Payot - Marque Page - Max Aub - Crimes exemplaires
“La morale est l'épine dorsale des imbéciles.” Francis Picabia
Tombeaux et Bordels
A quoi bon le décrire? Il a été maintes fois photographié. Il n'a jamais quitté son enfance et sa jeunesse. Fidèle à lui-même, il l' a été vis-à-vis des autres dans la mesure où ces derniers ont agi comme il a estimé qu'ils devaient agir. Il se met facilement en colère, aussi facilement qu'il oublie et passe à autre chose. Il sourit beaucoup parce qu'il est sourd d'oreille.
"- Les grands sourds sont aragonais.
- Quoi?
- Les grands sourds aragonais.
- Ah, oui!
- Goya...
- C'est vrai. Les trois grands sourds aragonais.
- Qui ça?
- Goya, Beethoven, et moi.
- Ah bon. Je ne savais pas que Beethoven était aragonais.
- Non?
- Non.
- Eh bien, tu le sais maintenant."
Il adore voir les visages stupéfaits, ou furibonds.
Tu crois que tous ceux qui sont en train de creuser des tranchées autour de Madrid, ou qui dressent des barricades dans les rues, le font par décision du gouvernement ? Penses-tu ! D’ailleurs le gouvernement ne décide rien du tout. Il ne pense qu’à sauver sa peau… Tu crois que les Madrilènes sont disposés à se laisser massacrer pour défendre la République ? Non, mon vieux ! Ils sont prêts à mourir parce qu’ils veulent éviter que les fachos entrent.
p. 289
Don Luis, qui avait été caissier à l'époque de don Porfirio, se conservait dans l'alcool : il était rougeaud, radieux et heureux.
p.19

Buñuel est un homme intelligent, atrabilaire, fidèle à ses sentiments, ses instincts et ses idées, intéressé, partial comme tous les gens intelligents. Nous avons vécu à la même époque, nous nous ressemblons par certains côtés, nous différons sur beaucoup d'autres. C'est dommage qu'il n'écrive pas un livre sur moi, nous laisserions ainsi un témoignage, sectaire, sur le XXème siècle vu par deux Espagnols qui n'ont vécu en Espagne qu'une partie, fondamentale, de leur vie.
Lui est un Espagnol marié à une Française, qui est devenue mexicaine; moi, Français, je suis marié à une Espagnole qui est devenue mexicaine. (...)
Selon toute probabilité, nous devrions mourir au Mexique, ce serait justice. En ce qui concerne notre œuvre, nous sommes espagnols, car c'est dans la péninsule que nous avons passé notre baccalauréat et que nous sommes devenus des hommes. Du point de vue culturel, nous sommes dépendants des deux cultures, espagnole et française. La culture anglo-saxonne ne nous a guère affectés dans le fond; passablement dans la forme. J'ai toujours été un homme de livres, contrairement à Buñuel , qui a les pieds sur terre et les poings en l'air. (...) Nous avions en commun nombre de connaissances et d'amis de jeunesse. Les écoles de l'avant-garde m'ont heurté plus tôt que lui; je les ai vite abandonnées. Nonobstant, nous avons tous deux été attirés par l'univers de Pérez Galdós,. La grande différence se trouve dans la religion: bien que tous deux athées, ses racines sont catholiques, les miennes plongent dans la libre-pensée. Cela est plus important que des échanges dans les milieux madrilène, parisien ou mexicain.
L'éducation religieuse de Buñuel était tributaire du catholicisme intransigeant de sa mère, qui l'a adoré. La mienne était totalement agnostique et, dans ma formation, mes parents n'ont eu aucune influence, jusqu'où cela est possible dans une famille bourgeoise.
Nous différons fondement sur le plan politique. Il attache plus d'importance à la justice qu'à la vérité. Ce n'est pas mon cas.
