La lecture du conte achevée, Violette ferma le livre et le posa sur la table de chevet.
— Raconte-moi encore une histoire, maman ! Une histoire avec pas de princesses dedans. Elles sont idiotes, les princesses ! J’adore pas ça, moi !
— Ah bon ? Et pourquoi les trouves-tu idiotes ?
Salsa la dévisagea d’un air compatissant.
— Mais... Maman ! Elles embrassent des crapauds !
— Ah oui ! sourit-elle. Tu as sans doute raison...
— Tu me racontes Happy Potter ? Ou Persil Jackson ?
Sa mère secoua la tête, faisant danser les longues mèches qui s’échappaient de son chignon.
Tout comme sa mère, Blues avait été charmée par cette bâtisse et n’avait éprouvé qu’un vague sentiment de tristesse à l’idée de quitter celle dans laquelle elle avait grandi. Et pour cause : dès l’instant où elle avait franchi ses grilles, il lui avait semblé que toutes les horloges du monde s’étaient arrêtées de tourner. Que la Terre elle-même avait pris une pause. Elle avait compris que ce lieu était spécial et qu’il renfermait une magie palpable, où toute notion du temps s’effaçait. Or, ce ressenti avait bien peu de choses à voir avec le simple fait que les vieilles demeures la fascinaient en général.
Le voyage se poursuivit ainsi, pénible et sans fin, jusqu’au moment où l’imposant manoir se refléta à la surface d’une flaque d’eau. Ses fenêtres à croisillons brillaient toutes d’une étrange lueur rouge. Isidore se hâta de fouiller ses poches à la recherche des clefs. Sauf qu’en relevant la tête, il ne vit rien de plus que le sentier qui se couvrait progressivement de brume. Une brume étrange, aux reflets vermeils. Il tournoya sur lui-même, en proie à une incompréhension des plus totales, et se remit en marche à travers les bancs de brouillard. Son sentiment de malaise redoubla. À présent, les rafales secouaient tant et si bien les troncs blanchis qu’elles menaçaient de les rompre en deux.
Elle sut dès lors qu’elle ne devait jamais plus venir ici et qu’elle y reviendrait toujours. Comme on rendrait visite à un être cher. Elle sut que cette maison lui ferait du bien et qu’elle la ferait souffrir. Qu’elle ne pourrait plus en aimer une autre ni se sentir chez elle ailleurs.
Elle la voulait.
Et ce n’était pas un caprice. Ce n’était pas même un rêve. C’était de l’amour.
Les gens qui pensent pouvoir tout contrôler sont fous.
Lucie avait eu moins de vingt-quatre heures pour boucler ses cartons. C'était trop peu pour emballer une vie entière, même quand on n'a que dix-sept ans.