Citations de Laure de Rivières (31)
Nous n’avons jamais laissé le chaos nous dicter un chemin dans notre famille. Nous en avons toujours pris le contrôle. La vie ne dicte pas sa loi à un Leprince, nous n’obéissons qu’à Dieu. Le reste n’est que foutaises.
La réussite n’est pas qu’une question de salaire ou de promotion professionnelle. La réussite, c’est d’atteindre ses objectifs.
J’avais fait des choix qui engagent cinq, et bientôt six enfants. Qui engageaient aussi un homme. Que ce choix fut le bon ou non, la question ne se posait donc plus. Je devais assumer mes responsabilités et ne pas leur faire payer mes erreurs de jugement. J’avais été sans doute naïve, rapide, aveugle, peu importe, mais j’allais essayer de ne pas être en plus inconséquente ou lâche. Je croyais en mon pouvoir de résilience, à mon aptitude à endurer. J’étais convaincu aussi que nous avions ça en nous, les femmes, cette capacité à aimer et à donner au-delà de tout. Au-delà du raisonnable, au-delà de normal, au-delà de l’acceptable. C’est ce qui faisait notre force.
- Ah ! Manon… n’est-ce pas ? A dit le père en s’avançant. Je le sais, je vous ai choisie à cause de votre prénom.
- C’est gentil, merci.
- Je ne sais pas ce qu’il y a de gentil là-dedans. Vous étiez la seule de la liste à avoir un prénom catholique. Et j’étais pressé. Je me suis dit que c’était une garantie suffisante.
« Mes filles, on les élevées libres, on les a poussées à faire leurs choix, pas à suivre les nôtres. On leur a appris à décider seules, à avoir leurs propres opinions, pas les nôtres. On a essayé de tout faire pour qu’elles soient elles-mêmes et pas quelqu’un d’autre. A ne pas suivre des règles si elles n’y croyaient pas. A mériter ce qu’elles gagnaient. Et toujours dans le respect de soi et des autres. Tolérance, c’était notre maitre-mot à la maison. »
« - Mais tu délires, Manon, totalement. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu crois vraiment qu’il y a un type là-haut, planqué sur son nuage qui aurait appelé leur mère pour faire du jardinage avec elle parce qu’il s’emmerdait seul et qu’il avait besoin de compagnie ? »
Bien sûr, elle va me manquer. Sa douceur, son rire, sa gentillesse, sa gaieté. Sa beauté aussi. Mais elle est comme un petit chat : mignonne, mais usante.
Manon ne se pose aucune question, elle vit, c'est tout. Elle fait, et elle vit. Elle prend les choses comme elles viennent, sans se demander pourquoi elles viennent, ni d'où, ni combien de temps elles vont durer.
La procédure de divorce est presque terminée maintenant. Je vais pouvoir reprendre mon nom, effacer Leprince, et c’est comme si on allait m’enlever une couche de goudron. Je vais pouvoir redevenir totalement moi à nouveau, respirer librement.
« Qui aurais-je été si j’avais pu m’exprimer librement et être sans jugement, sans attente, sans déception ? Si j’avais pu chercher en confiance un chemin, au lieu d’être obligé de marcher dans des traces toutes faites qui n’ont jamais étaient les miennes ? Les traces de mon grand-père, de ma mère, les traces d’un héritage et d’une famille trop grandes pour moi… »
Il va falloir être fort, mon grand. Montrer l’exemple à tes sœurs. Ne pas pleurer. Être un homme. » Il m’a regardé droit dans les yeux : « Oui, Papa, je te promets. » Il n’a pas cillé, pas pleuré. Je lui ai posé un baiser sur le front, et j’ai murmuré : « Je suis fier de toi, tu es mon fils unique, je compte sur toi, c’est toi qui reprendras le flambeau le moment venu… » Les grandes s’étaient mises dans le même lit, blotties l’une contre l’autre. Je n’ai pas eu le courage de les séparer même si je n’apprécie pas ce genre d’intimité en famille. Je les entendais renifler sous la couverture. On s’est serrés tous les trois sans rien dire.
