Me voilà avec sur les bras un livre bien difficile à commenter, car je n'ai certainement pas la culture nécessaire. La vie et les idées de Charles de Foucauld me sont totalement inconnues, de même que l'histoire du Maroc pris dans la tourmente des appétits coloniaux dans la seconde moitié du XIXème siècle. Me voilà donc bien attrapée, avec ce livre acheté sur un coup de tête samedi dernier à cause de la photo, sur le bandeau littéraire, du personnage qui donne son nom au récit. Moi que d'ordinaire les bandeaux littéraires insupportent, me voilà bien attrapée, je le redis…
Une fois le décor posé et après avoir tourné autour du pot, il me faut bien rentrer dans le vif du sujet…
Mardochée Abi Serour fut, à cinquante ans, le guide de Charles de Foucauld lorsque celui-ci, jeune homme dissipé et patriote, quitta l'armée pour se lancer dans un voyage d'exploration dans un Maroc insoumis et fermé aux chrétiens. Un an plus tard, il en ramènera des informations que d'aucun jugent avoir été cruciales lors de l'établissement du protectorat français et un livre, Reconnaissance au Maroc qui établira la renommée de son auteur.
Explorateur sûr de sa supériorité et fier de lui-même (à l'image de la plupart des explorateurs, est-ce un trait de caractère nécessaire pour avoir la témérité de se lancer dans une telle aventure et la chance nécessaire pour en revenir ?),
Charles de Foucauld passe sous silence la part que son guide a pris à la réussite de son voyage. C'est ce silence qui est à l'origine de ce roman, où le guide prend la parole pour raconter sa version des faits. Prémisses intéressantes, mais qui ne débouchent pas sur grand chose de concret dans ce livre. Certes, de Foucauld a la morgue caricaturale des Français et la supériorité attendue des chrétiens en terre étrangère. Mais n'est pas là un trait de l'époque ? Alors oui, certains propos prêtés à de Foucauld dans ce livre sont choquants à l'aune de notre ère post-coloniale. Mis dans la perspective de ce deviendra
Charles de Foucauld, ils seraient intéressants si ce livre touchait la question du changement du regard, de l'abandon des préjugés, de comment ce voyage a changé la pratique de sa propre foi. Mais ceci n'est pas le propos de ce livre.
Et c'est là que le bât blesse. Si le propos de ce livre est de dénoncer l'arrogance des explorateurs, dont acte. Cela a été dit et redit, cela est connu, et ce livre n'apporte rien de nouveau, ni sur la forme ni sur le fond. Si le propos est autre, hélas, je suis passée à côté. Il y avait plein de questions intéressantes que j'aurais aimé voir soulevées, comme les tourments de celui qui se rend compte qu'à son insu il a livré son pays pieds et poings liés à l'envahisseur (seulement effleurés sur la fin). Ce livre, qui heureusement se lit assez rapidement, m'a donc laissée sur ma faim.
Post-scriptum : Intriguée par ce livre, j'ai trouvé une interview de l'auteur dans l'émission Cultures d'Islam sur France Culture. L'auteur, qui parle mieux qu'il n'écrit, explique que le principal sujet de son roman est le port de masques, le jeu avec les identités (
Charles de Foucauld se déguise effectivement en juif pendant ce voyage). Je dois avouer que je suis complètement passée à côté de ce thème, mais que les invraisemblances de l'intrigue (les personnages croisés et recroisés aux plus improbables des moments) et ce qui m'a semblé être des attaques gratuites (comme l'amitié avec Pétain, compagnon de promotion à Saint-Cyr, donné comme un grand ami de de Foucauld. Est-ce condamnable, qui pouvait savoir ce que Pétain deviendrait alors qu'on est en 1883 ! Cette lourde insistance qui n'apporte rien à l'histoire m'a juste parue déplacée.) m'ont empêché de profiter de cette lecture que, malgré un thème a priori intéressant, je ne recommande pas.