Citations de Kristen Britain (57)
Après un long silence, Karigan souffla un "merci" plein de conviction.
Zacharie toucha la tente comme si ce geste avait pu le rapprocher d'elle -une sorte de caresse.
Les yeux fermés, il imagina que Karigan, de l'autre côté de la toile, pressait sa main contre la sienne.
-Je refuse de fermer les yeux !
-Même si je monte la garde pour chasser les démons ? Demanda Zacharie.
-Et si vous vous transformez en Nyssa ?
-N'ayez crainte, ça n'arrivera pas...
Cette métamorphose devait avoir fait partie du cauchemar. Karigan brûlait de fièvre, et même là, il était difficile de dire si elle avait repris conscience ou dérivait encore dans le monde des rêves.
-C'est juré, je ne me transformerai pas, dit Zacharie en lui serrant les mains. Et je resterai près de vous.
Seule la présence de Braymer et Styles l'empêcha de tomber, tête la première, dans du crottin. Pas étonnant que l'on considère les femmes comme faibles ; c'était la faute des vêtements !
C'était comme s'il était sorti tout droit d'un cauchemar, la foudroyant de son unique oeil vert. Un bandeau recouvrait l'autre, juste comme dans son souvenir, et une cicatrice s'en échappait. La lumière faiblissante de l'après-midi faisait luire son crâne chauve.
Je recherche la mort. Qu'elle soit tienne avant que je la fasse mienne.
- Je suis un messager... Cavalier Vert. (Le corps du jeune homme fut parcourut de convulsions douloureuses, un filet de sang coula de ses lèvres le long de son menton.) La sacoche, derrière la selle... message important... le roi. Question de vie ou de mort. Si vous aimez la Saco... Sacoridie et son roi, prenez-le. Apportez-le-lui.
- J... je...
Une part d'elle-même mourait d'envie de prendre ses jambes à son cou en hurlant, tandis que l'autre ressentait l'urgence de la situation. S'enfuir à Corsa au lieu d'attendre que son père vienne la chercher à Selium comportait un irrésistible parfum d'aventure qu'elle avait anticipé. Mais c'était le terrifiant visage de la véritable aventure qui la regardait à présent.
[...]
- C'est dangereux.
Il frémit.
Partout autour d'eux le silence se fit, un calme chargé d'espoir, comme si le monde retenait son souffle en attendant sa décision.
Avant de pouvoir s'en empêcher, Karigan dit :
- J'irai.
Personne ne choisissait de devenir un Cavalier Vert ; on était appelé à servir. Un appel de la magie, d'après ce qu'elle avait compris. Un appel irrésistible, inflexible, qui pouvait briser l'esprit de la personne qui n'en tenait pas compte.
Zacharie devait vraiment être habitué à se trouver en compagnie d'autres personnes, même si elle sentait que cela ne lui plaisait pas plus qu'à elle. En fait, ils étaient tous deux entourés en permanence d'autres gens, si bien qu'ils étaient rarement en mesure de s'adresser la parole, et encore moins en privé. Ils ne parviendraient jamais à faire connaissance avant leur nuit de noces. À supposer qu'à ce moment-là, les foules les laissent en paix.
Des voix crissaient dans le crâne de Karigan ; des murmures emplis d'agitation qui ne voulaient pas s'en aller. Ne savaient-ils pas qu'elle se reposait ? Elle était tellement fatiguée, sur le point de s'endormir. Il fallait qu'elle échappe à la douleur dans sa tête, et elle avait si froid. Mais les chuchoteurs ne la laissaient pas en paix.
J'offre au roi mes services en tant que Cavalier Vert.
Elle essaya de se départir de ces sombres pensées,mais celles-ci s'accrochaient à elle comme son ombre. C'était une ombre qui devenait de plus en plus lourde et s'assombrissait chaque fois qu'elle voyait passer sous ses ordres un nouveau Cavalier. Elle se demanda si tous les autres capitaines qui l'avaient précédée avaient vécu la même chose.
- Le voici, maître Rendel.
— Le maître d’armes Rendel ? (Stevic passa devant le capitaine Stèle pour aborder le nouveau venu. Il oublia de saluer.) Ravi de vous connaître. Nous avons à parler.
La chaise d’Estral racla le sol lorsqu’elle se leva.
— Je suppose que ça n’avancera à rien que je reste là. Personne ne s’embête jamais à venir ici, sauf quand je dois travailler.
