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Citations de Koffi Kwahulé (14)


Ceux qui campent chaque jour plus loin du lieu de leur naissance, ceux qui tirent chaque jour leur barque sur d’autres rives, savent mieux chaque jour le cours des choses illisibles...
Saint-John Perse
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MADAME BÉCQUART. Ernest, apporte le plat.
(M. Bécquart disparaît dans les coulisses pendant que les autres s'éparpillent dans la pièce, à une certaine distance de la grande table. M. Béquart revient avec un grand plat contenant des fruits, des cuisses de poulets, de la viande crue et cuite, du pain, des légumes verts, des gâteaux... Il le dépose au milieu de la table puis s'en éloigne pour se metre dans un coin, à la même distance que les autres.)
Alors médite et combats.
[À ces mots, les six personnages se précipitent vers le plat au milieu de la table. Bien que les gestes soient au ralenti, on doit sentir chez chacun la volonté d'arriver le premier au plat. La scène, tout en restant au ralenti, va déboucher sur des situations très violentes. Tout le monde cherche à barrer le chemin à tout le monde comme si les liens particuliers unissant les uns aux autres étaient soudain abolis. Les plus vieux (M. Béquart, notamment) ne sont pas forcément les plus faibles ni les plus tendres. La situation semble même les avoir dopés et mis en transe, et ils distribuent les crocs-en-jambe et les gnons à tout va. Dans la confusion, Sékou tombe. Les autres, Sandrine comprise, n'hésitent pas à s'en servir comme marchepied pour accéder au plat. Quand Sékou se relève, tout est déjà terminé ; chacun a réussi à arracher - plus qu'il ne lui en fallait - sa part et le plat est vide. Sékou est debout au milieu de la table, le plat vide à la main pendant que les autres mangent ce qu'ils ont pu arracher.]
MADAME BÉCQUART (à Sékou). Vous auriez dû vous battre. Toute votre intelligence et toute votre énergie doivent être tendues vers le but à atteindre. Savez-vous pourquoi au moment crucial vous vous êtes étalé comme une carpette devant tout le monde ? Parce que vous êtes bien élevé, trop bien élevé, vous avez été dressé à être poli. Et dans le monde auquel vous aspirez, ça pardonne pas...

Partie II
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Tu le tueras le lendemain du nouvel an chinois. Pour Melsa. Et aussi pour conjurer un crime plus grand. C'est bien que tu aies réussi à retirer les noms de Melsa et de Maximilien de cette aventure. Tu couperas les ponts avec eux pendant la semaine qui précédera ce jour. Pour définitivement les laver de cette histoire ils savaient, mais maintenant ils ne savent plus.
Et quand Melsa t'appellera pour prendre de tes nouvelles, tu lui diras que tu es obligé de tenir compagnie à ta mère un peu souffrante. Oui, tu le tueras le lendemain du nouvel an chinois. Tout est bien en place. Il faudra simplement, puisque les circonstances se sont déplacées, prendre le temps de te construire un autre mobile.
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Ki, l'autre signe, le premier, ç'a a été cela, la mort de l'oncle Koui Gaspard. Parce qu'il désirait être à ma place. Je t'en ai encore parlé l'autre jour, mais ces histoires-là c'est comme une obsession, une ban-de magnétique qui se déclenche toute seule dans la tête... Mon destin. Par rapport à l'Ancêtre-à-tête-de-cynocéphale. Un honneur qu'il estimait lui revenir. Son destin. Jusqu'au jour de sa mort, l'oncle Koui Gaspard a vécu cette histoire comme une injustice, un affront aveugle. Comment l'Ancêtre-à-tête-de-cynocéphale a-t-il pu me « choisir », moi qui lui avais toujours tourné le dos ? Afin de m'en éloigner le plus possible, du moins à ce que racontait l'oncle Koui Gaspard, ne m'étais-je pas laissé complaisamment « avaler » par l'école des Blancs en accumulant diplômes sur diplômes, jusqu'à Paris, « l'antre même du Blanc » ?
