Laetitia Cuvelier

Je me suis fait maltraiter
Toute la journée
Par mon chef
Mes collègues
La voisine
La voiture
Mon dos
Mon père
La caissière
Et ce soir
Je vous crie dessus
Parce qu'il y a du dentifrice
Sur le lavabo

Devant la porte
La pile des bagages
Des jouets
Les sandwichs
De la musique pour la route
Les K-way et la crème solaire
Et soudain l'envie de rester.

Plus d'enfants
Que d'adultes dans la maison
Qui déborde
De rires sous les couettes
De régiments de Playmobil
Et de paires de chaussures dans l'entrée.

Je te parle de deux îles
Tu me dis
Comme tu veux
Je te fais confiance.

Je ne veux pas
Que tu me fasses confiance
Je veux que tu regardes
Que tu t'intéresses
Que tu m'aides à choisir
Moi qui ne sais pas choisir.

Ma fille m'a dit
C'est beau la vie
Quand tu souris
Maman
Et j'ai eu envie de pleurer

Un dernier petit tour
Avant d'aller me coucher
Leurs bouches ouvertes
Le désordre de leurs lits
Un pied qui dépasse
Des mèches sur l'oreiller
Une loupe dans sa main
Et une girafe à son chevet
Je ne touche à rien
Et chaque chose me touche.

A l'heure d'étendre
Une dernière machine
Je maudis celui
Qui a inventé les Kleenex
Et la capacité des mouchoirs en papier
A se déchiqueter
Dans la machine à laver.

J'ai prévu trois alarmes
Une à 5h30
Si j'ai le courage
D'écrire un peu avant le jour
Une à 6h30
Si j'ai le courage
De me lever déneiger la voiture
Une à 7h30
Si j'ai le courage de tout faire
En moins d'une demi-heure.

Je pense aux absents
Quelques morts
Mais surtout
A beaucoup d'absents vivants
Qui me manquent.

Le thermomètre affiche
Trois dizaines en dessous de zéro
J'attends d'être sûre
Que le gasoil de la voiture
Est gelé
Pour ouvrir la bouteille de vodka

Tôt le matin
Ou tard dans la nuit
Me réveillent
Les camions qui repartent
A l'assaut des cols
Des frontières
Des autoroutes
Des kilomètres.
J'égrène les destinations
Qui sont peut-être les leurs
Italie Pologne Slovaquie
Turquie et regrette
L'audace d'autostoppeuse
De mes vingt ans.