Marion Olharan

Oh là, tu es danseuse, pas bonne soeur. Jusqu'à preuve du contraire, ta vocation ne t'empêche pas de t'envoyer en l'air. Avec qui tu veux, dans la limite de la légalité et du respect de tes partenaires, énonce-t-il d'un ton docte.

Je sors en faisant attention à favoriser ma jambe gauche. Jusque-là, c’est bon. Je marche lentement jusqu’à l’entrée. Si je ne me presse pas, mon boitement est léger. Oui, rien de particulier à voir.

Tu crois tromper qui ? On dirait Quasimodo !

J’essaie de faire taire mon esprit, d’autant plus que certains danseurs sont là et se dépêchent pour être à l’heure à leur cours du matin. C’est l’un des derniers, même si les salles de répétition sont accessibles toute l’année. J’essaie de me faire discrète pour ne pas avoir à entamer de discussion. Pour qu’ils ne me voient pas comme ça. Bien sûr, mes efforts de discrétion ont l’effet inverse et je vois plusieurs danseurs s’arrêter pour me saluer.

Mais cassez-vous !

Avec un peu d'imagination et la bonne paire de bottes, je pourrais me prendre pour Emma Peel dans Chapeau melon et bottes de cuir. Une Emma Peel qui aurait forcé sur les scones de son Afternoon Tea, mais quand même, il y a quelque chose.

— Tu peux nous dire qui c’est ?

— C’est bizarre, Diane m’a dit que vous vous connaissiez pourtant. Elle assisterait même à l’un de tes cours. Elle s’appelle…

Avant même que Sophie ne poursuive, je sais de qui il retourne. Je vois encore ses grands yeux verts au fond de ma classe, sa mâchoire tendue, sa bouche un peu trop grande pour le visage angulaire, son port de tête altier sur la défensive, qui m’a intrigué.

Surpris, je m’arrête de marcher et dois la retenir d’une main ferme pour qu’elle ne continue pas sans moi. Alexei est un chorégraphe contemporain de renom mais, pour quelqu’un qui ne sait pas si Balanchine est toujours vivant, connaître Rostov, c’est comme savoir qui est Sophie Calle en art contemporain sans être sûr que Picasso soit un peintre ou un écrivain.

Voir Guillaume sans ses lunettes a quelque chose d'intime et de troublant. C'est l'effet Clark Kent. J'ai l'impression de découvrir son identité secrète et avec ou sans lunettes, je prends.

Les aventures mystérieuses, ce n'est pas pour moi. J'ai beau m'habiller comme une Grace Kelly qui aurait mangé trop de bonbons, je lui laisse les intrigues et les grands sentiments.