’adore. Je suis enfin du bon côté de la hiérarchie, du bon côté de l’« Extension du domaine de la lutte».
* Qu’est-ce que ça change de se rencontrer sur Tinder ? La réponse s’imposera à moi, doucement. Quelqu’un qui ne tombe pas amoureux de vous à cause de Tinder est juste quelqu’un qui n’est pas amoureux, c’est tout.
* Et puis surtout, je retrouve le même ami qui passe aussi sa vie dans ce café. Je le reconnais à son bandana rouge autour du cou. Lui et moi, on s’est adoptés et je lis bien la joie dans son langage corporel à chaque fois que je passe la porte et me rapproche de lui. Il s’appelle Hektor et si, au début, je n’osais pas, avec le temps j’aime passer ma main sur son ventre chaud et le gratter derrière les oreilles. J’adore les chiens.
* J’ouvre l’application et je like, tous les profils, les uns après les autres. Puisque je suis la seule conne tomber amoureuse sur Tinder, puisque je suis la dernière sur l’échelle du love, puisque je suis du plancton, puisqu’il n’y a que ça qui marche, je vais leur en donner du cul, puisque je suis la dernière débile de ma génération à rêver d’amour, je vais leur montrer ce que je peux faire, je vais gang-banger Paris et Berlin, à moi toute seule, je vais les épuiser à leur propre jeu ! Fallait pas me provoquer ! Je copie-colle les mêmes phrases à mes 45 nouveaux matchs, tu vois, 45 matchs en cinq minutes, c’est que t’es peut-être pas si moche, tu vois, je me susurre et je me méprise encore plus d’y trouver une forme de réconfort.
* Toute mon époque s’emploie à dévaloriser le concept de routine alors que moi j’en ai besoin, je la recherche. Le dîner des colocs du «dimanche soir, la grasse mat du samedi, le yoga du mercredi, je chéris ces petits plaisirs qui ponctuent ma semaine comme autant de points d’ancrage.
* J’ai hâte. J’ai hâte qu’on soit tous vieux, que la question ne se pose plus. Fini d’essayer d’être belle quand on a 70 ans, non ? Fini la concurrence ? Il me tarde d’être une petite vieille qui mange des gâteaux l’après-midi, d’être en dehors du grand marché du sexe. Et encore, il paraît que c’est la guerre entre femmes âgées pour se retrouver un mec, car les hommes meurent bien avant les femmes.
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