Interview (1990) de Mark Salzman - auteur de Iron & Silk (Le fer et la soie) (en anglais)
Quand on leur eut apporté le plat, Alison constata avec stupéfaction que Hsun-ching avait englouti le contenu de son assiette avant même qu'elle ait fini d'assaisonner le sien. Elle lui demanda s'il voulait commander autre chose; en fait, il en aurait repris avec plaisir, mais la politesse chinoise veut que l'invité refuse systématiquement quand on lui propose de le resservir. Quant à l'hôte, il ne doit jamais tenir compte du refus, et il convient qu'il remplisse l'assiette de l'invité quoi qu'il arrive. Hsun-ching attendit, plein d'espoir, mais en Amérique, à son grand malheur, non c'est non, et Alison se contenta de hausser les épaules et de manger ses spaghettis tandis qu'il la regardait avec envie, se demandant ce qu'il avait pu dire ou faire pour mériter un traitement aussi glacial.
(P225)
- Mark, tu ris beaucoup quand tu fais tes cours. Pourquoi ?
- Parce que je m'amuse, professeur Wei.
- je vois. Tache de rire moins. C'est un peu incongru de voir quelqu'un rire si fort à ses propres blagues. Les gens pensent que tu es un peu dérangé, ou que tu es en train de t'étrangler.
- Professeur Wei, est-ce mal de rire ?
- Non, pas du tout. En fait c'est très bon pour la santé. En chinois il y a un proverbe qui dit: " Celui qui rit vivra longtemps. " Mais il ne faut pas rire trop sinon on a des maux d'estomac.
Il a fait démarrer le moteur, a posé sa grosse main sur le Klaxon .et l'a actionné un bon coup histoire de l'échauffer ; après quoi, il s'est élancé à pleine vitesse à travers les rues bondées. Ce n'était qu'embardées et coups de freins violents pour éviter les piétons qui se précipitaient sur la chaussée sans faire attention, les essaims de cyclistes qui roulaient en plein milieu de la rue, sans compter les camions, les jeeps. d'énormes autobus qui penchaient dans les tournants (...) Pas une fois durant ce supplice le Klaxon n'a cessé de fonctionner ni d'ailleurs celui des autres véhicules, ce qui fait qu'ils étaient tous parfaitement inefficaces. J'ai demandé au camarade Hu pourquoi le chauffeur s'acharnait ainsi sur son Klaxon et il a répondu, sans la moindre ironie: " Sécurité routière. "
Je n'étais pas vraiment d'humeur à rire. Il s'en est rendu compte et m'a pris le bras :
-Allez ne t'en fais pas pour ça. Tu connais l'histoire du vieil homme et du cheval ? C'est une histoire chinoise très célèbre qu'on apprend quand on est petit. Un jour, le cheval d'un vieil homme s'échappe de chez lui. Ses amis sont tous là à lui dire qu'ils sont désolés, mais le vieil homme leur répond : "Je ne m'en fais pas. On ne sait jamais ce qui peut arriver." Et voilà que quelques jours après le cheval revient à la tête d'un véritable troupeau de chevaux sauvages. Tout le monde félicite le vieil homme pour sa chance, mais lui il se contente de dire : "On ne sait jamais ce qui peut arriver", et il n'en fait pas toute une affaire. Et voici que son fils unique a un accident en dressant l'un des chevaux et qu'il se retrouve estropié. Tous les amis viennent dire au vieil homme combien ils sont désolés de cette triste nouvelle, mais le vieil homme dit : "On ne sait jamais ce qui peut arriver." Peu de temps après, l'armée vient faire un tour dans le village pour recruter des jeunes garçons en bonne santé pour une campagne militaire à la frontière. Et, bien sûr, on dispense le fils du vieil homme à cause de ses blessures. C'est comme ça qu'on voit les choses, en Chine. Sincèrement, j'ai l'impression que vous, les étrangers, vous vous faîtes tout un monde de petits riens.
"J'ai toujours été un fanatique de la boxe chinoise! Quelle technique pratiquez-vous, Celle de Shaolin, ou celle de Wutang?"
Le colonel eut un large sourire, encore un peu et il montrait ses dents pointues, et dit: "Ni l'une ni l'autre. J'ai ma technique à moi."
"C'est ce qu'il y a de plus efficace, c'est sûr!" dit M. Yin. "Et quel nom lui donnez-vous?"
Il y eut un éclair derrière les lunettes de soleil du colonel quand il répondit: "Je l'appelle Wu-kung chuan: le Poing qui Connaît le Vide. Pour la pratiquer comme il faut, il faut que votre esprit soit complètement vide; il ne doit s'attacher à rien, ne serait-ce qu'un instant, il ne faut même pas penser à son adversaire. De cette manière, on peut contrer son attaque avant même qu'il ait fait un seul geste, car on a l'esprit si libre qu'on peut pressentir ses intentions. Et lui ne peut pas contrer vos mouvements, car vous n'avez rein en tête: l'action, il n'y a que l'action."
(P129)
Alors vous êtes violoncelliste, c'est bien ça ? Il faudrait que j'en sache un peu plus sur le classique. Quand j'en écoute, c'est bien simple, je vois des types en plastron qui ressemblent tous à Freud, debout dans un château avec des monocles ; je les imagine claquer des talons et se faire des courbettes. Vous voyez ce que je veux dire ?
- Tous les morceaux classiques vous dont cet effet là ?
- Mmh... Non pas tous. Il y a une cassette de classique que j'aime bien, c'est la bande originale d'Amadeus. Je l'ai achetée après avoir vu le film. Je paris que ça vous donne des plaques, non ?
"Mais l'art, c'est beau", objecta Hsun-ching.
"Quoi? L'art n'a pas à être beau! Il doit avoir de la sensibilité! Il arrive que la sensibilité exprimée soit terriblement laide, mais ce qui compte, c'est qu'elle soit vraie."
Hsun-ching n'était pas d'accord. Il savait qu'en art, la première chose c'est de maîtriser la technique. C'est alors seulement que l’œuvre peut dégager une sensibilité.
(P221)
Il faut être honnête, je préférais les moments où il m’enseignait le wushu à ceux où il m’enseignait la façon dont je devais lui enseigner l’anglais.