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Citations de Mario Tronti (26)


Mario Tronti
Soit la pensée utopique parvient à être pensée critique antagoniste de chaque jour, soit elle risque de devenir une philosophie du dimanche consolatrice.
(« Disperate speranze » novembre 2019)
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Il y a derrière ce discours, en arrière-plan, une figure, un peu hégélienne et un peu nietzschéenne, que j'invite à fréquenter, comme l'on fréquente un ami dans un monde ennemi. C'est le Freigeist, l'esprit libre, une figure du vingtième siècle, qui a trouvé une suite dans le principe espérance de Bloch, dans la conscience du prolétariat du jeune Lukács, dans le communisme théologique de Benjamin, dans l'eschatologie de Taubes, dans la fin de l'histoire de Kojève. Et j'ajouterais : dans le soldat bolchevique qui, baïonnette au canon, prend d'assaut le Palais d'Hiver, dans le partisan condamné à mort de la Résistance écrivant sa dernière lettre, dans l'ouvrier de l'usine taylorisée qui saute une carrosserie sur la chaîne de montage, dans la femme qui prononce ces mots imprononçables : révolution féminine.
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Notre problème c’est notre passé. C’est sa continuité que nous retrouvons dans les diverses formes du présent : ces formes que nous choisissons, à chaque fois, comme notre présent.
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Aucune pratique de réforme n'avance si elle n'est pas accompagnée, nourrie, soutenue par une pensée de la révolution. Les réformistes ne le comprendront jamais. Et c'est pourquoi ils ne vaincront jamais. Nous avons appris que cela vaut pour les réformes au sein du capitalisme comme au sein du socialisme.
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Mario Tronti
Le futur immédiat est tout entier aux mains de ceux qui commandent aujourd’hui : il faut le leur arracher.
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Comprendre mon vingtième siècle – je préférerais dire le nôtre, si je voyais encore debout mon camp, perdu -, en tout cas comprendre coûte que coûte : nous voilà revenus au point central. Dans mon siècle, il n’y a pas que la guerre, la crise, la terreur et la mort, il y a la révolution, l’acte révolutionnaire libérateur, qui naît en un point déterminé, pas particulièrement favorable pour les sujets agissants, et qui aurait par conséquent la nécessité de s’étendre au-delà de ce point, pour réaliser « bientôt » la perspective de renversement d’une forme sociale et politique. Encore une fois, rien de totalement ou d’abstraitement nouveau mais plutôt l’inversion de la puissance et de l’ordre précédent : par le Magnificat, élever les humbles, renverser les puissants. Le communisme, tout de suite : qui n’a pas dit, lui, au moment de sa chute : « je reviens bientôt ». Peut-être parce qu’il n’est pas monté au ciel mais a plutôt été jeté en enfer. Les damnés ne reviennent pas. Les saints non plus d’ailleurs par les temps qui courent. Y aura-t-il une résurrection pour la révolution? Tel serait le salut. Mais c’est précisément là que se trouve le « ne te sauve pas » qui n’est plus seulement l’apanage des vainqueurs, mais aussi d’une grande partie des vaincus. L’analogie doit être déplacée depuis le bas de l’échelle des dominés jusqu’aux dominants, tout en haut, de l’Avent au Carême, qui est l’attente du crucifié, mais aussi du ressuscité. L’experimentum crucis du vingtième siècle – l’événement, littéralement – n’est pas seulement semblable, il est identique, pour peu que l’on veuille flirter avec les termes théologiques, au mécanisme décrit par le Grand Inquisiteur. La réalisation de l’acte révolutionnaire n’est pas possible ici et maintenant s’il ne se réalise pas aussi là-bas, partout, demain. Le communisme futur a besoin d’un socialisme présent. L’expansion du socialisme doit passer par le socialisme dans un seul pays. Il faut réaliser cette étape.

Le « socialisme réel » a signifié ceci : construire une structure politique, idéologique, institutionnelle, semblable au modèle de l’institution Église, pour administrer le temps de l’attente, cette attente de la révolution mondiale. Naît alors la forme de pouvoir de l’État de part et du parti d‘État : pour mener la guerre à ceux qui veulent, depuis l’extérieur, briser l’Acte révolutionnaire, pour organiser la terreur contre ceux qui le contestent depuis l’intérieur, pour mobiliser les énergies totales des masses, constructrices de la forme alternative, pour apprendre pédagogiquement aux masses encore victimes de l’ancienne forme à s’émanciper, à se sauver.

