Quand le psy me recevait, c'était toujours pour ne rien dire, mais c'était déjà en soi une bonne chose qu'il soit là : entre son bureau annexe au CHS, ses congrès que j'imaginais dans des paradis à palmiers plus volontiers que dans le Pas-de-Calais, ses conférences, ses vacances, ses RTT, je ne pouvais pas me plaindre des coups de fil qui tombaient en prime en plein milieu des vingt minutes de consultation. J'étais tellement "cachetonnée" que de toute façon je n'ai jamais compris comment il pouvait estimer mon état. Comment peut-on dire qu'un défoncé aux psychotropes va mieux ou plus mal ?
Par définition, le médicament est là pour modifier son psychisme. La chimie que j'absorbais masquait la réalité comme le Doliprane peut masquer le mal de gorge, ou la morphine, la douleur d'une jambe amputée. Si j'avais encore des idées noires ? Oui, mais comment peut-on aller bien dans un milieu psychiatrique, dans un milieu hostile, entouré de gens hostiles ou tout juste neutres ? Si je dormais bien ? Oui, forcément, d'un sommeil de plomb ! Sans rêves. Il paraît qu'empêcher de rêver crée des maladies mentales. Des études ont démontré que le rêve est tellement important pour l'équilibre psychique, que l'administration de certains somnifères et psychotropes supprime la phase REM (Rapid Eyes Mouvement) du sommeil pouvant créer de graves troubles psychiques, jusqu'à provoquer des maladies mentales.
Quand on n'est enfermé dans un asile le jour de son anniversaire, sans amis, on n'a plus d'âge.
Les gens qui rédigent le DSM sont très proches des laboratoires qui inventent une foule de jolies pilules colorées qui, toutes, peuvent soigner une ou plusieurs de ces maladies. Un dialogue parfois lucratif, avec des milliards à la clé. Pour la dépression, c'est-à-dire les idées noires, il y a plusieurs couleurs de pilules car cette maladie a un franc succès. Cela ne devrait pas s'arrêter puisque, selon moi, elle vient surtout d'un problème de société, de statut et des structure familiaux et professionnels, d'égoïsme et de sens perdu de la vie, un vrai mal contemporain. Quand les gens se parleront au lieu d'avancer tout droit la tête dans le guidon en ne pensant qu'à leur travail et aux achats qui les consolent de travailler, cela ira mieux.
Les "remèdes" inventés sans relâche par de multiples labos, j'ai tous pu les tester, avec l'absence totale de succès après trois mois de traitements réévalués régulièrement.
Si la cage rend l'animal fou que ne fait-elle pas à l'homme.
( Pierre Léger )
Pour moi, la dépression est la maladie du non-dit, de la non-révolte. Elle arrive quand, à force de supporter l'insupportable, un déclic fait qu'on n'a plus la force de se battre. Pour moi, ce fut l'avortement, qui fit aussi avorter tous des rêves.
Le problème, c'est qu'à ne pas déposer ses valises, on les fait porter aux autres.
J’étais incapable de laisser une place à autre chose qu’à mes idées noires, obsédantes, envahissantes, qui entraînaient ces gros sanglots dans lesquels je m’étranglais parfois en m’endormant.
-Personne n’apprend à marcher sans tomber !
Cette phrase me reviendrait souvent en tête, chaque fois que je trébuchais, chaque fois qu’une marche me semblait trop haute à monter. J’apprenais à essayer, et puis si je tombais, tant pis ! C’est fou ce qu’une remarque toute bête peut donner comme force !
-Avez-vous des idées noires ? m’a-t-il demandé.
Cette question du psychiatre à son patient qui vient de tenter de se suicider, je l’entendais pour la première fois de ma vie, mais je la réentendrais des dizaines de fois, des années durant. Elle aurait pu me faire sourire si je n’avais pas perdu tout humour au moment où je me trouvais face à ce monsieur très comme il faut. Je n’étais que nausées physiques mais aussi mentales, ce dégoût d’être encore là, de devoir affronter cette vie-là.
Petit à petit, l’idée m’est venue, je devais me rendre à l’évidence, je ne pouvais pas combattre des idées déjà toutes faites sur moi. Le reflet que je voyais dans leurs yeux me brisait. Il voulaient me calmer : je n’avais qu’à mourir. Pour arrêter mon supplice comme le leur, j’ai décidé d’avaler deux boîtes de Lexomil trouvés dans l’armoire à pharmacie. J’ai pensé que le cocktail Lexomil-Valium me ferait dormir longtemps, très longtemps. La paix, ils l’auraient, et moi aussi.