An Interview with Chitra Banerjee Divakaruni
Vous n'êtes pas obligés de brosser toutes vos dents, seulement celles que vous voulez garder.
Curcuma
Quand vous ouvrez la caisse qui trône près de la porte d’entrée, vous le sentez immédiatement, bien que votre cerveau ait besoin de quelques instants avant de reconnaitre cette senteur subtile, légèrement amère comme la peau et presque aussi familière.
Effleurez-en de la main la surface, et la poudre jaune et soyeuse collera aux coussinets de votre paume et au bout de vos doigts. De la poussière d'aile de papillon.
Puis portez votre main à votre visage. Frottez-vous-en les joues, le front, le menton. N'hésitez pas. Depuis des millénaires, depuis que le monde est monde, les épouses - et celles qui aspirent à devenir des épouses - ont fait ce même geste. Cela effacera les taches et les rides, éliminera l'age et la graisse. Pendant des jours, votre peau rayonnera d'un éclat jaune pâle, doré.
En est-il toujours ainsi quand on s’avance en territoire interdit, que certains appellent péché ? Le premier pas lacère, sang et os, déchire les poumons. Le second aussi met à la torture mais déjà, la douleur s’atténue. Avec le troisième, elle passe sur nos corps comme un nuage de pluie. Bientôt, insensibles, nous ne nous y arrêterons plus.
Ma robe s’est installée autour de moi comme les pétales d’un lotus blanc, et à travers la fenêtre, la main du soleil se glisse chaude comme une permission sur mon visage. La voiture glisse uniment telle une bête de la jungle, avec le même silence et la même vélocité.
Raven, tu n'es guère différent des autres hommes attirés par la haute cambrure d'un pied, la courbe d'une hanche, la façon dont un diamant brille d'un éclat moite contre la gorge soyeuse d'une femme.
Parfois, je me demande si ce que l'on appelle la réalité, une nature objective et inaltérable, existe. Ou si tout ce que nous éprouvons a déjà été transformé par ce que nous avons imaginé. Ou encore, si c'est nous qui, à force de l'imaginer, l'avons fait advenir.
Les mots sont trompeurs. On en a parfois besoin pour exprimer la blessure qui s'infecte au-dedans. Si on ne le fait pas, elle se gangrène et vous tue. C'était ainsi entre Sonny et moi, c'est pour ça que nous n'arrivions pas à faire avancer nos vies - ensemble ou séparément - avant de parler. Mais parfois les mots peuvent réduire un sentiment en morceaux.
Raven, ce soir je mettrai sur le bord de ma fenêtre de l'amritanjan, baume brûlant, feu et glace. Qui te fera exsuder la douleur et ce qui est parfois pire, le souvenir de la douleur que nous autres, humains, ne semblons pas pouvoir empêcher de nous étreindre.
Quand le ciel devient d'un rouge meurtrier, que la pollution se mêle au soleil couchant, et que le palmier malingre qui se dresse près de l'arrêt de bus jette son ombre mince et déchiquetée en travers de mon seuil, je sais qu'il est temps de fermer.
Seule une histoire...peut empêcher nos descendants de trébucher comme des mendiants aveugles et de se déchirer aux épines de cactus.
Chinua Achebe,
Les Fourmilières de la savane.