On vit dans le chaos, 900 ! Tu t'attends à quoi ? À vivre une histoire sans encombre ? Tu ne peux pas ! C'est impossible ! Si tu attends que tout rentre dans l'ordre pour profiter de sa présence, tu feras la même erreur que moi ! Tu le perdras en réalisant tout ce que tu as manqué ! Tous les moments que tu as laissé filer ! Tout ce que tu as perdu ! Tout ça pour quoi ? Pour attendre le bon moment ? Ce ne sera jamais le bon moment !
Nous ne vivons qu'entre femmes, nous n'avons jamais vu d'hommes. Nous savons qu'ils existent et qu'ils sont les cinq cents survivants qui nous précèdent, mais il a toujours été défendu d'entrer en contact avec eux.
J'admire les lâches, tu sais. C'est la preuve de l'égoïsme le plus assumé. Il n'y a pas plus honnête qu'un lâche.
- Il y a au moins une chose positive dans cette réinsertion.
Camélia nous regarde tous, une lueur tendre dans les yeux.
- C’est que j’ai trouvé une famille
À ces mots, chacun de nous esquisse un sourire.
- Moi aussi, souffle Simon. Vous êtes ma famille.
Mon coeur loupe un battement, alors que je prononce ces mots qui sonnent tellement faux, alors qu'ils sont sincères :
- Je vous déteste
Noone reste un long moment silencieux, avant de soupirer, fort, et de murmurer :
"Moi aussi... Shaï. Moi aussi."
Le Conseil m'a contactée il y a quelques jours. La réinsertion a été un échec. Bien entendu, nous y mettrons un terme d'ici un mois environ. Les membres des générations n'ont pas trouvé d'entente, il faudra les éliminer un par un.
Il pourra construire sa vie. Une famille. Mais loin de moi… À des milliers de kilomètres peut-être. Ou alors juste à côté. Peut-être sera-t-il près de moi un jour sans que jamais je le sache… ? Dans dix ans, il traversera une rue que j'aurai tout juste foulée quelques minutes plus tôt. Peut-être boira-t-il un café avec sa femme, dans un bar, au milieu de nulle part, quelques heures après moi. Peut-être sera-t-il à quelques mètres de moi, sans que je ne puisse jamais le voir. À un concert, lui, quelques rangs plus loin, en vacances, avec ses enfants, dans un hôtel, à quelques étages de moi. Dans une ville, à l'autre bout du monde. Dans un avion, un train, dans un restaurant, un parc, sur une plage… Comment pourrais-je me retenir de regarder partout autour de moi pour le restant de mes jours ?
Il cherche seulement à justifier ses actes monstrueux, il attend peut-être notre pardon.
Tout ça n'est qu'un ramassis de conneries !
Vouloir un monde meilleur ? Nous utiliser ? Pour quoi ? Pour nous rendre plus dociles ? Plus tolérants ? Comment peut-on imposer la tolérance ?
Je traverse les quartiers les plus chauds de New York, avec l’envie inconsciente de faire une mauvaise rencontre, cherchant le défi, la confrontation, espérant provoquer l’intérêt d’une brute à la recherche d’une proie. La frustration et la colère m’étouffent, mes poings me démangent, ma gorge me brûle d’un besoin irrépressible de crier. Et c’est ce que je fais. Je hurle. Mon cri, fort et désespéré, résonne dans les rues, brisant un silence de mort. L’écho s’évade, se fait lointain, avant de s’évanouir dans la nuit, comme une douleur appartenant au passé. Elle est pourtant toujours là, ancrée dans un présent que je ne peux défaire.
Et à cet instant, je ne peux m'empêcher de songer au chaos qui avait sûrement précédé notre propre réinsertion. Des cadavres gisaient peut-être au sol quelques jours auparavant, à l'endroit même où j'avais pris mon chocolat chaud, mon premier jour en ville. Des cris, des pleurs, d'ultimes inspirations avaient sûrement résonné à quelques cenaines de mètres d'ici, dans l'hôtel de ville, la veille, peut-être une semaine avant notre arrivée.