Kawai Strong Washburn

Si un dieu est une chose qui exerce sur nous un pouvoir absolu, alors il en existe une multitude en ce monde. Il y a les dieux que nous choisissons et ceux qui s'imposent à nous; il y a les dieux que nous vénérons et les dieux venimeux; il y a des rêves qui deviennent des dieux, des passés qui deviennent des dieux et des cauchemars également. Plus je vieillis, plus j'apprends qu'il existe trop de dieux pour pouvoir les connaître tous, et pourtant il me faut les garder à l’œil, sous peine qu'ils se servent de moi ou que je les perde sans même m'en rendre compte.
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Nous avions toujours eu l'autre, Augie et moi, et le temps passé ensemble nous paraissait être un tressage, un tressage de plus en plus serré de nos essences respectives, résistant à tou ce qui pouvait s'effondrer autour de nous. Plus que tout, c'est ce sentiment qui m'a manqué ces derniers mois, et j'ai compris que c'était le sentiment d'être chez soi.

" Quand on te prend la seule chose que tu es... " - je ne pense même plus, les mots sortent de moi comme s'ils étaient là depuis toujours - " ... la seule chose que tu es, ce que t'as toujours vu comme la meilleure partie de toi, quand on te prend ça, alors le lendemain... " Je hausse les épaules. " Le lendemain, t'as l'impression que ton avenir, c'est un cadavre que tu portes sur ton dos. Sur ton cou, là, juste entre tes épaules. Et quand t'es comme ça, tu peux pas te sentir bien. {...} "

Si on me demandait ce que c'est l'argent pour moi, voilà ce que je dirais : c'est savoir que le monde va rester sous nos pieds, quoi qu'on fasse.

Après les requins, pendant des nuits entières, ton père et moi nous nous sommes demandé ce qui allait arriver, ce que tu allais être. Je crois que ce jour-là, au cimetière, pour la première fois nous avons réellement pris la mesure de ce que tu étais. Si effectivement tu étais plus apparenté aux dieux qu’à nous – si tu étais quelque chose de nouveau, voué à refonder les îles, tous les anciens rois réunis dans le corps d’un petit garçon -, alors bien sûr ce n’était pas moi qui allais pouvoir t’aider à réaliser ton potentiel. Mon temps de mère ressemblait aux derniers hoquets de la chouette et bientôt tu allais devoir te défaire doucement de mon amour, le replier, l’enfouir dans le sol de ton enfance et avancer.

Pour finir, elle a répété, « Est-ce que j’ai passé une bonne journée… », en tapant la pince sur le bord de la poêle. « Non, j’ai passé une journée de merde.
- Je vois le genre, j’ai dit. Mais quel type de merde ? Y en a plein de différentes, y a les grosses, y a les épaisses, y a les petites toutes fines, y a les molles… Mais… », là j’ai fait semblant de me creuser la tête, je me suis même frotté le menton, « … mais la plus grande différence, c’est surtout l’odeur. »
Maman était morte de rire. Un bon rire, comme des pétards qui explosaient dans un endroit d’elle qu’elle ne connaissait même pas.