Ces confessions parues aux éditions de la Découverte apportent un regard « de l’intérieur » sur le phénomène des gangs, puisque ce récit s’appuie sur le témoignage de Lamence Madzou, recueilli lors d’une série d’entretien par la sociologue Marie-Hélène Bacque.
Ainsi le lecteur suit le parcours du jeune Lamence, arrivé du Congo en France à l’âge de 5 ans, qui grandit en banlieue parisienne, dans les quartiers défavorisés de Corbeil-Essonne. La vie y est difficile et les rencontres, pas toujours de bon aloi. Puis, à l’adolescence, en 1987, un cap est franchi, Lamence et trois autres copains, fondent leur gang, les « Fight Boys ». Cette fondation marque le début d’un engrenage vers la grande criminalité, qui ne sera pas sans causer beaucoup de désolation. Au paroxysme de ce parcours, la « guerre des trois ans », lors de laquelle vont s’affronter les bandes de la région parisienne de façon systématique et violente …
Ce documentaire a le mérite d’apporter un éclaircissement sur le fonctionnement des bandes et l’esprit d’un leader « charismatique », qui mène sa barque comme un véritable « chef d’entreprise », manageant une équipe et se fixant des objectifs. Témoignage « brut », il est également dur, tant par la violence décrite que par le peu de place laissé finalement aux victimes. Cependant, à travers le parcours de Lamence, il porte un important message d’espoir : il est possible de sortir de cette délinquance.
« Voyage dans le monde des bandes » écrit par Marie-Hélène Bacqué succède au témoignage à quatre mains réalisé avec Lamence Madzou. Document sociologique, il apporte des clés de compréhension sur l’évolution des phénomènes de bandes, mais sa lecture est au final assez aride
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Ce récit est le produit étonnant de la collaboration d'une sociologue et d'un ex-chef de gang, dont les activités ont eu l'honneur des journaux télévisés dans les années 90. D'abord on découvre le récit de l'homme devenu adulte qui regarde son passé ; récit qui a été travaillé avec Marie-hélène Bacqué : les deux devaient donner leur assentiment au texte.
Il en résulte un document assez passionnant.
Pour rappeler le contexte, Lamence Madzou était un jeune de la cité Montconseil à Corbeil. En rupture scolaire très jeune, il traine dans la cité et le long de la ligne de RER. Il connait sa première arrestation à 14 ans suite à un vol commis par son frère. Les bagarres prennent de l'ampleur. Il devient le chef d'une bande appelée les Fight boys dont la principale occupation, en dehors des vols pour se procurer les biens de consommation, est de contrôler son territoire et les points névralgiques des gares parisiennes. Il est intéressant de noter que l'appartenance à telle bande ne dépend pas du lieu d’habitation : les jeunes sont très mobiles. Il décrit de manière très factuelle et directe l'escalade de violence qui s'est produit pendant la "guerre des trois ans " entre diverses bandes de la région parisienne, notamment les Fight Boys et les Requins juniors.
Et on se demande bien mais pourquoi ils se battent ? D'où vient cette espèce de haine, ce besoin de vengeance pour des litiges au départ mineurs. L'enchainement est sans fin : on ne peut laisser impuni un tort causé à un membre de la bande ... on attaque, il y a riposte et contre riposte etc... dans un déchainement de violence.
Lamence Madzou décrit bien ce mécanisme sans pour autant l'expliquer. Comment ils pensaient, comment ils réagissaient, comment lui en tant que chef de bande ne pouvait laisser tomber un des siens et devait donner l'exemple de la force et de la cruauté.
Une fois cette guerre terminée, alors que tous ces jeunes gens ont grandit et fait leur expérience en prison vient le temps du "bizness" : drogues, cambriolages, vols de voitures..Là aussi Lamence devient un caïd.
Il continue de changer. Lamence est sans nul doute un homme intelligent et capable de distance. Quelques aventures amoureuses manquent de peu de lui faire quitter son univers de violence. Il présente aussi son action comme le résultat de son envie de faire quelque chose pour les autres jeunes, de les aider à sortir de la misère et de la relégation. Petit à petit, il prend curieusement contact avec le monde associatif et bénéficie de la politique des "grands frères" mise en place par Serge Dassault à la mairie de Corbeil.
Par la suite, Lamence sera expulsé dans des conditions présentées comme obscures et passera 3 ans au Congo en pleine époque de guerre civile ; guerre à laquelle il prend part, les armes à la main.
Il rentre enfin, décidé à changer de vie et à ne plus retourner dans les embrouilles. Il apprend à se servir de ses relations et de sa connaissance des cités pour gagner de l'argent : il fait des reportages, devient pigiste, rachète une société de communication. Il se marie, a des enfants.
Lamence raconte la violence sans la nier, sans la glorifier, sans tenter de l'excuser ou de la justifier et sans davantage montrer de regrets ou le moindre sentiment pour les morts ou les victimes.
C'est un fait brut et nu. Il considère avoir perdu du temps et une partie de sa vie mais "dans le monde où je vivais, si je voulais être tranquille, il n'y avait pas d'autre choix que de frapper du poing sur la table."
Cela reste un peu dérangeant, même si une autre posture n'aurait rien apporté à l'intérêt documentaires du récit.
Ensuite un texte de Marie-Hélène Bacqué remet le récit en perspective par rapport à l'époque, en évoquant les interviews qu'elle a pu faire d'autres protagonistes de cette époque pour éclairer les propos de Lamence. Elle parle de construction d'identité noire, des politiques municipales ou de la place des filles.
Une lecture à recommander.
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