Mario Escobar Golderos

Parfois, les personnes amnésiques reconstituent leurs souvenirs différemment. Je crois que vous avez mélangé vos souvenirs avec ce qui est arrivé dans ce chalet il y a quelques années. Il est vrai qu’une famille a été torturée ici, mais il y a déjà cinq ans de cela.

Sa carrière était en jeu, mais elle s’en moquait ; ce qui la tourmentait réellement, c’était de savoir ce qui avait bien pu advenir de la famille de la patiente. Elle savait où se trouvait le chalet, elle devait y arriver avant les tueurs.

Les gens commettent un crime épouvantable, mais ils ne peuvent pas le supporter et s’imaginent une réalité parallèle. Jetez un œil au rapport du docteur Sullivan, dit-il en le déposant sur la table.

Ses sentiments se mélangeaient, la rage, la haine et l’espoir bataillaient dans son esprit tourmenté. Elle choisit de continuer à vivre. D’abord pour sauver ses enfants, mais aussi pour se venger. Elle n’avait jamais cru que la vengeance fût la meilleure des options pour affronter la vie, mais quand quelqu’un vous ôte le bonheur avec autant de cruauté, la haine semble la meilleure réponse pour rétablir l’équilibre du monde.

- Alors, pourquoi t’es-tu enfuie avec la tueuse ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?



- Tu essaies de me tirer les vers du nez ? C’est le shérif qui t’envoie ? La ruse est pathétique.


Son jeu ayant été découvert, la femme rougit et quitta la salle ; Sharon entendit la serrure tourner et se laissa tomber sur une chaise. Elle devait connaître le fin mot de cette histoire, mais pour ça, elle devait retrouver la patiente.

Elle était faible, perturbée et très en colère. Elle avait sauvé la vie de la patiente plus de deux fois cette nuit-là. Elle avait tout risqué pour elle, et elle la remerciait en l’assommant et en lui volant son uniforme. Pour couronner le tout, elle ne savait pas par où elle était partie. Le chalet se trouvait quelque part près d’un lac, de l’autre côté de la frontière, mais ça pouvait être n’importe où.

Les êtres humains décident souvent de reprendre la voie du bon sens quand il est déjà trop tard, et la vie semble leur filer entre les doigts, comme un château de sable.

Il l’allongea sur le canapé, lui ôta son chemisier et son soutien-gorge, puis la contempla quelques secondes, comme s'il dévorait un dessert des yeux avant de l'engloutir. Il enfouit son visage dans les cheveux propres et frais de Victoria, tandis qu’elle réfléchissait à la façon dont elle pourrait atteindre le couteau et faire sortir sa famille du chalet aussi vite que possible.

Elle savait que, parfois, il valait mieux se laisser porter par le courant en attendant l’occasion de fuir. Elle essaya de supporter ses assauts aussi passivement que possible. L’important, c’était d’avoir un plan pour sauver sa famille. Si elle devait se sacrifier pour eux, elle n’hésiterait pas un instant.

Nous sommes des gens raisonnables, nous veillons à la bonne marche de nos affaires, et éliminer une famille d’Européens dégénérés ne fait pas partie de nos projets. Nous n’avons aucune envie que les fédéraux et les flics canadiens viennent fourrer leur nez dans le coin. Avant, c’était un endroit tranquille, les gens se mêlaient de leurs affaires et tout le monde était content. Mais ce sont les gens comme vous qui viennent balayer tout ce qu’il reste de bon dans ce coin paumé. Vous venez chercher des émotions fortes pour échapper à votre vie quotidienne. On va vous en donner des émotions. Comptez sur nous.

Tout le monde pensait qu’elle simulait, qu’en vérité, elle ne voulait pas s’occuper de ses enfants et assumer ses responsabilités. Ses parents agissaient comme si elle méritait ce qui lui arrivait. Elle n’avait jamais répondu à leurs espérances ; elle n’avait pas été une fille exemplaire, elle n’était pas non plus devenue la professionnelle indépendante et performante qu’ils attendaient ; en plus, elle avait épousé un noir machiste, musulman et coureur de jupons.

Il y a longtemps, elle avait déçu la personne qu’elle aimait le plus au monde. Depuis, elle avait vécu dans l’inertie, se laissant porter par les circonstances, en portant le lourd fardeau de la culpabilité, de la peur et de la mort. La seule façon de se libérer, c’était de s’amender de ses erreurs, et c’est pour cela qu’elle était entrée dans la police.

Les paroles de l’homme lui ôtèrent le peu de calme qu’il était parvenu à reprendre. Il suivit Timothy jusqu’à sa voiture et pria pour que rien ne soit arrivé à sa famille. Il ne pouvait pas les perdre, et si quelque chose leur arrivait, il ne se le pardonnerait jamais.

Ces foutus contrebandiers bousillent notre région. Comprenez-moi bien, il y a toujours eu de la contrebande aux frontières, c’est normal, mais ce que ces gens font entrer au Canada, ce n’est pas précisément du tabac ou de l’alcool. Il cracha par terre, mit son fusil en bandoulière et l’invita à entrer chez lui.

Il avait reçu une éducation privilégiée, alors que la plupart des gens de son pays vivaient dans l’indigence ou la pauvreté ; il avait ensuite suivi ses études en Europe, il avait vécu des années merveilleuses pendant lesquelles il avait fait de belles rencontres, profité de la vie et, par la suite, emménagé avec Victoria. Les enfants avaient toujours été une source de conflits, lui était plus autoritaire tandis qu’elle trouvait toujours une bonne excuse pour lever une punition ou pardonner les bêtises de ses enfants.

Ils avaient eu une vie heureuse, mis à part les crises de son épouse, mais il savait que ce qui l’attendait serait la pire partie de sa vie. Dans quelques années, ses forces le quitteraient, son pouvoir de séduction disparaîtrait et, pire encore, la maladie de sa femme s’aggraverait. Les médecins lui avaient clairement annoncé, bien qu’elle eût refusé de l’accepter, que son état empirerait d’une année sur l’autre, qu’elle s’affaiblirait, que ses crises seraient plus intenses et nombreuses au fil du temps, et qu’elle passerait les dernières années de sa vie alitée.

Elle avait besoin d’un verre pour se détendre. Ensuite, elle attendrait. Ce cauchemar allait bientôt cesser et ils pourraient rentrer chez eux. Les vacances, elle en avait soupé.

Il y a des choses qu’on n’oublie pas. J’étais peut-être amnésique, mais quand je les ai entendues, je les ai reconnues.

Elle ne savait que faire. Une partie d’elle pensait qu’il était absurde que le shérif fût mêlé à une histoire pareille. C’était l’un des hommes les plus respectés de la ville, il avait consacré toute sa vie à la justice et il était sur le point de prendre sa retraite. Quel intérêt avait-il à poursuivre une famille de touristes ? Pourquoi irait-il menacer de tuer des enfants innocents ? Que diable cette femme pouvait-elle savoir pour être impliquée à ce point ?

La femme le regarda et, pendant un instant, se sentit la plus heureuse du monde. Tous les moments de tension, les disputes et la maladie, qui l’avait tellement ralentie ces dernières années, n’avaient plus d’importance.