L'asthme fut le second signe. Juste après la première visite de l'Ancêtre-à-la-tête-de-cynocéphale, il y a trois mois. Soudain. Le médecin avait diagnostiqué une allergie au pollen. Mais une lettre du pays, mon père, m'avait prévenu : l'oncle Koui Gaspard a consulté des sorciers. « Il leur a demandé de te priver d'air, de t'asphyxier, de te tuer... »
Mais je ne parlerai pas de cela ; tu n'es pas venu pour entendre ce genre d'histoires. C'est mon affaire. Rassure-toi, je ne t'en parlerai plus. De toute façon, je n'aime pas évoquer ces choses-là. Ça épaissit ma voix, durcit inutilement mes mots. On est là pour déconner, et rien d'autre. Allons donc chercher les mots qui parlent à tue-tête, les mots qui déconnent.
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J'aimais mordiller les tétons turgescents et souples de mère et mère aimait cela. Plusieurs fois le nourrisson a observé la mère aimer cela. Il n'y a jamais eu entre eux de areu areu, de mots, de regards complices encore moins pour que cela advînt ; la bouche de l'enfant et les seins de la mère le leur ont imposé, le leur ont peut-être rappelé. Comme un souvenir d'avant l'éclosion du commencement. Elle désirait un garçon, il était né garçon. Pour elle. Elle aimait, elle a toujours aimé, qu'il lui fît ça et elle aimait le faire. Un secret d'outre-ventre. Jusqu'à l'âge de cinq ans. Sous le regard inquisiteur de Sora'shilé. Le père n'y a jamais vu aucun mal. C'est à l'impasse de cette morsure dans le sein gauche de sa mère que s'adossent tous les autres souvenirs. De beaux seins. Vraiment de beaux seins. We only said goodbye with words I died a hundred times You go back to her...
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Contrairement à d'autres endroits de la ville, le nouvel an chinois avance à tâtons, presque sur la pointe des pieds. En rasant les murs. Comme si les Chinois de Saint-Ambroise ne voulaient pas effaroucher. Même ce jour-là, ne pas déranger. Faire la fête en catimini. Sauf que le nouvel an chinois se fête à coups de couleurs criardes, de gongs, de cymbales, de tambours et de pétards. Mais il faut bien se débarrasser des influences mauvaises de l'année qui meurt! Mais il faut bien repartir d'un pied nouveau! Mais il faut bien célébrer les promesses nouvelles!
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Je ne me savais pas capable d’aimer à ce point, d’être heureux que quelqu’un d’autre aime la femme que j’aime […] J’aurais bien sur préféré qu’elle m’aime tout court, mais ça me suffit qu’elle m’aime que bien. Ce qui importe c’est ce que j’éprouve pour elle. Cette émotion-là, je sais qu’elle rassasie mon âme. En revanche, l’amour que l’autre nous porte reste toujours un sentiment flou, un truc hypothétique, un tourment souvent. Voilà pourquoi il est plus important d’aimer que d’être aimé.
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Bon maintenant, monsieur Demontfaucon, j’ai à faire. Ézéchiel se retire de l’entrebâillement de la porte. Mais sa voix le retient par la nuque.
Vous, vous êtes né après. Vous ne pouvez pas comprendre. Ce quartier n’a pas toujours été ainsi. C’était un village ici. Des boucheries. À l’angle de la rue Pasteur il y avait une boucherie qui restait ouverte jusqu’à onze heures, minuit. Vous vous rendez compte, une boucherie ouverte jusqu’à onze heures du soir ! Un village c’était, ce quartier. Des boulangeries, des papeteries, des cafés. Où en vois-tu, désormais, Ézéchiel ? Un village, c’était ici à l’époque. Il n’y avait pas qu’une boulangerie, mais trois, et ces gens ont tout tué avec leur pognon gagné Dieu sait comment. Y a que les Arabes qui ont tenu le coup. Tels des roseaux, leurs petites épiceries ont résisté au souffle du dragon. Comme quoi ! Mais bon, ça reste des Arabes. À la mairie, ils disent qu’ils font ce qu’il faut pour arrêter le mouvement, mais on ne voit rien changer. Jour après jour la gangrène progresse. Maintenant ils remontent et l’avenue Parmentier et le boulevard Voltaire. Putain de confection ! Et le bouquet, c’est que, vous l’avez probablement remarqué, une famille est venue s’installer en face de chez moi. En face de chez moi !