- Ah ! Manon... n'est-ce pas ? a dit le père en s'avançant. Je le sais, je vous ai choisie à cause de votre prénom.
- C'est gentil, merci.
- Je ne sais pas ce qu'il y a de gentil là-dedans. Vous étiez la seule de la liste [ de baby-sitters ] à avoir un prénom catholique. Et j'étais pressé. Je me suis dit que c'était une garantie suffisante.
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Elle s'occupe merveilleusement des enfants, c'est une perle, mais quand même. Elle y trouve bien aussi son compte vu qu'elle les aime beaucoup. Ce n'est pas comme si c'était uniquement une corvée. Dieu merci, elle a enfin arrêté ses cours à la fac, ça lui prenait trop de temps et je trouvais que le travail à la maison s'en ressentait. J'ai à peine eu à le lui imposer. Quand on révise ses examens toutes les nuits, on est forcément moins patient avec les enfants , ça me paraît évident. Et ce n'est pas acceptable.
"Oh... ça finira bien par aller, je n'ai pas le choix de toute façon. Mais je crois malheureusement qu'il y a des choses qu'on ne peut pas soigner à l'hôpital..." Son regard s'est perdu, et elle a continué : "Des rêves qui se sont évaporés... Des ambitions qu'on a oubliées... Mais tout ça n'est rien par rapport au fait d'avoir une belle famille*, n'est-ce pas ?" dit-elle dans un soupir fatigué.
* 5 enfants de 1 à 9 ans, en 10 années de mariage
Pauvre Elizabeth, à vouloir maîtriser le destin on en devient finalement l'esclave.
" Les gens changent beaucoup avec le temps, vous ne trouvez pas? Moi en tout cas, j'ai beaucoup changé, je ne m'y attendais pas... "
Mathilde, notre dernière, s’est mise à pleurer instantanément, comme si elle sentait que ce qu’on allait lui dire était irréversible. Que le mal qu’elle aurait dans une minute ne serait que le début d’une maladie vicieuse qui ne la quitterait plus jamais. Un mal qui allait lui coller à la peau, se fondre en elle jusqu’à s’inoculer dans chacune de ses respirations. Un mal qui allait tous nous engloutir à jamais et dont personne n’allait se relever intact. Ses pleurs m’ont agacé. J’étais perdu. Il a fallu attendre de la calmer avant de pouvoir parler, il y avait une tension palpable dans la pièce.
L'ambiance s'est donc tendue une nouvelle fois, nous sommes rentrés dans une énième spirale de disputes dont les enfants ont été les témoins et, pour la faire enrager, j'ai décidé de ne plus les accompagner aux États-Unis. J'aimais tirer les ficelles de notre relation. Décider à moi seul des jours qui iraient bien et de ceux qui seraient volcaniques. J'aimais qu'elle joue ma partition, et qu'elle s'y plie. Presque comme un jeu vidéo où l'on a les manettes et où l'on choisit son chemin. Je rajoutais à loisir un peu d'amour ou un soupçon de haine pour rendre les choses entre nous plus intéressantes, moins plates, moins attendues. Elle réagissait avec la promptitude d'un automate, et je constatais avec satisfaction que chacun de mes gestes avait un effet direct sur son attitude. Dieu, que c'était facile. Et amusant...
Je l'ai senti frémir, elle s'est mise à pleurer de gratitude. Ça m'a rempli de satisfaction : j'avais ce pouvoir sur elle, celui de décider de son bonheur. Je la tenais entre mains comme un oiseau fragile dont on peut briser les ailes simplement en refermant les phalanges ou au contraire lui donner son envol en lui donnant une impulsion. J'ai choisi de lui faire plaisir cette fois-ci, parce que j'ai vu qu'elle ne cherchait plus à me piéger.
La vie sourit celui qui a le désir et la volenter de réussir.