Je n'ai pas voulu être différente. Je désirais être exactement ce que les grandes personnes voulaient que je sois, pour qu'elles m'aiment. Je suivais toutes leurs règles en faisant de mon mieux pour leur plaire. Mais il y avait quelque chose chez moi qui leur faisait froncer les sourcils et se renfrogner. Personne n'a jamais mis de mots sur ce qui n'allait pas. C'est pour ça que j'ai eu peur que ce soit vraiment grave. J'ai seulement appris à en reconnaître la mélodie à travers cet incessant refrain :
- C'est un garçon ou une fille ?
J’observe les manifestations et les rassemblements depuis l’autre côté de la rue. Une part de moi se sent très proche de vous toutes, mais je ne sais pas si je suis la bienvenue à vos côtés. Beaucoup d’entre nous sont à l’extérieur de ces mouvements, mais ne veulent pas y rester. On est traqués et tabassés. On est en train de crever là-dehors. On a besoin de vous, mais vous avez aussi besoin de nous. Je ne sais pas ce qu’il faudrait pour changer vraiment le monde. Mais ne pourrions-nous pas nous rassembler et tenter de chercher ensemble ? Ne pourrions-nous pas élargir le nous ? N’y a-t-il pas moyen de nous aider les unes et les autres à mener nos batailles respectives, afin qu’on arrête d’être seules ?
- Corbeau, t'es un garçon ou une fille ?
- Croa, croa
J'ai rigolé et je me suis allongée sur le dos. Le ciel était d'un bleu profond. Je m'imaginais que j'étais couchée sur des nuages de coton blanc. La terre était humide dans mon dos. Le soleil était chaud, l'air était doux. Je me sentais heureuse. La nature me serrait contre elle et semblait ne me trouver aucun défaut.
Je ne dis pas qu'on verra une sorte de paradis de notre vivant. Mais le simple fait de se battre pour le changement, ça nous rend plus fort. Tu te demandes déjà si le monde peut changer. Essaie d'imaginer un monde dans lequel ça vaudrait le coup de vivre et demande-toi ensuite si ça ne vaut pas la peine de se battre pour ça...
La dernière fois que les flics l’avaient tabassée, elle avait failli en mourir. Jan avait entendu dire que Rocco avait pris des hormones et s’était fait opérer de la poitrine. Maintenant, elle travaillait comme un homme dans une équipe de construction. Jan disait que Rocco n’était pas la seule il-elle à avoir fait ça. C’était une histoire fantastique. Je n’y ai cru qu’à moitié mais elle m’a obsédé pendant longtemps. Peu importe à quel point ça pouvait être dur d’être une il-elle, je me suis demandé quel genre de courage il fallait pour quitter ainsi le sexe que tu avais toujours connu, et oser vivre aussi seule.
J’avais envie de connaitre Rocco. J’avais des tonnes de questions à lui poser. J’avais envie de voir le monde à travers ses yeux. Mais par-dessus tout, j’espérais qu’elle était différente de moi. Je craignais de voir mon reflet en elle.
Puis mes lèvres ont effleuré sa poitrine et un bruit s’est échappé de sa gorge. On s’est dévisagées l’une l’autre, ébahies. Elle avait un regard fixe, angoissé, comme un chevreuil dans la lumière d’une lampe torche. C’est là que j’ai compris que le sexe était quelque chose de très puissant.
Angie m’a saisie par les cheveux et a lentement tiré ma tête en arrière. Elle a approché sa bouche de la mienne, jusqu’à ce que je puisse sentir la chaleur de son souffle. Un gémissement s’est échappé de ma gorge. Angie a souri. Elle a ramené ma tête encore plus en arrière et elle a doucement fait glisser ses ongles le long de mon cou. J’ai senti une douleur de la taille jusqu’aux genoux.
Elle m’a embrassée à pleine bouche. J’avais toujours trouvé dégoutante l’idée que les adultes se lèchent la langue. J’en étais venue à penser que ce n’était sans doute pas vraiment ça qui se passait quand deux personnes s’embrassaient. Mais ce que faisait maintenant la langue d’Angie à la mienne a enflammé tout mon corps. J’ai attiré sa langue avec la mienne pour en avoir plus
Ed et moi on s’est retournées et on s’est regardées pendant un quart de seconde. C’était drôle, parce que c’était comme si on avait eu plein de temps pour se consulter. Les vieilles bulls m’avaient dit qu’il y avait des fois où c’était mieux de prendre ta raclée et d’espérer que les flics te laisseraient par terre quand ils en auraient fini avec toi. D’autres fois, ta vie ou ta santé mentale pouvaient être en danger alors il valait mieux essayer de riposter. C’était toujours une décision difficile.
Je suis allée à la fenêtre et j'ai regardé dehors, par-delà les monceaux de neige, en rêvant de pouvoir vivre toute ma vie une première fois comme entraînement, puis de revenir au début et tout recommencer.
Avant, je subissais la répression des inconnus parce que j’étais une femme qui transgressait une frontière interdite. Maintenant, ils étaient incapables de déterminer mon sexe, et c’était inimaginable et terrifiant pour eux. Femmes comme hommes, la terre s’écroulait sous leurs pieds quand je passais à côté d’eux. « C’était quoi, ça, bordel !?! » J’avais oublié à quel point c’était dur à encaisser. Mais je savais que je commençais une nouvelle phase de ma vie. J’étais dévorée par la peur et l’excitation.
Alors qu’elle descendait de l’estrade, j’ai pensé : c’est ça le courage. Ce n’est pas seulement survivre au cauchemar, c’est en faire quelque chose après. C’est être assez forte pour en parler à d’autres personnes. C’est essayer de s’organiser pour changer les choses.
Et soudain, mon propre silence m’a rendu malade à un tel point qu’il me fallait absolument prendre la parole moi aussi.
Je n’y ai jamais réfléchi comme ça. Mais je dois avouer que quand tu m’as dit pour toi et Johnny, la première chose que je me suis demandé, c’était : qui fait la fem au lit ? Frankie s’est penchée en arrière.
– Aucune de nous. Ce que tu voulais dire, c’est qui baise et qui est baisée ? Qui pilote la baise ? Et ça, ça n’a rien à voir avec le fait d’être butch ou fem, Jess.