Kebir-Mustapha Ammi - Un génial imposteur .
Kebir-Mustapha Ammi vous présente son ouvrage "Un génial imposteur". Parution le 30 janvier 2014 aux éditions Mercure de France. Rentrée littéraire 2014. Notes de Musique : "Scout Niblett" by Noise Problems Selections (http://noiseproblems.net/)
J'aime la France, disais-je encore dans ce cahier que j'ai perdu lors d'une bataille, comme j'aime toutes les nations qui se sont battues pour que l'homme puisse s'affranchir des chaînes qui l'asservissent. La France est, depuis fort longtemps, une nation chère à mon coeur. J'en admire ses hommes épris de liberté et ses auteurs qui ont, de tout temps et dans l'adversité, su exprimer la noblesse de l'esprit et refuser de se soumettre devant le pouvoir inique des rois.
(...) une guerre ne grandit jamais les hommes.
J'aimais à l'entendre dire qu'aucune vérité n'était supérieure à une autre. C'était un homme juste et bon qui n'imposait jamais à personne ni son avis ni sa façon de voir les choses ou de vivre. Les hommes sont égaux, n'avait-il de cesse de répéter, et leurs vérités, pour différentes qu'elles sont, se valent. Chaque homme se doit, disait-il, de vivre comme il l'entend et non comme on voudrait qu'il vive.
Le vieux Mohiédine, mon père, priait en silence. Je m'étonnai, un jour, de le voir s'isoler pour faire la prière. Car il ne priait jamais devant tout le monde. Il me répondit :
- L'Islam est une religion du silence.
Il vit que je m'étonnais, puisque j'étais convaincu qu'il convenait de prier avec une large assemblée, et me dit :
- Ne te soucie jamais d'associer quiconque à ta prière.
- Mais ne doit-on pas donner l'exemple par la prière ?
- D'aucuns, parmi les hommes, aiment à s'exhiber lorsqu'ils prient. Ceux-là ne sont pas des gens pieux.
Cette région est en effet périlleuse et je me serais bien gardé de l’emprunter. Mais c’est le vicomte qui choisit l’itinéraire et lui qui le modifie sans en référer à quiconque, et encore moins à son guide. (p.156, Partie II, “Imposture”).
(...) nous continuâmes de nous battre hargneusement. Et ce refus de nous incliner devant leur toute-puissance, puisque nous n'étions pas disposés à les accueillir comme des maîtres, les mit dans tous leurs états.
Ils devinrent aveugles, s'ils ne l'étaient déjà, et sourds. Ils ne voyaient et n'entendaient que la voix intérieure qui leur enjoignait de mettre à mort, et sauvagement au besoin, ceux qui refusaient d'obéir. Ils ne pouvaient entendre aucune plainte, ni voir aucune des souffrances qu'ils infligeaient.

Peut-on séparer quelqu'un de son pays, du lieu de son enfance et des moments essentiels qu'il y a vécus ? Aucune terre, dans son coeur, ne peut remplacer celle-ci, même s'il peut se passionner pour d'autres lieux. La terre natale reste la terre natale. Rien ne peut la détrôner ou faire, d'une simple décision, comme si elle n'avait jamais existé.
Se peut-il que je ne la revoie plus ? Se peut-il qu'elle continue d'être comme elle est, lorsque je ne pourrai plus voir le jour se lever sur ses plaines ?
Je vieillirai loin de cette terre que je n'ai jamais songé quitter, me disais-je, craignant que ce pays change en mon absence. Car il allait forcément changer. Je craignais plus que tout qu'il ne fût plus à même de reconnaître l'étranger que je deviendrais fatalement pour lui, comme l'un des siens.
Quel tribunal peut condamner à une telle peine ? Quelle faute ai-je commise pour me voir infliger, par des hommes, un tel châtiment ?
Il faudra que j’apprenne à vivre avec ce crime perpétré contre eux. Car c’est un crime, je puis l’affirmer maintenant, si même je me suis toujours efforcé, en produisant toutes sortes de preuves, de nier qu’il en fût un. Il faudra, disais-je, que j’apprenne à vivre avec ce crime. Mais le peut-on lorsqu’il est perpétré de sa propre main ? Peut-on faire comme si cela n’avait pas eu lieu ? Peut-on garder le même visage ? Et peut-on se regarder soi-même et regarder ses fils comme si de rien n’était ? (p.237, Partie II, “Imposture”).
La mort est à deux pas. Elle sera violente. Mais ne pleure pas mon fils. Maîtrise-toi. Il ne sert à rien de montrer sa douleur. (p.249, Partie III, “Disgrâce”).
Se peut-il que je ne revoie jamais le pays des miens ? Voilà ce que je n'avais eu de cesse de me répéter, à l'heure d'en quitter le rivage. Cette terre est si présente en moi que je ne peux me résoudre, certains jours, à croire qu'on m'empêchera, tout le temps et par tous les moyens, d'y remettre les pieds.