Lynne Matson

Skye a pressé ma main. Debout sur la pointe des pieds, elle m'a chuchoté à l'oreille :
- Comment par réfléchir, tu paniqueras plus tard. Je te dirai quand il sera temps de paniquer.
- D'accord.
Je lui ai retourné son sourire. Elle était une force de la nature, une force de Nil. Une fille courageuse, intelligente, qui avait presque détruit une île entière en trois mois, et la voilà qui était décidée à recommencer. Elle se sous-estimait. Mais moi, je ne la sous-estimais pas.

Chaque midi était la promesse de sang neuf, de fierté et de pouvoir. L'appétit de l'île était devenu insatiable. Autrefois, elle avait goûté à l'incroyable puissance de la vie et de la mort à grande échelle, elle en voulait encore. Elle en avait besoin, désespérément besoin.
Et elle l'aurait bientôt.
Le trophée d'aujourd'hui serait le pouvoir de demain.

Vis, elle m'avait dit.
Comment est-ce que je pouvais vivre sans elle?

Vis, elle m'avait dit.
Comment est-ce que je pouvais vivre sans elle?

- Et les pompes ? Tu as fait tes pompes ?
- Pas encore.
- Il faut leur consacrer du temps, Skye. Un corps fort te donne un esprit fort. Ne dédaigne pas tes disciplines uniquement parce qu'elles ne t'ont pas encore servi. Avec un peu de chance, tu ne t'en serviras jamais, mais mieux vaut prévoir le pire et espérer le meilleur.

Il n'y avait pas d'adultes. Seuls des adolescents recevaient le carton d'invitation pour cette boum, personne au dessus de dix-neuf ans. Nil de niveau primaire. On était un cran au-dessus de la bande de sa majesté des mouches.

Karl m'a annoncé la mauvaise nouvelle au cours de mon jour 6. Il me restait trois cent cinquante-neuf jours pour attraper une porte, ou les carottes étaient cuites. En d'autres termes : "Tu as trois cent cinquante-cinq chours pour attraper une porte, zinon tu meurs." Il a accompagné cette révélation fracassante d'un mouvement très visuel de gorge tranchée. Et quand je lui ai demandé des précisions, il a haussé les épaules. Sa réponse ? "L'île fa te prendre." Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à cette scène d'Indiana Jones où les Allemands ouvrent le coffre et tous ceux qui ont regardé à l'intérieur sont brûlés jusqu'au squelette. Peut-être que l'île me ferait la même chose. Je n'avais pas envie de le découvrir. Les autres non plus.

- Son journal disait très clairement que les portes ne prenaient qu'une seule personne.
- Et en sachant ça, tu as sauté à pieds joints dans une porte simple, stationnaire, sans savoir du tout si elle allait te griller ou t'amener ici ?
Je ne savais pas s'il fallait la faire interner ou la féliciter. Soit elle était folle, soit elle en avait dans le pantalon. Peut-être les deux. Elle a haussé les épaules.
- J'ai vu le chat suivre le garçon, et il a eu l'air d'aller bien. Alors je me suis dit que ça irait pour moi aussi.
Elle en a dans le pantalon.

Tu sais ce qu'a dit Maaka ? Que l'île ne mettait à l'épreuve que ceux qui avaient la force de survivre. Ça m'a paru débile, mais parfois, ça colle. Cela dit, ça ne garantit pas non plus la survie.

Fais attention, Skye. Et fais attention à ce que tu souhaites. Certains vœux pourraient se réaliser, et ça ne se passera pas comme tu le crois.

Je ne laisserais pas Nil me briser.

Je me suis arrêtée et j'ai posé mes mains tremblantes sur mes genoux. J'étais épuisée.
- Charley, sans vouloir te vexer, on dirait que tu vas t'écrouler. Si tu veux, je peux finir de te coiffer.
J'ai regardé sa main tendue, estomaquée. J'adorais qu'on me brosse les cheveux. Plus qu'être grattée dans le dos, plus qu'être massée, plus que tout. Et j'avais toujours rêvé de me faire brosser les cheveux par un garçon mignon. Thad venait de m'offrir mon fantasme secret sur un plateau tropical.

- A propos de Nil (le mot semblait étranger dans ma bouche), c'est quoi cet endroit ? Comment j'y suis arrivée ? Nous nous sommes éloignés du camp et le grondement de l'océan a faibli. Je faisais attention où on allait, je prenais mes repères. J'étais sur le point de repérer ma question lorsque Thad a répondu.
- Tu as déjà l'émission de télé-réalité Koh-Lanta ?
- Oui.
- Bon, ben, Nil est un peu comme ça, sauf que personne ne débarque avec un sac de riz et ne reçoit de lettres de chez lui. Et, bien sûr, on ne vote pas pour s'en aller.
Une fois de plus, je ne savais pas s'il était sarcastique.

J'ai prié pour réussir.
Et pour qu'elle réussisse.
Et pour qu'elle parvienne à vivre heureux de l'autre côté. Mais les contes de fées étaient bons pour les petites filles, pas pour les garçons de dix-sept ans qui s'autorisaient un peu d'espoir. Nil n'était pas une fée, c'était certain. Pourtant, j'espérais. Parce qu'il le fallait.

J'ai cligné des yeux... et le zèbre avait disparu. Super. Une hallucination, et il fallait que ce soit un zèbre. Je n'aurais pas pu rêver de Robert Pattinson ou, encore mieux, d'une rivière de boisson énergisante ?

- J'ai bien entendu ? Li est là depuis trois cent cinquante-quatre jours ?
- Oui, a soupiré Natalie. C'est atroce, hein ?
- Carrément. Est-ce qu'il y a quelqu'un qui est là depuis plus longtemps qu'elle ? Est-ce qu'il y a une sorte de Robinson de cinquante ans dans le coin, toujours à la recherche d'une porte ?

La façon dont on voit nos cicatrices naît d'un choix. Elles sont un gage d'honneur. Les marques du chemin qui a fait de toi la personne que tu es devenue.

Je m'attendais à ce que l'eau soit chaude, probablement parce que cette crique privée ornée de rochers noirs étincelants évoquait le paradis, et qu'au paradis il devait y avoir une piscine chauffée.

Skye était plus que le feu, plus que la glace.
Skye était l'arme atomique.

Quand on avait quitté Nil dix semaines auparavant, j'imaginais qu'on avait gagné. À présent, je n'en étais plus sûr.