Nous voyons se former autour de l’idée de salut une dialectique tragique entre le plus grand désir de liberté et la plus grande réalisation de l’Oppression. Un mécanisme systémique s’y déclenche, qui conduit au retournement de la perspective émancipatrice en son exact contraire. Il faut alors se demander si cela est suffisant pour élaborer une critique de l’idée même d’eschatologie messianique, critique des fins ultimes, de l’objectif ultime, critique du concept d’historia salutis.
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Qui sont les esprits asservis? Ce sont ceux qui pensent comme les idées dominantes de leur temps, qui ont toujours les idées des classes dominantes de leur temps, qui ont toujours les idées des classes dominantes, qui attendent qu’elles pensent pour eux. Mais ce n’est pas aussi simple. Les esprits asservis ont des objections justes sur lesquelles ils attirent l’attention de l’esprit libre. Il faut être disposés à les écouter. Ils reconnaissent, avec bon sens, l’origine de la parole libre dans le « désir de surprendre », la cause de l’action libre dans le désir de se faire remarquer, en montrant son incompatibilité « avec la morale asservie ». « Travers et exaltation de l’esprit » : est-ce donc cela que la liberté de l’esprit? Oui, elle peut aussi être cela : lorsqu’elle n’est qu’un choix individuel, une provocation voulue, une exagération exclamée, épater le bourgeois. Il ne faut jamais oublier que les esprits sont asservis, non parce qu’ils n’ont pas voulu être libres, mais parce qu’ils n’ont pas pu. Ils ont été formés, instruits, éduqués, à l’exercice de la servitude volontaire. L’asservissement est imposé en recouvrant de poudre d’or les barreaux d’acier de la cage. Telle est l’obligation politique démocratique. Tel est notre nouveau problème. L’esprit libre ne doit pas croire qu’il se situe en-dehors, il doit savoir qu’il est là, à l’intérieur, avec eux. Ni au-dessus, ni à part, mais au milieu. Ni fuite du monde, ni reddition : il doit apprendre à marcher sur cette corde raide, sans filet, en regardant devant lui. Et donc, ne pas condamner, ce qui serait l’option éthique, mais libérer, ce qu’est l’action politique. Serait-il vrai qu’en se libérant soi-même, on libère la multitude? Non, ce n’est pas vrai. Pas plus qu’il n’est vrai que le prolétariat, en s’émancipant lui-même, aurait émancipé toute l’humanité. Lutter, sans avoir besoin de l’espoir que l’on puisse vaincre définitivement l’ennemi : telle est notre condition actuelle. Nous n’avons pas le choix. Nous y avons été portés par le raz-de-marée de l’histoire. L’expérience peut nous rendre sages, pour l’instant elle nous a seulement rendus cyniques. Et c’est bien comme ça.
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La tradition, c’est la préservation du feu et non l’adoration des cendres.

Gustav Mahler
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La caractéristique du passé est de n’être jamais entièrement mort. Il reste toujours une vitalité – l’énergie, encore une fois – non éteinte, qui possède en puissance une vie ultérieure, tendue vers une action rédemptrice. [...]

Et il n’y a qu’un danger pour Benjamin : accepter d’être l’instrument, parfois même inconsciemment, de la classe dominante. Et puisque, comme nous l’a enseigné Hölderlin, là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve, alors « à chaque époque, il faut chercher à arracher de nouveau la tradition au conformisme qui est sur le point de la subjuguer ».

Le passé est un champ de bataille entre les forces qui luttent pour la possession du présent. Il y a un retour du style antiquisant dans l’imaginaire révolutionnaire moderne : la Rome antique revient dans la Révolution française, jusque dans le temps du calendrier et la mythologie religieuse. Thèse XVIIa :

