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Citations de Léon Daudet (60)


Léon Daudet
Cultive ton enthousiasme comme une plante merveilleuse.
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Léon Daudet
Atteindre le doute du doute, c'est le commencement de la certitude.
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Ce brave Karl Marx est illisible et Kautsky aussi est illisible et Lénine lui-même, qui a fait scier, pendre, fusiller, déboyauter tant de gens, est une effroyable source d'ennui mêlé au sang. Quelle que soit la forme du collectivisme, il y a en lui un côté caserne, enrégimentement de l'esprit et du corps, servitude matérielle et mentale, dispensaire, distribution de paquetages, qui rebute le Latin que je suis et le passionné partisan de la liberté intérieure qui s'agite en moi, sous la reconnaissance, bien entendu, des effets et des causes. Les Robinsons de l'anarchie me paraissent fort supérieurs, humainement et inhumainement parlant, aux Ramollot et aux Ronchonnot de guerre civile, qui siègent dans les congrès du socialisme, quelle que soit la couleur de ce socialisme.
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Il est bon que, dans la jeunesse, on ait cet appétit de savoir, qui n'a que trop de tendances à se recroqueviller par la suite, quand on a compris que l'objet de la connaissance se sauve perpétuellement devant nous.
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Marcel Proust déteste la campagne. Elle dérange en effet ses habitudes casanières, la claustration volontaire pendant laquelle il lit, rêvasse et réfléchit, échappant ainsi à l'abus que l'on ferait de sa trop grande obligeance et de son amicale émotivité. Nous nous sommes rencontrés, il y a de cela une vingtaine d'années, pendant une semaine, à l’hôtel de France et d'Angleterre, à Fontainebleau. Il restait enfermé toute la journée dans sa chambre, puis le soir, il consentait à faire avec moi une promenade en voiture dans la forêt, sous les étoiles. C'était le plus charmant, le plus fantaisiste, le plus irréel des compagnons, un feu follet assis sur les coussins de la Victoria. Mais, ne voyant pas ce que les autres voient, il voit des choses qu'eux ne voient pas, il se coule derrière la tapisserie et contemple le bâti et la trame, dût Hamlet le prendre pour un rat. Il s'est fabriqué, à l'aide d'une marqueterie de méditations sur le concert, un monde abstrait où il vit heureux, presque tranquille, séparé de tout et de tous par une sorte de cloison transparente.
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Nous avons beaucoup perdu en perdant Huysmans et Mirbeau. Huysmans était excellent et atrabilaire, compatissant et féroce, railleur et quinteux. Il ressemblait, avec son large front ridé, à un vieux vautour, désabusé et philosophe, perché sur l'huis de la misanthropie. Quand on lui demandait : « Que pensez-vous d'un tel ? » il répondait, le plus fréquemment, d'une voix lasse, en baissant ses yeux gris :  « Ah ! Quel déconcertant salaud !... » ou «  Quelle triste vomissure ! », ou quelque chose d'approchant. Le contraste de cet accent feutré, mitonné, semi-poussiéreux, et de ses affirmations péjoratives, était d'un comique irrésistible. Gourmet célèbre, chipoteur de petits plats, maudissant à bon droit la cuisine pour tous d’hôtel et de palace, l'auteur d'En route et Là-bas lançait un regard de bourreau chinois aux mets que nous présentait le serveur et murmurait entre ses dents : « Voilà une étrange mixture ! » Il en goûtait un peu, faisait la grimace, déposait sa fourchette, son couteau et riait pour lui seul, comme Bas-de-Cuir. Tout vin, selon lui, sentait « la vesse », ou « le crottin », comme tout fromage fleurait « le pied de pauvre » et toute sauce « la colle cadavérique » ou « l'encaustique à goût de sapin ». Il abondait en définitions gastronomiques, d'une exactitude vireuse et parfois tragique, qui plongeaient dans la consternation les maîtres d'hôtel. Il me déclara un jour qu'il n'appréciait que le pot au feu, idéal, sucré à l'aide des seules carottes, et le poulet uniquement au beurre. Ceci est d'un véritable maître. Je l'approuvais d'autant plus que mon enfance a été bercée par les recommandations, concernant le poulet rôti, de mon grand-père Allard, fin connaisseur : « Pas de jus, au moins ! Rien que du beurre ! »