Les voisins de mère, pense Ézéchiel.
Sous mon nez ! Et le maire qui laisse faire ! Mais les gens commencent à réaliser, et ça gronde dans le quartier. Les gens sont à bout. Ça gronde. En silence, mais ça gronde. Aux prochaines municipales, il ne passera pas, le maire. Les gens ne sont pas contents. Il ne passera pas… Votre maman, elle revient quand ?
Aucune idée.
Partout ça râle. La boulangère dit qu’elle ne pourra pas tenir. Les pressions qu’elle subit pour céder le bail ! Le triple, ils lui proposent. Le triple ! Parce qu’ils en ont de l’argent, eux. Et ils sont disposés à payer n’importe quoi, en liquide, et au propriétaire et à la boulangère, pour faire sauter la dernière boulangerie qu’il nous reste. Personne ne sait d’où ils le sortent, tout cet argent, mais ils l’ont à ne plus savoir quoi en faire. Oh ça oui, ils l’ont, leur putain de pognon ! C’est à coup de pognon qu’ils vont nous bouffer ! À coup de pognon ! Et de patience. Parce que c’est rudement patient, un Chinois. C’est pas comme les Arabes. Excités, impatients, toujours prompts à sortir le poignard. Les Arabes c’est encore un autre bazar ; eux, ils sont nés dingues.
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Aussi ses séances où le plaisir était constamment différé constituaient-elles à ses yeux une prière. Une prière à lui-même adressée. Une profonde méditation. Plus la séance durait, plus la jouissance et surtout le sperme lui paraissaient de meilleure qualité. Au fond de lui-même, depuis la découverte de cette maîtrise de soi, cette recherche d'équilibre, Ézéchiel se considérait comme un moine des temps modernes. Certains jours, Ézéchiel priait plus que de raison. (p.28)
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Vous aimez ?

Je ne comprends pas tout. (...) Ça parle d'identité... (...) C'est marrant, enfin je veux dire joyeux. Un peu compliqué parfois, mais ce n'est pas grave. Parce que le vrai sujet du roman, c'est la langue. Parler comme si on faisait l'amour. Ça doit être compliqué d'écrire aussi simplement. (p.138)
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Quand je pense,
toute ma vie durant,
boulimie de joies,
boulimie de théâtre,
boulimie de cinéma,
boulimie d’amours,
de sexes en tout genre
pour oublier.
Oublier qu’il me faudra coûte que coûte,
me présenter face à l’ultime vertige.
Sans pouvoir parler à personne,
sans pouvoir prêter l’oreille à personne.
Seule.
Cette solitude-là. Éternelle.
Une peur panique j’en ai toujours eu.
Mais finalement voilà.
C’est tout.
Ce n’est que ça, j’allais dire. (Arletty..., p. 48)
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La plupart des tueurs croient les flics bêtes. Et c’est pour cela qu’ils se font avoir. Il n’y a pas plus futé qu’un flic. Même le flic le plus stupide reste encore plus intelligents que la moyenne des gens. C’est leur principale arme, qu’on les prenne pour des imbéciles. Les plus grands flics sont ceux qui, toutes les secondes que Dieu fait, n’oublient pas que nous ne sommes que des animaux. Dans tous les sens du terme. Des animaux. Ils ne s’encombrent pas de balivernes, les grands flics. Des animaux. Pas des animaux perclus de manques, d’inachèvements, des animaux symboliques, non. Des animaux. Des rampants, des volants, des marchants, des nageants. Cette certitude est la vigie du grand flic. Malgré les moyens techniques et scientifiques à sa disposition, le grand flic travaille tous sens déployés, naseaux au vent, à l’affût. Le chasseur de l’aube des temps croyait plus en ses sens qu’à ses flèches. L’instinct, le flair, voilà en quoi a avant tout foi un grand flic. Mamba noir, requin dormeur, mygale, c’est à la chaleur du feu qui consume l’âme du tueur que le grand flic lui bondit dessus. Le flair, l’instinct. D’une certaine manière, le grand flic est un tueur à sang tranquille, un prédateur