« Ô ma charmante amie ! lui dit-il, n’oubliez jamais un homme qui a pu passer tant d’heures auprès de vous et réprimer une ardeur dont l’objet et la vivacité lui offroient une excuse si naturelle. Je vous aime ! vous l’ignoriez ; il m’est doux de vous le dire, de vous le répéter ! Oui, je vous aime, je vous adore ! combien il m’en a coûté pour vous le taire si longtemps ! je m’applaudis de vous avoir respectée : plus mes désirs étaient grands, plus l’innocence et la sensibilité de votre cœur me présentoient l’idée flatteuse d’un triomphe assuré ; plus la victoire que j’ai remportée sur moi-même est satisfaisante : si vous croyez devoir quelque retour à ma tendre, à ma solide amitié, accordez-moi la récompense d’un effort si difficile, d’une retenue si constante ; cessez de vous affliger, dissipez cette tristesse cruelle où vous vous livrez, que je n’en aperçoive plus de traces dans ces yeux chéris. Ah ! vous le savez, tout mon bonheur dépend d’être sûr de celui d’Ernestine » ! (Indigo, p.84-85)
Les dons de l'amitié n'avilissent jamais. (Indigo, p.81)
Mlle Duménil entra alors dans des détails nécessaires à ses desseins, s’étendit sur la façon de penser libre et inconséquente des hommes ; sur la contrariété sensible de leurs principes et de leurs mœurs. « Ô ma chère amie, vous ne les connaissez pas, lui disait-elle ; ils se prétendent formés pour guider, soutenir, protéger un sexe timide et faible : cependant eux seuls l’attaquent, entretiennent sa timidité, et profitent de sa faiblesse : ils ont fait entre eux d’injustes conventions pour asservir les femmes, les soumettre à un dur empire ; ils leur ont imposé des devoirs, ils leur donnent des lois, et par une bizarrerie révoltante, née de l’amour d’eux-mêmes, ils les pressent de les enfreindre, et tendent continuellement des piéges à ce sexe foible, timide, dont ils osent se dire le conseil et l’appui. » (Indigo, p.70)
Oui, sans doute : le faste et la richesse ne me conviennent point ; cet éclat emprunté peut fixer les regards sur moi, rappeler ma première situation, porter l'envie à me la reprocher : que sais-je ! peut-être n'est-il pas permis au pauvre de s'élever ; l'obscurité, la vie simple et active est peut-être son unique partage : en subsistant des bienfaits d'un ami, tout ce qu'on accepte au-delà de ses besoins peut être ridicule et méprisable. (Indigo, p.60)
Henriette ne quitta pas Mme Dufresnoi pendant sa maladie ; et quand il en fut temps, elle arracha la désolée Ernestine d'auprès de son lit, la conduisit chez sa parente, et s'enferma avec elle dans son appartement. Elle laissa couler ses larmes, en répandit aussi, et lui accorda cette douceur nécessaire à un cœur affligé, cette liberté de se plaindre, de gémir, que des consolateurs insensibles ou maladroits croient devoir gêner, restreindre, nous ôter même ; ce zèle approche de la dureté : une tranquille raison, de vains discours, de froides considérations, blessent une âme accablée du poids de sa douleur. Hé ! d'où vient, hé ! pourquoi vouloir persuader à un malheureux que le trait dont il se sent déchiré doit à peine laisser des traces de son passage ? (Indigo, p.31-32)
Elle reçut une éducation simple, apprit à chérir la sagesse, a regarder l'honneur comme sa loi suprême ; mais vivant très retirée, ses idées ne purent s'étendre ; elle n'acquit aucune connaissance du monde, et conserva longtemps cette tranquille et dangereuse ignorance des vices, qui, éloignant de notre esprit la crainte et la triste défiance, nous porte à juger des autres d'après nous-mêmes et nous fait regarder tous les humains comme des créatures disposées à nous chérir et à nous obliger. (Indigo, p.29-30)