Il n’existe pas un seul instant qui ne porte en lui sa chance révolutionnaire [...]. Pour le penseur révolutionnaire, la chance révolutionnaire propre à chaque instant se vérifie dans la situation politique. Mais elle se vérifie non moins par le pouvoir d’ouverture de cet instant sur un compartiment bien déterminé du passé, jusqu’alors fermé. L’entrée dans ce compartiment coïncide strictement avec l’action politique. (trad. de Michaël Löwy dans Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des Thèses « Sur le concept d’histoire », Paris, PUF, 2001, p. 114)
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La révolution des femmes est le paradigme essentiel du vingtième siècle, qui traverse, décline, plie, utilise, confère un sens, donne langage à toutes les autres formes de transformation. L’émancipation l’a emporté, la libération a perdu. L’émancipation de la femme a émancipé l’humanité toute entière : en Occident. Mais l’émancipation, seule, non libre, peut aussi bien enchaîner à nouveau. La femme moderne, égale de l’homme obsolète, ne monte pas, elle descend l’échelle de la liberté. Au fur et à mesure du siècle, l’émancipation de la femme s’est développée en sens contraire de la différence féminine. Tout comme le développement de la démocratie est allé dans le sens contraire des libertés de la personne. La libération résidait dans la différence. La conquête de la liberté, marquée du sceau de la différence, a abouti sur un autre chemin interrompu. La révolution des femmes est l’une des révolutions manquées du vingtième siècle.
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Cette chose simple, difficile à faire, qu’est le communisme a le devoir politique, et pas seulement l’exigence éthique, dans la critique du Moderne, de soustraire l’idée de liberté à l’horizon bourgeois, en laissant au capitalisme sa démocratie.
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La révolution ouvrière (russe) n’était pas un événement eschatologique, elle ne préparait aucune recette pour la cuisine de l’avenir, elle était une tentative, désespérée et réussie, de freiner un présent terrible et envahissant, d’arrêter la guerre, de trouver un remède à la faim des paysans, une réponse au labeur exploité des ouvriers. Dans les conditions du capitalisme de l’époque, elle était un « saut du tigre dans le passé ». C’est pour cela qu’elle eut lieu en Russie et non en Angleterre, et encore moins en Amérique. Au plus profond de l’âme russe étaient déjà inscrits les signes d’un moment apocalyptique. Là-bas, la révolution ne connaissait alors aucune alternative.

[Les révolutions] n’ont pas modifié la structure du monde, mais elles ont déposé en lui – comme une marque indélébile – un sens de la vie, une idée de l’histoire, une pratique de la politique, à disposition des forces alternatives pour leur projet de transformation, quand il adviendra, s’il advient, et qu’elles-mêmes reconnaitront. [...]

Et l’héritage que l’on peut reconnaître dans l’échec de tous les soulèvements révolutionnaires du siècle dernier, de la révolte de la jeunesse à la révolution des femmes, c’est la nécessité de maintenir dans l’acte de rupture avec le passé le rapport avec la tradition. La tradition n’est pas le passé, mais ce qui du passé reste entre nos mains comme irréductible au présent.
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« Quelle est la position de l’esprit libre à l’égard de la vie active? Il tient à elle par un lien léger, n’en est pas l’esclave ». C’est justement ce rapport qui n’a pas eu lieu. Le fainéant actif est obsédé par le futur, le laborieux contemplatif est rassuré par le passé.

L’esprit qui s’est libéré de la condition d’esclave de la vie active imagine ce que deviendra le passé, « devant ceux qui ont derrière eux tout le processus de libération ». Ceux qui furent les voyants et les guides du siècle dernier sont pour nous autres survivants les interprètes du passé. Et, une fois interprété, le passé est l’acte qui subvertit le présent plus que n’importe quel futur imaginable.
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En somme, politique et spiritualité signifient apprendre à savoir évoquer le souffle de l’Esprit pour mettre le monde en désordre. Mettre en désordre par le haut et par le bas, par la pensée et par le conflit. Les « spirituels » étaient toujours hérétiques, les ordres spirituels naissaient pour contester l’ordre hiérarchique. Nous devrons repartir de là. Mais quand Jésus ressuscité s’apprête à quitter ses disciples, il leur dit : recevez l’esprit, qui descendait sur leurs têtes. Voilà un legs, inutilisé, qui est encore entre nos mains. Il disait vraiment : recevez l’Esprit Saint. Peu nous importe qu’il saint, il nous suffit qu’il soit esprit.