Aussi fin gueule qu'Huysmans, Mirbeau considérait celui-ci comme un vieil enfant quinteux, petit-bourgeois et perdu dans son miroton et le Syllabus. Mirbeau n’entendait rien à la mystique, laquelle seule, vers la fin, intéressait Huysmans. Il s'entêtait à voir, dans la religion, une supercherie, ou une perversité mentale, ou une manière de gâtisme. Elle lui procurait une irritation anormale, que j'ai souvent remarquée chez les viveurs et les grands sensuels, et tenant sans doute aux obstacles tout moraux, mais dirimants, qu'elle met entre eux et leur désir. Mirbeau était un frénétique, capable des mouvements les plus généreux, incapable de se brider, de se contenir, et soutenant, en conséquence, qu'il est laid et vain de se contenir et de se brider. Il faisait malheureusement partie des déificateurs de l'instinct, du penchant prétendu irrésistible de la volupté sans frein. Il zézayait légèrement, rongeait ses ongles sans arrêt, et ses yeux railleurs devenaient dorés, comme ceux de certains basilics exotiques, sitôt qu'il se mettait en colère : « Il y a en lui du possédé », disait Huysmans, que ses emballements à transformations agaçaient.
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Le professeur Potain était l’antithèse vivante de Charcot. Il aimait les hommes d’un cœur ardent, infatigable et il voyait surtout dans son art un moyen de les secourir. Sa bonté raffinée s’étendait, de sa famille et de ses amis, à ses clients, à ses élèves, aux inconnus. Toutes les forces de son intelligence aux antennes innombrables étaient dirigées vers le soulagement des maux, souvent désespérés, pour lesquels on l’invoquait de tous les étages de la société, de tous les coins de France et d’Europe. Sa vie de savant, de chercheur, d’expérimentateur hors ligne était dévorée par les appels, les supplications, les larmes d’une multitude d’infortunés, déjà en route pour les sombres bords, dont il était la seule espérance. [...]

Je me rappelle, à la Charité, un malheureux atteint d’un énorme anévrisme de l’aorte, lequel avait rongé peu à peu la cage thoracique et battait sous la peau. Nous attendions, d’une minute à l’autre, l’issue fatale. M. Potain, chaque jour, passait une grande heure auprès de ce condamné. Il revenait dans l’après-midi s’informer de ses nouvelles. Il souffrait visiblement de son impuissance. Un après-midi, jugeant le moment terrible arrivé, par un beau soleil d’été qui tombait des hautes fenêtres dans la triste salle, il demanda de l’ouate et des bandes, emmaillota lui-même, avec des précautions infinies, le torse tremblant. Il achevait à peine, que ce pansement in extremis devint rouge comme une écharpe de toréador… et voici le maître qui serre avec amour, contre son épaule trempée de sang, la pauvre tête épouvantée et oscillante, lui fait ainsi franchir le grand passage.

Quand un convalescent bien minable s’apprêtait à quitter le service, M. Potain, au moment du départ, lui glissait un billet de cinq cents francs dans la main. S’il s’agissait d’une femme d’ouvrier, d’une mère de famille, c’était davantage. Ceci fait, il se sauvait à grandes enjambées, comme un voleur, sans écouter les remerciements, les balbutiements de la gratitude. Nous devions le suivre à la course. Sa voiture, entrant à l’hôpital, était accompagnée souvent jusqu’au fond des cours par quelque hâve et livide purotin, par une ménagère dépenaillée, auxquels il remettait un des louis dont il avait toujours, à même la poche de son gilet, une ample provision, à tout hasard. Nous nous demandions, avec mon cher ami Vaquez, interne dans le même temps que j’étais externe, quelles sommes notre patron distribuait ainsi du 1er janvier au 31 décembre ? C’était sûrement une petite fortune.
La chose se savait, les gens abusaient, car il y a du mauvais monde même parmi les pauvres, mais M. Potain se fichait bien que l’on se fichât de lui. Il se reposait en donnant et répondait aux observations de ses élèves par un « ah bah ! »… cette fois ironique.