adossé à ce qui est censé être le bien. Pourtant, face aux flics du monde entier je suis là. À attendre avec eux aux mêmes feux rouges. À fréquenter les mêmes bistrots. À pleurer aux mêmes enterrements. À m’enjailler aux mêmes naissances. À suivre les mêmes cours de tap dance. Là, parmi eux sur les plages, parmi eux dans les bois, parmi eux dans les ascenseurs, parmi eux dans les stades, parmi eux dans les théâtres, parmi eux au cœur du grand confinement et son haleine de fin des temps, et ses journées aux tronches de dimanche, et ses rues, et ses boulevards et avenues livrés au pavanement des rats et des corbeaux. Partout je suis là avec eux dans la nudité de l’enfant qui vient de naître. Cependant, malgré les indices complaisamment semés, malgré les empreintes digitales, le profil génétique, le Bluestar, les mises sur écoute, les filatures, malgré leur flair, leur instinct, malgré les flammes de l’enfer qui embrasent mon âme, aucun flic n’a encore réussi à mettre un visage sur le tueur de fille de. Malgré leurs caméras de surveillance. Car mille milliards de caméras jamais ne remplaceront l’œil de Dieu. Et le ciel est à présent vide. (Close up, p. 27)
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Mère m'a allaité jusqu'à l'âge de cinq ans. Après la naissance de Sora'shilé, papa a prié pour un garçon ; mère a prié pour un garçon. Tout le monde, en secret, voulait un garçon. Je suis né garçon. tout m'était permis. Un garçon! J'ai tenu le sein de ma mère entre mes lèvres, mes dents, jusqu'à ce qu'elle n'eut plus de lait. Jusqu'à l'âge de cinq ans. Papa n'y a vu C'est la chute sur le front qui a provoqué l'irréversible. Parce que c'est grâce au front qu'on se souvient, les lobes frontaux, comme leur nom l'indique, étant situés juste derrière l'os du front. Aucun mal. Jamais papa n'y a vu de mal.
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Il est revenu un jour de carnaval chinois.
Tout le monde, à Saint-Ambroise, est à chaque fois surpris quand arrive le nouvel an chinois. Entre janvier et février, on le sait plus ou moins. D’une année à l’autre, la date du nouvel an chinois se déplace au gré des humeurs du soleil et de la lune. Ce n’est pas comme le défilé du 14 juillet qui tombera toujours un 14 juillet. Qu’il grêle ou qu’il neige ce juillet-là. Ou l’Armistice, le 11 novembre. Ou la Saint-Valentin, le 14 février.
Contrairement à d’autres endroits de la ville, le nouvel an chinois à Saint-Ambroise avance à tâtons, presque sur la pointe des pieds. En rasant les murs. Comme si les Chinois de Saint-Ambroise ne voulaient pas effaroucher. Même ce jour-là, ne pas déranger. Faire la fête en catimini. Sauf que nouvel an chinois se fête à coups de couleurs criardes, de gongs, de cymbales, de tambours et de pétards. Mais il faut bien se débarrasser des influences mauvaises de l’année qui meurt ! Mais il faut bien repartir d’un pied nouveau ! Mais il faut bien célébrer les promesses nouvelles !
Le défilé se déroule invariablement sur le même tronçon du boulevard Voltaire, entre la place Léon-Blum et le boulevard Richard-Lenoir. Jamais au-delà. La veille, aucune décoration, aucune banderole, aucun cotillon, rien ne vient habiller le boulevard Voltaire pour annoncer la fête. Jusqu’aux premiers crépitements de pétards. Et là, un moment surpris et vaguement inquiet, ne comprenant pas ce qu’il se passe, Saint-Ambroise finalement réalise. Ah oui, c’est le jour de la fête des Chinois. Quelques riverains du boulevard ouvrent alors fenêtres et volets pour assister, à travers l’objectif d’un appareil photo ou d’un caméscope, au défilé des dragons et des tigres chaussés de Nike et de Reebok.
Une toute petite fête, le nouvel an chinois à Saint-Ambroise.
C’est ce jour-là qu’est revenu Guillaume-Alexandre Demontfaucon.
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