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EAN : 9782246114130
570 pages
Grasset (28/10/2009)
3.79/5   14 notes
Résumé :
De 1880 à 1930, ces souvenirs du grand artificier de L'Action française couvre un demi-siècle de vie artistique et politique : du naturalisme et de la décadence fin de siècle à l'entre-deux-guerres, avec un détour sur les routes sillonnées par la bande à Bonnot... Hugo, Clemenceau, Zola, Maupassant, Wilde, Poincaré et autres gloires défilent dans une incroyable suite de portraits, de caricatures, d'analyses et d'anecdotes. Proust jugeait ces Souvenirs " prodigieux "... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Colossal portrait de la société littéraire de la fin du XIXe et du début du XXe, les Souvenirs littéraires de Léon Daudet sont une entreprise unique dans l'histoire littéraire. Conçue en plusieurs volumes (Fantômes et vivants, Devant la douleur, L'Entre-deux-guerres, Au temps de Judas…), elle plante, par un nombre ahurissant de portraits ayant pour modèles aussi bien les plus sombres inconnus que les plus grands prosateurs de l'époque (Antoine, Courteline, Barbey d'Aurevilly (qui se dispute avec Alphonse Daudet), Pierre Loti ou encore Zola lui-même, qui zozotait), le décor des salons littéraires de ce temps. Traversant, comme dans une discussion interminable et mouvementée, des salons et des salons, narrant les événements cruciaux tels que la publication de la France juive ou l'enterrement de Victor Hugo avec une plume enlevée, un style bernanosien (on pense souvent aux meilleures pages de la Grande peur des bien-pensants en lisant Daudet) et une fougue barrésienne, romanesque, le fils Daudet déploie devant nous un roman littéraire national merveilleux et qu'il connaît comme sa poche. Moins réjouissants, les passages virulemment antisémites et bêtement germanophobes entachent le plaisir de lecture, qui n'est autre que celui que l'on a, parfois, à lire les anecdotes qui parsèment la grande Histoire. Et les pages sur la médecine et sur Charcot dans Devant la douleur valent le Céline de Semmelweiss !
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C'est Léon Daudet, fils d'Alphonse Daudet, qui nous raconte ses souvenirs à partir de sa vingtième année, aux alentours de 1885, jusque 1930 environ. Son style est génial, sa mémoire éléphantesque et l'on attend avec impatience qu'il parle de son prochain confrère. La grande spécificité de l'oeuvre, c'est que dès vingt ans Léon Daudet a eu accès à tout le gratin littéraire de l'époque, par son père. On ressent en lui un grand sensuel, qui aime la bonne chaire, assez emporté, mais très juste dans ses jugements. Je ne sais pas encore si je préfère ses coups de coeur ou ses coups de sang. Mon unique regret : ceux dont il ne parle pas ou très peu : Léon Bloy, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Charles Cros, ... (Certains de ceux-là sont mentionnés, mais rapidement). J'ai préféré la première partie (pour faire simple : l'avant-guerre), qui parle de tous ces écrivains et médecins, que la seconde qui est plus centrée sur les événements et les politiques.
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Jouissif.
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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
Nous avons beaucoup perdu en perdant Huysmans et Mirbeau. Huysmans était excellent et atrabilaire, compatissant et féroce, railleur et quinteux. Il ressemblait, avec son large front ridé, à un vieux vautour, désabusé et philosophe, perché sur l'huis de la misanthropie. Quand on lui demandait : « Que pensez-vous d'un tel ? » il répondait, le plus fréquemment, d'une voix lasse, en baissant ses yeux gris :  « Ah ! Quel déconcertant salaud !... » ou «  Quelle triste vomissure ! », ou quelque chose d'approchant. Le contraste de cet accent feutré, mitonné, semi-poussiéreux, et de ses affirmations péjoratives, était d'un comique irrésistible. Gourmet célèbre, chipoteur de petits plats, maudissant à bon droit la cuisine pour tous d’hôtel et de palace, l'auteur d'En route et Là-bas lançait un regard de bourreau chinois aux mets que nous présentait le serveur et murmurait entre ses dents : « Voilà une étrange mixture ! » Il en goûtait un peu, faisait la grimace, déposait sa fourchette, son couteau et riait pour lui seul, comme Bas-de-Cuir. Tout vin, selon lui, sentait « la vesse », ou « le crottin », comme tout fromage fleurait « le pied de pauvre » et toute sauce « la colle cadavérique » ou « l'encaustique à goût de sapin ». Il abondait en définitions gastronomiques, d'une exactitude vireuse et parfois tragique, qui plongeaient dans la consternation les maîtres d'hôtel. Il me déclara un jour qu'il n'appréciait que le pot au feu, idéal, sucré à l'aide des seules carottes, et le poulet uniquement au beurre. Ceci est d'un véritable maître. Je l'approuvais d'autant plus que mon enfance a été bercée par les recommandations, concernant le poulet rôti, de mon grand-père Allard, fin connaisseur : « Pas de jus, au moins ! Rien que du beurre ! »