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Léon Daudet
Un critique doit goûter à tout, jouer avec l'eau et le feu et, au besoin, s'exposer aux éclaboussures de sauce et même de fumier. Il ne doit pas avoir de plus grand plaisir que de faire connaître ou surgir un talent jeune et neuf, ou ancien et méconnu.
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J'étais élevé dans les respect, ou mieux dans la vénération de Hugo. Tous deux poètes, tous deux romantiques, tous deux républicains à la façon de 48, mes grands-parents maternels savaient par coeur les Châtiments, la Légende des siècles, les Misérables. Ils eussent mis à la porte quiconque se serait permis la moindre appréciation ironique sur l'Histoire d'un crime. Mon père et ma mère étaient dans les mêmes sentiments. La première fois qu'ils me conduisirent aux pieds du vieux maître, dans son petit hôtel moisi de la rue d'Eylau, attenant à un triste jardinet, je considérai avec une véritable émotion cet oracle trapu, aux yeux bleus, à la barbe blanche. Il articula distinctement ces mots : " La terre m'appelle", qui me parurent avoir une grande portée, un sens mystérieux. Il ajouta, en me mettant sur le front une main douce et belle, ornée d'une bague que je vois encore et qui me rappela ma Confirmation : " Il faut travailler et aimer tous ceux qui travaillent."

173 - [Le Livre de poche n° 3943, p. 24]
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A qui demandera comment ce néant de Doumic a fait figure d'homme de lettres et de critique, comment il a obtenu une collaboration de vingt ans à la Revue des Deux Mondes et un fauteuil à l'Académie, je répliquerai: par la platitude. Quelques-uns lui ont donné parce qu'il avait l'attitude du quémandeur. D'autres lui ont donné pour ne pas donner à son concurrent. C'est l'histoire de son élection à l'Institut. D'autres lui ont donné parce que, étant nul, il n'offusquait pas. Il a tiré profit des oublis, tel ce personnage d'Hernani qu'une erreur de tutoiement fait grand d'Espagne. Il a ramassé des fonctions et des titres en aidant à mettre des paletots, en encensant d'influents vaniteux, en fermant des portes au nez des pauvres, en répondant : « Le maître n'est pas là. » A quoi l'on pouvait répliquer : « Oui, mais le domestique y est. » Son fauteuil est fait d'ancien paillasson et, comme il le sait, il enrage.
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René Doumic, cette utilité qui se crut une nécessité, pioche physiquement le genre moyenâgeux. Quelqu'un de bien intentionné a dû lui dire qu'il avait une tête de vitrail. Mais il y a vitrail et vitrail. Celui de Doumic comporte des cheveux aplatis, d'un blond fade grisonnant, couvrant un front inquiet et plissé, au-dessous duquel s'ouvrent deux orbites bleuâtres. On ne distingue pas les regards. Une bouche mauvaise, cachée dans une moustache et une barbe pisseuses, des joues creuses, un corps efflanqué complètent cette silhouette de noyé mondain. Il a trois bouées sur lesquelles il s'appuie: l'Académie, la Revue des Deux Mondes et les Lectures pour tous. Littérairement, c'est le néant. On ne peut citer de lui ni un mot juste, ni une vue originale, ni une ligne en français. Habillé de gros quant au style, il est invisible à un mètre. Il est sans goût, sans odeur et sans forme, mais non sans bile acrimonieuse et envieuse. Elle coule, certainement à son insu, en filets saumâtres et ruisselets jaunâtres, tout autour de lui. On voudrait crier à l'Université sa nourrice : « Emportez-le et changez-le! Il est trempé. » A la lettre, Doumic pue le fiel.