Il y a derrière ce discours, en arrière-plan, une figure, un peu hégélienne et un peu nietzschéenne, que j’invite à fréquenter, comme l’on fréquente un ami dans un monde ennemi. C’est le Freigeist, l’esprit libre, une figure du vingtième siècle, qui a trouvé une suite dans le principe espérance de Bloch, dans la conscience du prolétariat du jeune Lukacs, dans le communisme théologique de Benjamin, dans l’eschatologie de Taubes, dans la fin de l’histoire de Kojève. Et j’ajouterais : dans le soldat bolchevique qui, baïonette au canon, prend d’assaut le Palais d’Hiver, dans le partisan condamné à mort de la Résistance écrivant sa dernière lettre, dans l’ouvrier de l’usine taylorisée qui saute une carrosserie sur la chaîne de montage, dans la femme qui prononce ces mots imprononçables : révolution féminine.
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Je vois dans cette revendication d’existence de l’esprit libre une forte et profonde charge antagoniste à l’encontre de l’actuelle organisation de la vie. Il me semble parfois qu’il s’agit de l’ultime et définitive frontière de la face à l’agression du monde extérieur considéré, comme je le considère, comme un monde ennemi : et le premier, le plus profond, incisif et efficace point culturel d’attaque à son actuel ordre de sens, à la domination démocratique présente sur les consciences.

Je le répète. Il faut faire attention à ne pas considérer la spiritualité comme un bien-être intérieur, une attention à soi pour trouver l’harmonie avec le monde. Ce n’est pas une salle de spart où s’exercer à la gymnastique de l’âme. Ce n’est pas non plus le De tranquilitate animi du philosophe. Elle doit être cor inquietum, ou rien. Inquiétude, non pas à propos de soi, mais du monde, et à propos de l’homme dans le monde. Dès que tu rentres en toi-même, comme le conseillait justement Saint Augustin, tu te trouves en conflit avec une grande partie de ce qui t’entoures, parce que ce sont deux réalités inconciliables qui te sautent aux yeux.

Être en paix avec soi-même veut dire entre en guerre avec le monde.
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Qu’est-ce donc, pour moi, que la spiritualité? C’est fondamentalement une intériorité, c’est le monde intérieur de l’être humain, décliné de manière duelle, au féminin et au masculin, comme deux modes différents, complémentaires et conflictuels. C’est une culture de soi, non pour soi, mais contre le monde. Non pas fuga mundi, ce qui n’a jamais été le cas pour le monachisme, mais présence dans le monde, inattaquable depuis l’extérieur. Une sorte de vallu, construit comme défense, depuis lequel on peut dire : vous ici, avec vos idées, vous ne m’aurez pas, et à partir duquel lancer des expéditions pour attaquer les assiégeants. La guerre est une devenue guérilla. Même la guerre de la pensée, la seule qui vaut la peine d’être menée.
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Marx avait prévu une prolétarisation croissante. Nous avons connu une bourgeoisification croissante. Ce ne fut pas une erreur scientifique, ce fut une erreur politique. Marx cherchait une force, non pas pour contester le capitalisme, encore moins pour l’améliorer, mais pour l’abattre. Il la voyait dans la multitude prolétaire, dont l’industrialisation aurait fait grossir les rangs, la transformant, après avoir neutralisé l’armée de réserve, en une classe organisée, hégémonique/dominante. La Révolution industrielle – l’industrialisation accélérée – crée l’illusion d’optique de conditions toujours plus proches de la révolution politique. Dans les années soixante du vingtième siècle, notre opéraïsme a commis la même erreur politique. Mais ce sont des erreurs bénéfiques, parce qu’elles mobilisent l’intelligence des événements pour comprendre politiquement les processus structurels. Ensuite, l’analyse scientifique peut repartir, non pas comme froide analyse de cas, mais comme découverte des nouvelles conditions du conflit.

Il nous a été donné de vivre le passage de l’ouvrier-masse au bourgeois-masse. J’insiste sur ce point, au risque de répéter ce que j’ai déjà dit. Nous sommes face à une composition sociale formée de petits, moyens et grands bourgeois, avec une tendance, venant du haut et du bas, vers le milieu, avec des zones de marginalisation et d’exclusion, minoritaires en Occident, majoritaires dans le reste du monde. Mais avec une forte propension, de masse, à s’inclure plutôt qu’à se disloquer contre le dehors. Voilà ce que nous dit l’approche réaliste, non idéologique. Le processus trouve encore ici devant lui le chemin tout tracé de l’absence d’opposition politique, qui dénonce l’état de choses, décrit la situation réelle, identifie l’ennemi à combattre et élabore les moyens, les formes pour le vaincre. Exactement ce que faisait Marx. En l’absence de cela, la condition domine la personne.