Aussi fin gueule qu'Huysmans, Mirbeau considérait celui-ci comme un vieil enfant quinteux, petit-bourgeois et perdu dans son miroton et le Syllabus. Mirbeau n’entendait rien à la mystique, laquelle seule, vers la fin, intéressait Huysmans. Il s'entêtait à voir, dans la religion, une supercherie, ou une perversité mentale, ou une manière de gâtisme. Elle lui procurait une irritation anormale, que j'ai souvent remarquée chez les viveurs et les grands sensuels, et tenant sans doute aux obstacles tout moraux, mais dirimants, qu'elle met entre eux et leur désir. Mirbeau était un frénétique, capable des mouvements les plus généreux, incapable de se brider, de se contenir, et soutenant, en conséquence, qu'il est laid et vain de se contenir et de se brider. Il faisait malheureusement partie des déificateurs de l'instinct, du penchant prétendu irrésistible de la volupté sans frein. Il zézayait légèrement, rongeait ses ongles sans arrêt, et ses yeux railleurs devenaient dorés, comme ceux de certains basilics exotiques, sitôt qu'il se mettait en colère : « Il y a en lui du possédé », disait Huysmans, que ses emballements à transformations agaçaient.
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Le professeur Potain était l’antithèse vivante de Charcot. Il aimait les hommes d’un cœur ardent, infatigable et il voyait surtout dans son art un moyen de les secourir. Sa bonté raffinée s’étendait, de sa famille et de ses amis, à ses clients, à ses élèves, aux inconnus. Toutes les forces de son intelligence aux antennes innombrables étaient dirigées vers le soulagement des maux, souvent désespérés, pour lesquels on l’invoquait de tous les étages de la société, de tous les coins de France et d’Europe. Sa vie de savant, de chercheur, d’expérimentateur hors ligne était dévorée par les appels, les supplications, les larmes d’une multitude d’infortunés, déjà en route pour les sombres bords, dont il était la seule espérance. [...]

Je me rappelle, à la Charité, un malheureux atteint d’un énorme anévrisme de l’aorte, lequel avait rongé peu à peu la cage thoracique et battait sous la peau. Nous attendions, d’une minute à l’autre, l’issue fatale. M. Potain, chaque jour, passait une grande heure auprès de ce condamné. Il revenait dans l’après-midi s’informer de ses nouvelles. Il souffrait visiblement de son impuissance. Un après-midi, jugeant le moment terrible arrivé, par un beau soleil d’été qui tombait des hautes fenêtres dans la triste salle, il demanda de l’ouate et des bandes, emmaillota lui-même, avec des précautions infinies, le torse tremblant. Il achevait à peine, que ce pansement in extremis devint rouge comme une écharpe de toréador… et voici le maître qui serre avec amour, contre son épaule trempée de sang, la pauvre tête épouvantée et oscillante, lui fait ainsi franchir le grand passage.

Quand un convalescent bien minable s’apprêtait à quitter le service, M. Potain, au moment du départ, lui glissait un billet de cinq cents francs dans la main. S’il s’agissait d’une femme d’ouvrier, d’une mère de famille, c’était davantage. Ceci fait, il se sauvait à grandes enjambées, comme un voleur, sans écouter les remerciements, les balbutiements de la gratitude. Nous devions le suivre à la course. Sa voiture, entrant à l’hôpital, était accompagnée souvent jusqu’au fond des cours par quelque hâve et livide purotin, par une ménagère dépenaillée, auxquels il remettait un des louis dont il avait toujours, à même la poche de son gilet, une ample provision, à tout hasard. Nous nous demandions, avec mon cher ami Vaquez, interne dans le même temps que j’étais externe, quelles sommes notre patron distribuait ainsi du 1er janvier au 31 décembre ? C’était sûrement une petite fortune.