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La plus jeune femme était plus surprenante. Elle se dressait, tel un tronc d'arbre, sur des pieds géants, chaussés à la Little Tich (j'ai lu récemment que le pauvre garçon était mort, situation peu conforme à son allure). Elle avait des bras jaunes, une jupe courte (il faut bien suivre la mode) d'un vert cadavérique et putrescible, un corsage d'un marron nauséeux et taché de rondelles poisseuses, comme si elle l'avait acheté avec du sucre. Son chapeau était d'une hauteur inusitée, formé de détritus de jais et de rubans de couleur, jetés là comme d'une fenêtre. Elle tenait un parapluie - par ce temps radieux - qui avait l'air aussi d'une seringue, et Pourceaugnac eût pu s'y tromper. Quand au visage, imaginez un poisson de forte taille, un turbot, cabossé, repoussé, comme à coup de talon - elle avait dû être piétiné la veille - avec, dans les yeux, une expression féroce et venimeuse, un jet de vitriol à la Hogarth.
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Je vois encore le premier jour de notre année de volontariat, à la caserne de Babylone, un bleu de Ménilmuche, répondant à un sergent-major, qui en demeura ébahi : « C' qu'il paraît, vieux, qu' tes corsico. En c' cas reteurne dans ton île frusquer la pâtée de tes cochons. » Cette petite blague lui valut huit jours de boîte pour commencer : « Porquoi qu' tas dit ça, eh moule ? » lui demanda ultérieurement un copain. Le bleu répondit : « Por rigoler, donc. »
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Vers sept heures et demi arrivait chez Weber un jeune homme pâle, aux yeux de biche, suçant ou tripotant une moité de sa moustache brune et tombante, entouré de lainages comme un bibelot chinois. Il demandait une grappe de raisin, un verre d'eau et déclarait qu'il venait de se lever, qu'il avait la grippe, qu'il allait se recoucher, que le bruit lui faisait mal, jetait autour de lui des regards inquiets, puis moqueurs, en fin de compte éclatait d'un rire enchanté et restait. Bientôt sortait de ses lèvres, proférées sur un ton hésitant et hâtif, des remarques d'une extraordinaire nouveauté et des aperçus d'une finesse diabolique. Ses images imprévues voletaient à la cime des choses et des gens, ainsi qu'une musique supérieure, comme on raconte qu'il arrivait à la taverne du Globe, entre les compagnons du divin Shakespeare. Il tenait de Mercutio et de Puck, suivant plusieurs pensées à la fois, agile à s'excuser d'être aimable, rongé de scrupules ironiques, naturellement complexe, frémissant et joyeux. C'était l'auteur de ce livre original, souvent ahurissant, plein de promesses : Du côté de chez Swann, c'était Marcel Proust.
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Car la pitié est bannie à l'ordinaire de ces stations thermales où tout le monde souffre, ainsi que des sanatoria pour névropathes. Ils se réjouissaient de n'en être pas au point de celui-ci, qui était complètement paralysé, ou de celui-là, qui était aveugle, ou de cet autre dont les os se brisaient comme verre, sans réfléchir que c'était là ce qui les attendait, eux aussi, pour le lendemain, le surlendemain, ou le lundi au plus tard.

(Lamalou-les-bains)
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C'est [Marcel Proust] un lettré ultra-raffiné. Il est descendu jusqu'à la racine des auteurs du XVIIe siècle et du XIXe. Il écrit le Michelet comme Michelet et fera du Bossuet tant qu'on voudra. Cependant il peut assister poliment, ainsi qu'un écolier bien sage, à la dispute absurde de deux ignorants sur les mérites réciproques de Bossuet et de Michelet, jouissant même de l'excès de leur sottise. Car il a le sens de la caricature, de la déformations des individus par les tics, les travers et les circonstances. Il y a en lui de la vision de La Bruyère et de celle de Meredith, obscurcie par un brouillard de puérilité qui tient à la persistance inouïe de souvenirs d'enfance. Je le devine hanté par lui-même, parcouru de mille ruisselets venus de son ascendance et de sa prime jeunesse. S'il arrive à se guider, contenir, ordonner au point de vue littéraire, il écrira un beau matin, en marge de la vie, quelque chose d'étonnant. Ce n'est pas l'étoffe qui lui manque.