(Prologue personnel)
Le corbeau observateur :
L'homme est un animal qui s'enrhume - ils appellent cela chaud et froid, enchifrènement, coryza, catarrhe ou autrement. Leurs narines se remplissent de mucosités et ils éternuent. Aucun autre animal ne crache ni ne se mouche. Bien que je ne sois pas homme de l'art, je vois un rapport entre cette curieuse maladie et l'inintelligence de ces bipèdes, et je suppose que leurs idées défectueuses, par transmutation, se transforment en morve, corrompant ainsi plus encore leur tempérament et les plongeant dans l'ignorance et la sottise.
p. 47
Un regard fixe, une grosse voix, des rides profondes -dues à l'âge-, de grandes oreilles, futiles, un front puissant, une certaine démarche (penché en tant et des bras ballants, il semble traîner ses pieds en dedans); un nez de boxeur encore à moitié cassé, des cernes sous les yeux qui ont besoin, c'est bien logique, de lunettes de vue; toujours grand amateur de bons plats, espagnols et français- ses choix lui appartiennent: tel est Luis Buñuel.
Le fascisme a apporté avec lui une effrayante marée de suie, d’énormes vagues de boue. Le fascisme est la grande construction du mensonge, ses fondements sont la délation, et la délation est la forme la plus abjecte du mensonge, parce qu’elle n’ose pas inventer pour faire le mal et qu’elle interprète la réalité à sa façon.
p. 413
Que les gens s’entretuent comme ça, depuis la nuit des temps … Entre les civilisations qu’elles soient primitives ou raffinées, toujours la guerre. Tuer, s’entretuer, pour une chose ou pour une autre. Mais toujours mieux et de façon plus généralisée, à mesure que la population augmente. Pour le pouvoir. Uniquement pour le pouvoir. On peut appeler ça comme on veut. Pour le pouvoir. Pour qu’un individu puisse faire ce qu’il croit bien, ce qu’il croit être bien pour lui. Sans autre loi.
p. 415

(Préface de Carmen Peire)
Lorsque Max Aub meurt d’un arrêt cardiaque, le 22 juillet 1972, un samedi dans la soirée, avant de commencer une partie de cartes avec quelques amis, chez lui, dans sa maison de la rue Euclides, à Mexico, il était en train d'écrire une biographie de Luis Buñuel suite à une commande de la maison d’édition Aguilar. Le livre avait pour titre Luis Buñuel, novela, parce qu’il avait fait du cinéaste un personnage et parce que, comme il le dit lui-même, « tout homme qui vit écrit, de fait, un roman. », bien que cet ouvrage soit en réalité partiellement une biographie, et partiellement un essai, moitié roman moitié analyse et impressions d’une génération qui a vécu des moments cruciaux, ainsi qu’une étude très minutieuse des avant-gardes artistiques et littéraires des premières décennies du XXè siècle. (…)
Ce que nous présentons ici, c’est Luis Buñuel, Roman, en suivant le schéma établi par Max Aub (lequel se trouvait parmi les tapuscrits) et récupérant le contenu, comme l’a corroboré postérieurement le chercheur de l’université autonome de Barcelone et spécialiste du cinéma, Roman Gubern, qui m’a montré une lettre de Max Aub dans laquelle il disait son intention de, non seulement recueillir certains aspects de la vie et de l’oeuvre de Buñuel, mais aussi de faire une analyse des avant-gardes qui ont parcouru le premier tiers du vingtième siècle et au-delà. Il a fallu attendre près de quarante ans pour que le public ait accès à cette oeuvre inédite de notre auteur, dont les propos concernant cet ouvrage étaient prophétiques: « Avant que les lecteurs s’assurent de la vérité de tout ce que je dis, moi étant l’auteur de l’ouvrage, mettez celui-ci en quarantaine. « (…)
Max Aub est un de nos meilleurs écrivains, d’une ample culture (sans qu’il avoir foulé l’université) et d’une portée hors du commun, ce qui apparait reflété dans ces pages.