Ce qui flottait sur les toits des havelis (demeures,petits palais, maisons de maître parfois fortifiés) avait été créé par les doigts habiles de Bihzâd. Sur les cerfs-volants, il avait fait des dessins, délicatement peints, comme tous ses portraits. Il avait tracé le visage de ses voisins dans les moindres détails. Puis y avait ajouté sa malice. Le général veuf se pavanant comme un paon.
Un artiste, Bihzâd, tu sais ce que c'est ? Le plus pur d'entre les purs. Le seul à oser faire ce qu'Allah a fait : donner vie à la forme. La souillure, chez un artiste, ce n'est ni le vin, ni les suçons des prostituées, mais la cupidité. C'est sacrifier son talent, et ses rêves, à l'agilité de ses doigts.
Même si tu l'aimais, elle n'aurait pu être tienne. L'art, c'est tout ce qui reste à l'artiste : une blessure qui ne guérit jamais, qui l'entraîne vers sa tombe, son ultime amante.
Un eunuque vit de la haine. Chaque jour de sa vie. Comme un artiste vit de l'amour, l'amour de sa peinture. Que se passe-t-il lorsque sa haine se tarit ? Quand l'esprit meurt, Bihzâd, le monde entier se fait exil. Et tout se ressemble : le palais de l'empereur comme le désert.
Souviens-toi, Bihzâd, l'oiseau qui chante vit en cage. Le hibou vole en toute liberté.