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Car Ugo Ojetti a le sens de la fumisterie extraordinairement développé, et c'est un garçon de beaucoup d'esprit et de perspicacité. Zola cherchant, de son nez bifide, ces documents humains et truffes romaines, eut l'idée de consulter Ojetti, qui lui composa, avec verve, une Ville éternelle de la plus haute fantaisie. « Je lui ai surtout soigné la société, sâvez, parce qu'il la voulait criminelle et entachée de toutes sortes de vices. Alors je lui ai composé oune plat dé poisones, troucidaciones, figues vénéneuses, champignonnes et autres, que tout lector s'en léchera les doigts... » Quand on a connu Zola comme je l'ai connu, on se le représente enregistrant à mesure les mélodramatiques inventions du brave Ojetti et assurant son lorgnon d'un doigt fébrile. Son premier mot, en débarquant à Rome, fut : « Introduisez-moi dans le monde noir... » Le monde noir!... L'effarant primaire voyait déjà un jésuite masqué, servant à une princesse le poison des Borgia dans une coupe ciselée, cependant qu'un prince aux yeux de feu rit derrière une tapisserie de cent mille lires. Voyant à qui il avait affaire, Ojetti lui en fourra jusque-là, et quand on sait dans quelles conditions Rome fut écrite, cet assommant fatras devient aussitôt du plus haut comique, comme un manuel du gobebourdes en déplacement.
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C'est Péan qui a inauguré les séances opératoires où le virtuose du couteau abat trois jambes, deux bras, désarticule deux épaules, trépane cinq crânes, enlève en se jouant une demi-douzaine d'utérus avec les annexes et quelques paires d'ovaires. Il fonctionnait en habit, en cravate blanche, assaisonnant sont travail de prestidigitateur tragique avec des coq-à-l'âne et des truismes effrayants. Je citerai notamment l'axiome célèbre : « Il vaut mieux dix pinces inutiles qu'une seul qui ne sert à rien » , et la formule coutumière : « Retirez-vous tous derrière, mâssieurs, car tout le monde est devant et ceux qui sont derrière ne vouaillent rien. » Au bout de deux heures de cet exercice, il ruisselait de sang et de sueur, les mains, ou plutôt les battoirs, rouges comme ceux d'un assassin, les pieds trempés de pourpre et toujours guilleret. On emportait les opérés coupacés et livides, en plusieurs tronçons, sur des brancards, à la queue leu leu, à la va-comme-je-te-pousse, les pinces brinque-ballant dans les abdomens ouverts, ainsi que des veaux ou des porcs. Seul Hogarth eût pu rendre cette panique du dépècement, ce massacre scientifique, qui tenait de l’étal, du supplice et de la course de taureaux. Les spectateurs non prévenus vomissaient. D’autres riaient stupidement. D’autres se sauvaient. D’autres s’évanouissaient. Je n’ai jamais vu, pour ma part, un tel amas de troncs, de morceaux et de moignons, un pareil hachis de viande humaine. Cela, vu l’imperfection du sommeil chloroformique, au milieu de soupirs, de sanglots, de hurlements de douleur, de cris pareils à des sifflets de locomotive et de streamer, du bruit des corps mous chus à terre en se contorsionnant. Ce jeu achevé, Péan lavait à grande eau ses abatis, se curait les ongles, se mouchait dans un bruit de tonnerre, bouchonnait les tâches écarlates de son plastron, de son gilet, de son pantalon et s'en allait à grande enjambées avec une mine de carnassier satisfait. Il avait accompli sa fonction ici-bas, qui était de trancher, d'ouvrir, de réséquer, de désosser et d'éventrer. « Je le tailladai, Dieu le guârit... » La vérité est qu'on ne « guârissait » pas beaucoup chez le terrible coupe-toujours.
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On peut toujours assembler des mots. La difficulté commence quand il s'agit de faire marcher ensemble les choses représentées par ces mots.
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Léon Daudet
Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Je dis, moi : "Comment réussir n’importe quoi sans la bonne humeur ?" Que les débutants en croient
mon expérience ; elle est la première condition du succès. Mon père appelait, dans ses meilleurs rêves, le
marchand de bonheur. J’appelle le professeur de bonne humeur. Quelqu’un qui me touche de près, et que
j’admire, répète aussi : "Les pauvres eux-mêmes devraient demander l’aumône en plaisantant, afin de ne
pas attrister les riches. Ils feraient des recettes beaucoup plus belles." »
< p.137 >
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