— Si vous pouvez m’indiquer où trouver maître Galwin…, s’enquit le Cavalier Vert.
Elle emboîta le pas à Estral et toutes deux sortirent de la pièce. Le maître d’armes les regarda partir..
[...] se demandant où étaient les dieux dans tout ça. Des êtres égoïstes et profiteurs, trop occupés à arpenter les étoiles pour se soucier des tracas terriens. Seule importait l'adoration des simples mortels, pas les mortels eux-mêmes. De ce qu'elle en percevait, ils n'offraient strictement rien en retour. Naguère septique quand à leur existence, elle croyait à présent dur comme fer en eux depuis qu'elle avait été forcée de servir d'avatar à Ouestrion. Elle n'était digne de son attention que dans la mesure de son utilité pour lui.
Peut-être, songea-t-elle non sans perversité, que ce ne sont pas les dieux qui dominent l’univers, mais les chats. Des chats jouant avec les humains comme un marionnettiste avec son pantin.
– Nous devons imaginer un plan, dit Enver.
– Pas sans moi ! cria Karigan sous la tente.
Enver marmonna quelques mots en eltique puis soupira :
– Quand je l'ai quittée, elle dormait...
– C'est Karigan, dit Estral, la pire tête de mule du monde !
– Je vois ça, oui...
– S'il le faut, je peux de nouveau ramper dehors ! menaça la Cavalière.
Bragelonne (2019) – p.626
Karigan ferma les yeux de toutes ses forces
- Non..., murmura-t-elle.
Mais à quoi aurait-elle pu s'attendre ? Elle avait vu les ruines de la Cité de Sacor, appris comment l'Empire s'était créé. Et le roi, elle le savait, avait donné sa vie pour son pays. S'il avait vécu, il n'aurait pas été question pour lui de laisser l'ennemi prendre l'avantage. Il ne se serait pas terré dans son château. Karigan aurait dû être là. Sa présence n'aurait pas changé le cours du conflit, mais elle aurait dû se trouver auprès des siens, même si cela signifiait mourir avec eux.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, le professeur, à genoux devant elle, lui présentait un mouchoir.
- Décidément, je vous aurai mise dans tous vos états, aujourd'hui.
C'est seulement alors que Karigan sentit les larmes qui lui brûlaient les joues. Elle accepta le mouchoir.
- Vous êtes convaincue que le roi Zacharie était un grand roi, cela ne fait aucun doute.
- C'est un grand roi, oui.
J'ai pensé que vous aimeriez voir ce qu'il reste de la Cité de Sacor tout en ayant un aperçu de ce qu'il y a de nouveau.
Karigan songea que le peu qu'elle avait déjà vu : dureté, tristesse et égoïsme, lui suffisait amplement.
- A ce rythme-là, autant marcher, maugréa le professeur, car c'était à peine si le coche progressait.
- Et pourquoi pas, justement ?
- Je, euh..., fit Josston, pris au dépourvu. Les dames n'ont pas pour habitude de...
- Je ne suis pas une dame.
- Je sais, je sais..., dit-il avant de baisser le ton. Vous êtes un Cavalier Vert.
Tout en haut de la page était écris : « pour Karigan ». Venaient ensuite des portraits dessinés à l'encre, des portraits de personnes qu'elle avait connues. Même en l'absence de nom, elle les identifia aussitôt avec un coup au cœur : Mirriam avec sa gravité coutumière, et portant monocle ; Lorine et Arhys qui marchaient sur les pavés, main dans la main. Le professeur Josston, splendide dans sa tenue de soirée. Luke, la main posée contre l'encolure de Corbeau.
Et au milieu de la page était représenté Cade qui souriait d'un air songeur, comme pour lui dire qu'elle ne risquait pas de l'oublier. À cet instant, les souvenirs affluèrent. Tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, et ce qu'ils signifiaient l'un pour l'autre. Tout.
Grâce à Yates, Cade vivrait dans sa mémoire, et elle n'oublierait jamais. Jamais.
Comme si un dieu unique pouvait subvenir aux besoins de toute une société, se dit Karigan avec dédain.
Les ombres du soir s'allongèrent, et l'air se chargea de rosée. Des lucioles se mirent à clignoter, elles tombaient entre les arbres comme des rafales de lumière. Des grives entonnèrent leur chant vespéral et, tandis que tombait la nuit, la lueur laiteuse de la lune se déversa dans les bois.