Voyons alors ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé, c’est que le bourgeois a dévoré le citoyen, le privé a dévoré le public, l’économie a dévoré la politique, la finance a dévoré l’économie, et donc l’argent a dévoré l’État, la monnaie a dévoré l’Europe, la mondialisation dévore le monde. Je propose la formule suivante, et j’invite quiconque à la démentir : les démocraties occidentales sont aujourd’hui les plus parfaites dictatures de l’argent. Tel est le point, délicat et stratégique, où la bataille des idées devient – peut devenir – une lutte politique.
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Encore un avertissement. Aucun étalage d’intimité dans les lignes ci-dessus, aucun redire in se ipsum, aucun élément autobiographique, comme le voudrait la mode actuelle, où chacun parle de soi et pour soi, entre psychologie égocentrique et new age de groupe. Je parle de politique. Je cherche à tirer une pensée de l’expérience historique. Je crois que la phase que nous traversons nous impose de démêler les fils du vingtième siècle. Et c’est précisément ce que je tente de faire. Nous mouvement ouvrier, nous communisme, voulions changer le monde et changer l’homme. Le faire, vouloir le faire, était juste, sacro-saint pour être exact. Mais les moyens étaient inadaptés et les fins improbables. Pour le dire avec les mots de l’époque, les tactiques visaient trop court et les stratégies trop loin. La société parfaite, là-bas à l’horizon, s’éloignait à mesure que l’on avançait. Et nous n’avons pas trouvé dans l’ici et maintenant la juste mesure entre le grand saut et les petits pas. C’est là que nous avons connu, de manière plus générale, l’insuffisance, le manque, l’arrogance des élites, et la résistance, la lenteur, l’indifférence de la masse.

Plus précisément, nous nous sommes pliés à l’idée d’omnipotence de la raison humaine, qui n’est pourtant pas la caractéristique propre du Moderne. La modernité a toujours connu autant de crises que de développements. Cette idée était la caractéristique propre de la bourgeoisie moderne. Nous n’avons pas soumis à la critique le chemin qui conduit de la grande raison de la Renaissance, instruite par la science, à la petite raison instrumentale commandée par la technique : ce qui marque exactement la période de développement de la domination de la mentalité bourgeoise sur la condition humaine.
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Benjamin a parlé, dans la XIe thèse de Sur le concept d’histoire, du conformisme qui a été dès l’origine inhérent à la social-démocratie et a affecté non seulement sa tactique politique, mais aussi ses vues économiques. Ce conformisme sur le concept du travail a été pour le mouvement ouvrier allemand à la base de l’illusion selon laquelle

Le travail industriel, qui s’inscrit à ses yeux dans le cours du progrès technique, représente un acte politique. Chez les ouvriers allemands, la vieille éthique protestante du travail réapparut sous une forme sécularisée (Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », dans Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 436)

Werkmoral, morale du faire, de l’œuvrer, du wirken, de l’efficere. Travailler se réduit à produire, conséquence de la production réduite au profit. Le travail humain se trouve dans un double contexte : celui de la nature et celui d’une société. Marx refusait la définition contenue dans le programme de Gotha : « le travail est la source de toute richesse et de toute culture ». Le travail n’est pas la source de toute richesse, répondait Marx, la richesse effective est composée de valeurs d’usage. Et la nature est la source des valeurs d’usage, tout comme le travail est la manifestation d’une force naturelle, la force de travail humaine :

Les bourgeois ont d’excellentes raisons pour attribuer au travail cette surnaturelle puissance de création : car du fait que le travail est dans la dépendance de la nature, il s’ensuit que l’homme qui ne possède rien d’autre que sa force de travail sera forcément, en tout état de société et de civilisation, l’esclave d’autres hommes qui se seront érigés en détenteurs des conditions objectives du travail. (Karl Marx et Friederich Engels, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, Paris, Éditions sociales, 1972, p. 23)
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Le thème est donc celui de l’hérédité, de la transmission de la tradition. Mais aussi : la mise au jour d’un conflit d’interprétations du passé, toujours lié à un jugement sur le présent. Il n’existe pas de problème du nouveau en soi, il y a un problème du rapport du nouveau au vieux, du Moderne à l’Antique. Qu’est-ce qui mérite de mourir? Qu’est-ce qui mérite de continuer, renouvelé, à vivre? Cela dépend-il d’un jugement éthique? Non. Cela dépend d’un jugement politique. Opposer la destruction créatrice de l’innovation la construction création de la tradition est une décision politique. S’assurer que l’Ancien du Moderne conserve une vie posthume parmi les contemporains est une opération révolutionnaire.
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