La chose se savait, les gens abusaient, car il y a du mauvais monde même parmi les pauvres, mais M. Potain se fichait bien que l’on se fichât de lui. Il se reposait en donnant et répondait aux observations de ses élèves par un « ah bah ! »… cette fois ironique.
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C'est Péan qui a inauguré les séances opératoires où le virtuose du couteau abat trois jambes, deux bras, désarticule deux épaules, trépane cinq crânes, enlève en se jouant une demi-douzaine d'utérus avec les annexes et quelques paires d'ovaires. Il fonctionnait en habit, en cravate blanche, assaisonnant sont travail de prestidigitateur tragique avec des coq-à-l'âne et des truismes effrayants. Je citerai notamment l'axiome célèbre : « Il vaut mieux dix pinces inutiles qu'une seul qui ne sert à rien » , et la formule coutumière : « Retirez-vous tous derrière, mâssieurs, car tout le monde est devant et ceux qui sont derrière ne vouaillent rien. » Au bout de deux heures de cet exercice, il ruisselait de sang et de sueur, les mains, ou plutôt les battoirs, rouges comme ceux d'un assassin, les pieds trempés de pourpre et toujours guilleret. On emportait les opérés coupacés et livides, en plusieurs tronçons, sur des brancards, à la queue leu leu, à la va-comme-je-te-pousse, les pinces brinque-ballant dans les abdomens ouverts, ainsi que des veaux ou des porcs. Seul Hogarth eût pu rendre cette panique du dépècement, ce massacre scientifique, qui tenait de l’étal, du supplice et de la course de taureaux. Les spectateurs non prévenus vomissaient. D’autres riaient stupidement. D’autres se sauvaient. D’autres s’évanouissaient. Je n’ai jamais vu, pour ma part, un tel amas de troncs, de morceaux et de moignons, un pareil hachis de viande humaine. Cela, vu l’imperfection du sommeil chloroformique, au milieu de soupirs, de sanglots, de hurlements de douleur, de cris pareils à des sifflets de locomotive et de streamer, du bruit des corps mous chus à terre en se contorsionnant. Ce jeu achevé, Péan lavait à grande eau ses abatis, se curait les ongles, se mouchait dans un bruit de tonnerre, bouchonnait les tâches écarlates de son plastron, de son gilet, de son pantalon et s'en allait à grande enjambées avec une mine de carnassier satisfait. Il avait accompli sa fonction ici-bas, qui était de trancher, d'ouvrir, de réséquer, de désosser et d'éventrer. « Je le tailladai, Dieu le guârit... » La vérité est qu'on ne « guârissait » pas beaucoup chez le terrible coupe-toujours.
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Marcel Proust déteste la campagne. Elle dérange en effet ses habitudes casanières, la claustration volontaire pendant laquelle il lit, rêvasse et réfléchit, échappant ainsi à l'abus que l'on ferait de sa trop grande obligeance et de son amicale émotivité. Nous nous sommes rencontrés, il y a de cela une vingtaine d'années, pendant une semaine, à l’hôtel de France et d'Angleterre, à Fontainebleau. Il restait enfermé toute la journée dans sa chambre, puis le soir, il consentait à faire avec moi une promenade en voiture dans la forêt, sous les étoiles. C'était le plus charmant, le plus fantaisiste, le plus irréel des compagnons, un feu follet assis sur les coussins de la Victoria. Mais, ne voyant pas ce que les autres voient, il voit des choses qu'eux ne voient pas, il se coule derrière la tapisserie et contemple le bâti et la trame, dût Hamlet le prendre pour un rat. Il s'est fabriqué, à l'aide d'une marqueterie de méditations sur le concert, un monde abstrait où il vit heureux, presque tranquille, séparé de tout et de tous par une sorte de cloison transparente.
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Ce brave Karl Marx est illisible et Kautsky aussi est illisible et Lénine lui-même, qui a fait scier, pendre, fusiller, déboyauter tant de gens, est une effroyable source d'ennui mêlé au sang. Quelle que soit la forme du collectivisme, il y a en lui un côté caserne, enrégimentement de l'esprit et du corps, servitude matérielle et mentale, dispensaire, distribution de paquetages, qui rebute le Latin que je suis et le passionné partisan de la liberté intérieure qui s'agite en moi, sous la reconnaissance, bien entendu, des effets et des causes. Les Robinsons de l'anarchie me paraissent fort supérieurs, humainement et inhumainement parlant, aux Ramollot et aux Ronchonnot de guerre civile, qui siègent dans les congrès du socialisme, quelle que soit la couleur de ce socialisme.
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